Très tôt, Guy Debord perd son père. Le mouvement populaire est amené dans l'impasse de la Seconde Guerre mondiale, et à ses 17 ans, tous les événements fondateurs de ce qu'il appellera La société du spectacle sont en place : la généralisation de la technique, l'espionnage généralisé, les camps, Hiroshima/Nagasaki, la collaboration de classe du PCF avec la bourgeoisie, l'affrontement « spectaculaire » Est/Ouest, et surtout la reconstruction à crédit de l'Europe. L'échec du « dernier grand assaut du mouvement révolutionnaire prolétarien » est dans son paysage. Jeune, il est déjà un grand connaisseur des surréalistes et prend pour figures tutélaires Lautréamont et Arthur Cravan.
1951/1952 : selon les propres mots de Debord, « jamais... le champ de bataille n'avait été aussi vide ». Au milieu de ce "désert" cependant la vie intellectuelle se poursuit. Du côté des défenseurs de l'ordre existant, les gaullistes bien sûr : Aron, Mauriac, Malraux, mais aussi tous ceux qui gravitaient autour du PCF : Aragon,
Sartre,
Picasso. Au cours de cette période le parti stalinien aimantait encore nombre d'artistes, d'écrivains et d'intellectuels.
D'autres, cependant, refusaient ce partage. André Breton, Benjamin Péret, Jean Malaquais s'étaient rapprochés des mouvements libertaires ou du communisme de gauche antistalinien après avoir souvent flirté avec les thèses de Trotsky, fidèles toujours aux idéaux de la Révolution d'octobre plutôt qu'à l'URSS et à ses dirigeants.
Des électrons « libres » comme
Boris Vian, Jacques Prévert, participaient du paysage intellectuel de ces années-là. Georges Bataille achevait son oeuvre. Maximilien Rubel de son côté arrachait l'oeuvre de Marx des dogmatismes léninistes, tandis que les membres de Socialisme ou Barbarie (Claude Lefort, Cornelius Castoriadis notamment), et quelques autres tentaient une ouverture, dans une période dominée par la pensée stalinienne et bourgeoise. C'est à ce moment que commencent à se développer plus largement les analyses critiques sur l'URSS et les « démocraties populaires » (les régimes bureaucratiques-totalitaires dit « communistes »), après le célèbre Staline de Boris Souvarine (1935), et les analyses d'Ante Ciliga, Victor Serge, Karl Korsch ou Anton Pannekoek contre le capitalisme d'État.
C'est à cette période qu'il rencontre Isidore Isou et les lettristes (Maurice Lemaître, Gil J Wolman, Jean-Louis Brau, Marc'O...), une rencontre décisive qui marque la base de ses engagements futurs.
Le scandale de la projection du film Traité de bave et d'éternité d'Isidore Isou au festival de Cannes (avril 1951) marque le jeune Debord et lui ouvre le champ de création qu'est le cinéma, le poussant à participer aux activités du mouvement lettriste, participation qui prendra fin en novembre 1952 à la suite d'un autre scandale, le « scandale
Chaplin ». Entre temps, il participe à l'unique numéro de la revue Ion de Marc'O (avril 1952) en y publiant le synopsis de la première version (avec images) de son film Hurlements en faveur de Sade dont le titre lui avait été suggéré par Isou. Le premier film de Debord, désormais sans images et visuellement proche de L'Anticoncept de Gil J. Wolman, alterne séquences noires et blanches et se compose d'une bande son où des phrases poétiques détournées de leur contexte d'origine entrecoupées de longs silences, vise à accélérer le processus de négation-décomposition (ce que les lettriste appelait le "ciselant") dans le cinéma, déjà largement entamé dans les autres arts, notamment en peinture avec le Carré blanc sur fond blanc de Kasimir Malevitch ou en littérature avec le Finnegan's Wake de James Joyce et passer plus directement au projet du dépassement de l'Art, au coeur des préoccupations de Debord et des lettristes. L'Internationale situationniste précisera des années plus tard, à propos de ce film que « l'action réelle de l'avant-garde négative (...) n'a été (...) avant-garde de l'abscence pure mais toujours mise en scène du scandale de l'absence pour appeler à une présence désirée ». Debord pose ici la limite, le point de départ, dans la suite qui l'amènera à la création de l'I.S.
Ainsi, en novembre 1952 nait l'Internationale lettriste (I.L), qui marque ses distances avec le lettrisme d'Isou en revendiquant une attitude plus proche des anarchistes et des marxistes révolutionnaires que de l'idéal de "créativité généralisée" voulue par Isou. Les "internationaux" lettristes incarnent une sorte de saint-germain des prés souterrain, loin des spotlights braquées sur le Tabou et les deux magots, vivant de façon clandestine leur refus de la norme sociale dans un Paris de l'après-guerre pas encore rénové par les urbanistes pour lequel ces lettristes se passionnent, y voyant le décor possible, à condition de l'étendre et de l'aménager, pour une future civilisation du jeu qui semble à même de se réaliser dans l'avenir. Le bar chez Moineau, rue du four, devient leur quartier général. Plusieurs livres témoignent de cette période, notamment écrits, comme ceux de Jean-Michel Mension dans le temps-gage ou de Patrick Straram dans les bouteilles se couchent, ou de photos , comme celui de l'hollandais Ed Van der Elsken love on the left bank. Debord, par la suite, se remmémorera souvent cette brève période de sa vie, notamment dans l'ouvrage énigmatique mémoires aidé des structures portantes d'Asger Jorn, toujours avec une grande nostalgie. Dans ces années-là, sont élaborés les concepts de psychogéographie et dérive et le quatuor dur constitué de Chtcheglov-Debord-Straram-Wolman s'emploient à explorer la ville de Paris, pour y découvrir les différentes ambiances propices au dépaysement psychogéographique. A la même époque, paraissent plusieurs ouvrages sur ce Paris millénaire et secret voué à disparaître quelques années plus tard sous les pelleteuses, dont certains inspireront Debord : paris insolite de Jean-Paul Clébert, rue des maléfices de Jacques Yonnet ou encore le vin des rues de Robert Giraud. Il rendra hommage également dans panégyrique à l'historien Louis Chevalier qui dénoncera cette destruction dans l'assassinat de Paris.
Après la création de la revue l'Internationale lettriste en 1952, l'I.L fonde la revue Potlach qui commence à paraître en 1954. Le programme de Potlach annonce : « nous travaillons à l'établissement conscient et collectif d'une nouvelle civilisation ». Dans la revue belge Les Lèvres Nues (1954-1957), Debord déclare : « entre les divers procédés "situationnistes", la dérive se présente comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d'effets de nature psychogéographique, et à l'affirmation d'un comportement ludique-constructif, ce qui l'oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade. » C'est dans cette même revue, en 1956, que Debord et Wolman publient un texte fondamental : Mode d'emploi du détournement. Ainsi, l'Internationale lettriste n'a plus de lettriste que le nom, et possède déjà toutes les germes théoriques de ce qui deviendra l'Internationale situationniste.
Une bonne partie de l'avant-garde lettriste, restée auprès d'Isou et Lemaître, décide ne pas suivre Debord dans ce qu'elle considère comme une déviation politique et continuera à se développer indépendamment de l'I.L.
1957 est pour Debord année décisive où, à Albissola en Italie, sont jetées les bases d'une nouvelle avant-garde qu'il définit dans une de ses correspondances comme le mouvement qui a dominé le passé et qui, à tout moment dans sa pratique comme dans sa théorie pratique, domine le présent. La dérive, la création de situations ludiques, etc., sont proposées par Debord dans le premier texte fondateur de cette nouvelle avant-garde : Rapport sur la construction de situations et sur les conditions de l'organisation et de l'action de la tendance situationniste internationale .
Les premières années sont marquées par une recrue importante d'artistes qui tentent d'expérimenter différents procédés, pouvant s'intégrer à une nouvelle architecture des villes appelée de leurs voeux par les situationnistes, notamment ce que le hollandais Constant nomme urbanisme unitaire et qui serait propice à l'invention ludique, la construction de situations et la réalisation de nouveaux désirs. Parallèlement, l'I.S. s'attache, par le biais de manifestations provocatrices, à faire la propagande, au sein de la culture officielle, d'un nouvel emploi, révolutionnaire, des arts. ( par exemple, lors de la réunion à Bruxelles, en avril 1958, de critiques d'art internationaux). L'I.S., en effet, estime que la crise des arts n'est qu'un symptôme d'un phénomène plus vaste lié à l'apparition d'une possibilité supérieure de réaliser directement la promesse de l'art dans la vie en s'emparant des moyens que la bourgeoisie a développée par le biais de l'accroissement de sa domination sur la nature : « Nous parlons d'artistes libres, mais il n'y a pas de liberté artistique possible avant de nous être emparés des moyens accumulés par le XX siècle, qui sont pour nous les vrais moyens de la production artistque, et qui condamnent ceux qui en sont privés à n'être pas des artistes de ce temps (...) La domination de la nature peut être révolutionnaire ou devenir l'arme absolue des forces du passé ».Dans cette perspective, les situationnistes envisagent que « la construction des situations remplacera le théatre seulement dans le sens où la construction réelle de la vie a remplacé toujours plus la religion ».
En 1959, Debord « rencontre le groupe d'intellectuels et d'ouvriers révolutionnaires Socialisme ou Barbarie .»
En 1960, Debord signe le Manifeste des 121 contre la guerre d'Algérie.
Il continue sa création cinématographique, avec Sur le passage de quelques personnes à travers une assez courte unité de temps (1959) et Critique de la séparation (1961). Dans ces deux films, il fait un état des lieux de la vie aliénée, séparée par le quotidien marchand où chacun doit perdre sa vie pour rencontrer les autres dans le monde séparé de la marchandise.
Le mouvement s'accélère dans la critique, qui s'occupe de moins en moins de la mort de l'art, mais veut englober le projet de son dépassement avec celui d'une critique globale de la société. La nouveauté n'est pas la dénonciation du capitalisme ou de l'aliénation, mais bien la critique radicale tant dans la forme que dans le contenu du système marchand qui aliène les individus dans leur vie quotidienne. L'avenir n'est pas considéré comme situationniste, et c'est ce qui fonde la nouveauté de cette avant-garde. Les situationnistes, en effet, considèrent , en ce début de ces années soixante, que les conditions pour une révolution sociale sont à nouveau favorables. l'I.S. fait ainsi un parallèle entre les actes criminels du XIX siècle, le luddisme, interprété selon la vision marxiste comme le premier stade, encore primitif, de la constitution du mouvement ouvrier et ceux, encore incompris, de son époque : « De même que la première organisation du prolétariat classique a été précédée, à la fin du XVIII et au début du XIX siècle, d'une époque de gestes isolés, « criminels », visant à la destruction des machines de la production, qui éliminait les gens de leur travail, on assiste en ce moment à la première apparition d'une vague de vandalisme contre les machines de la consommation, qui nous éliminent tout aussi sûrement de la vie ». Les situationnistes se déclarent les continuateurs de la Commune de 1871.
Directeur de la revue Internationale Situationniste, Debord l'anime avec le renfort de Raoul Vaneigem et du hongrois Attila Kotanyi. Leurs collaborations entraînent l'éviction des « artistes » et débouchent sur « les thèses de Hambourg » ; thèses qui se résument à la dernière de Marx sur Feuerbach : « il faut réaliser la philosophie ». Au programme, classique depuis les thèses sur Feuerbach que Marx assignait d'office au prolétariat, les situationnistes lui associent celui de dépasser et de réaliser l'art :« C'est ainsi qu'à partir de l'art moderne - de la poésie - de son dépassement, de ce que l'art moderne a cherché et promis, à partir de la place nette, pour ainsi dire, qu'il a su faire dans les valeurs et les règles du comportement quotidien, on va voir maintenant reparaître la théorie révolutionnaire qui était venue dans la première moitié du XIX siècle à partir de la philosophie (de la réflexion critque sur la philosophie, de la crise et de la mort de la philosophie »)
Le résultat le plus important en est la sortie coup sur coup de deux livres : La Société du spectacle de Debord, (publié le 14 novembre 1967 initialement chez Buchet/Chastel) et Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem (publié le 30 novembre 1967 chez Gallimard). Si le livre de Vaneigem est circonstanciel, celui de Debord est plus théorique dans la mesure où il repose sur la pensée et les oeuvres de Georg Lukács, Karl Korsch, et surtout Marx et
Hegel. Debord articule l'aliénation « nécessaire » d'Hegel avec ce que Marx appelle « le caractère fétiche de la marchandise et son secret » en se basant sur le travail de Luckács dans Histoire et Conscience de Classe, qui pose le sujet aliéné, la conscience de classe aliénée. À cette base économique de l'aliénation, il adjoint l'image de la marchandise médiatisée à outrance par la publicité qui vient des États-Unis (voir notamment le livre de Daniel J. Boorstin : « Nous n'allons pas mettre l'image à l'épreuve de la réalité, mais mettre la réalité à l'épreuve de l'image »).Debord en recommande la lecture autour de lui. Debord fait le lien que Boorstin et d'autres voient, comme Orwell dans Un peu d'Air Frais, avec le grand supermarché et la fin d'un monde, celui du capitalisme de chemin de fer, et l'avènement de la société dite du « spectacle ». Sur les deux versants : « spectacle diffus » de la société capitaliste à l'ouest, et « spectacle concentré » du capitalisme d'État des « démocraties populaires », il ne voit qu'une société spectaculaire-marchande qu'il faut abattre.
Le 22 novembre 1966 est publiée à Strasbourg une brochure anonyme (on sait aujourd'hui qu'elle a été principalement rédigée par Mustapha Khayati), De la misère en milieu étudiant. Pascal Dumontier la considère comme un évènement indissociable des évènements de mai 1968 dans son livre Les Situationnistes et mai 1968, théorie et pratique de la révolution (1966-1972) (Éditions Gérard Lebovici, 1990). L'affaire fait scandale dès sa distribution, et le journal le Monde publie, le 26 novembre 1966, un article « " L'International situationnisme" prend le pouvoir chez les étudiants strasbourgeois» (sic). Quand arrive le 22 mars 1968 à Nanterre, l'I.S. occupe déjà, via les Enragés de René Riesel, une position alternative, critique et qualitative envers l'opposition officielle représentée par le Mouvement du 22-mars qui va cristalliser les mécontentements au sein de l'université et entraîner une réaction en chaînes. Sa revue a déjà une grande renommée malgré des ventes en kiosque assez faibles de 400 exemplaires en moyenne (l'essentiel du tirage est envoyé aux abonnés, ou diffusé gratuitement par l'IS). Debord écrit, le 10 juin 1968, à un correspondant italien : « Nous avons presque fait une révolution (...) La grève est maintenant battue (principalement par la C.G.T.) mais toute la société française est en crise pour longtemps » ; et le 24 décembre 1968 : « J'aime aussi beaucoup la citation du Cardinal de Retz, non seulement en ce qu'elle rejoint les thèmes de l' « imagination au pouvoir » et de « prenez vos désirs pour des réalités, mais aussi parce qu'il y a cette amusante parenté entre la Fronde de 1648 et mai : les deux seuls grands mouvements à Paris qui aient éclaté en réponse immédiate à des arrestations ; et l'un comme l'autre avec des barricades ». Pour Debord, Mai 68 est l'aboutissement logique de l'I.S. qu'il interprète comme « un mouvement révolutionnaire prolétarien, resurgissant d'un demi-siècle d'écrasement » « qui cherchait sa conscience théorique ». En 1969, le dernier numéro de la revue s'ouvre par : « Le commencement d'une époque ».Dans La Véritable Scission dans l'internationale (Champ Libre, 1972), il règle ses comptes avec tous ceux qui veulent profiter de l'aura de l'I.S. et avance qu'une avant-garde doit savoir mourir quand elle a fait son temps. Vaneigem est très critiqué dans ce livre comme « tendance droitière » au sein de l'I.S. Les « thèses de Hambourg » sont explicitées pour la première fois dans ce livre, « pour servir à l'histoire de l'IS ».
A partir des années soixante-dix, la vie de Debord devient de plus en plus nomade : il séjourne, selon les saisons, entre Paris, l'Auvergne et la Toscane, ces séjours en Italie, notamment, lui permettent d'observer de près les menées contre-insurrectionnelles qu'un Etat moderne est à même de conduire dans le cadre de la résurgence de la subversion prolétarienne; dans ce contexte explosif, dans tous les sens du terme, des années de plomb, il continue à mener ses combats au côté de Gianfranco Sanguinetti, ancien situationniste de la deuxième section italienne avec qui il noue une longue amitié.
Il devient également un proche de Gérard Lebovici, qui finance coup sur coup trois films : l'adaptation de son livre La Société du Spectacle (1973), puis un court-métrage en forme de pamphlet , Réfutation de tous les jugements, tant élogieux qu'hostiles, qui ont été jusqu'ici portés sur le film « La Société du Spectacle » (1975). Mais c'est avec son film In girum imus nocte et consumimur igni (1978), un palindrome latin signifiant « Nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes dévorés par le feu », qu'il arrive à pleine maturité. Il fait dans ce film un bilan mélancolique, mais sans amertume, de son parcours esthétique et politique et semble faire le deuil, dix ans après mai 1968, des espoirs révolutionnaires nés autour de cette période.
Debord, à partir de 1972, exerce une influence de plus en plus grande sur Champ libre, la maison d'édition de Gérard Lebovici qui l'édite. Debord y fait publier des livres qu'il estime importants : Gracián, Clausewitz, August von Cieszkowski, Anacharsis Cloots, Bruno Rizzi, sans assumer toutefois une position officielle dans la nouvelle ligne éditoriale de cet éditeur atypique. La visée stratégique de Gérard Lebovici et Guy Debord à travers Champ libre est de mettre en lumière l'apparence des choses afin de mieux en dévoiler la réalité. Il s'agit d'un travail de déprogrammation, de contre-information, de démystification, dont Champ libre est le vecteur essentiel. Le but est de réagir à l'aliénation générale mortifère, au conditionnement médiatique de l'individu, à l'inculture générale obligatoire, à la tentation d'écarter de l'histoire des moments passionnants de l'art et de la vie, et plus généralement à la dégradation de la qualité de l'existence. Le catalogue de Champ libre inaugure un concept neuf et crucial, noble contrepoint à l'industrialisation en cours dans le monde de l'édition.
Debord traduit les Stances sur la mort de son père de Jorge Manrique et le témoignage d'un anarchiste espagnol de la colonne de fer, protestation devant les libertaires du présent et du futur sur les capitulations de 1937, que lui avait fait connaître une amie espagnole, Antónia Lopez-Pintor, et se passionne de plus en plus pour l'Espagne, son peuple et sa langue. Il loue un appartement à Séville au cours des années quatre-vingt.
À la suite de l'assassinat le 5 mars 1984 - non élucidé à ce jour - de son ami et producteur de cinéma Gérard Lebovici dans un parking de l'avenue Foch, il est mis en cause et largement accusé par la presse, toute tendance confondue, certains journaux allant même jusqu'à l'accuser d'être responsable directement ou indirectement du meurtre. Debord, pour une fois, ne se contente pas d'encaisser les coups, mais saisit la justice pour défendre son honneur : il intente des procès en diffamation contre quelques titres et les gagne. Il revient sur cette période et ces événements dans Considérations sur l'assassinat de Gérard Lebovici. Dans ce livre, où il manifeste une colère froide envers ceux qu'il appelle « les employés aux écritures du système du mensonge spectaculaire », il renvoie dos à dos ceux qui le calomnient et ceux qui le défendent, tous accusés de collaborer avec un système qu'il a condamné dans sa totalité : « la bassesse ne se divise pas ». En hommage à son ami, il décide d'interdire la diffusion de ses films en France jusqu'à sa mort en même temps que de figurer de façon plus marqué au catalogue de Champ libre devenu éditions Gérard Lebovici et manifeste, en privé, un soutien sans faille à sa veuve qui poursuit l'oeuvre de son mari.
En 1988, les Commentaires sur la société du spectacle, inspirés notamment par la situation en France et l'observation de la situation politique de l'Italie des années soixante-dix, notent la convergence - récente à l'époque - entre les deux variantes d'organisation du capital, de la société du spectacle, vers le stade du spectaculaire intégré. Il montre que c'est en France et en Italie que le spectaculaire est le plus avancé. Le mensonge, la corruption et le poids des services secrets et autres officines caractérisent les derniers développements au stade du spectaculaire intégré. Comme le rappele Shigenobu Gonzalves dans Guy Debord ou la beauté du négatif (éditions des mille et une nuits, 1998, page 49), « Debord annonce, dans l'indifférence générale, l'effondrement des dictatures bureaucratiques des pays de l'Est ». Dans la Préface à la quatrième édition italienne de « La Société du Spectacle » , il revient sur l'activité des Brigades rouges et leurs liens avec les services italiens, et analyse comment la fraction droitière du parti démocrate-chrétien incarné par Andreotti, la Loge P2 et des officines ont conduit à l'élimination d'Aldo Moro, hypothèse étayée aujourd'hui par différents travaux et témoignages.
Dans les années quatre-vingt, il s'attelle à un nouveau projet de dictionnaire encore inédit à ce jour intitulé apologie et rédige quelques textes pour la revue post-situationniste l'encyclopédie des nuisances. En 1988 une brève polémique privée l'oppose à Jean-Pierre Baudet au sujet de l'oeuvre de Günther Anders dont certaines analyses pouvaient sembler annoncer ou anticiper celles de Debord
Pour montrer par l'exemple qu'une autre vie est possible, il s'attache également à décrire son expérience personnelle dans Panégyrique tomes un et deux dans un style qui a parfois été comparé à celui du Cardinal de Retz ou de La Rochefoucauld même si lui-même récusait cette comparaison car il lui arrivait parfois de réutiliser ou détourner des tournures ou formules tirées des textes de ces auteurs. Cette technique de détournement des citations avait été initiée par Isidore Ducasse. Debord confie au philosophe italien Giorgio Agamben qu'il n'est pas un philosophe mais un stratège.
Atteint de polynévrite alcoolique, Debord s'est suicidé dans sa propriété de Champot, près de Bellevue-la-Montagne en Haute-Loire, le 30 novembre 1994. Marié à Michèle Bernstein en 1954, il avait épousé, en secondes noces, Alice Becker-Ho en 1972.
En janvier 2009, l'État français a décidé de classer l'ensemble de ses archives au patrimoine national dans un arrêté s'opposant à leur acquisition par l'Université Yale. Cet arrêté précise que ces archives revêtent « une grande importance pour l'histoire des idées de la seconde moitié du XXe siècle et la connaissance du travail toujours controversé de l'un des derniers grands intellectuels de cette période » (journal officiel de la République française du 12 février 2009). La Bibliothèque nationale de France a signé en mars 2010 un accord avec Alice Becker-Ho pour l'achat des archives de Guy Debord.