Né le 29 novembre 1932 à la clinique Geoffroy Saint-Hilaire (Ve arrondissement de Paris), Jacques René Chirac est le fils d'Abel François Chirac (1898 - 1968), employé de banque puis administrateur d'une filiale de la société aéronautique SNCAN et de Marie-Louise Valette (1902 - 1973). Tous deux proviennent de familles corréziennes « laïques et républicaines », ses deux grands-pères sont des instituteurs devenus directeurs d'école -- à Brive-la-Gaillarde pour son grand-père paternel et à Sainte-Féréole pour son aïeul maternel, en Corrèze. D'après Jacques Chirac, son nom « a pour origine la langue d'oc, celle des troubadours, donc celle de la poésie ».
Le jeune Jacques, élevé en enfant unique (sa soeur aînée, Jacqueline est décédée en bas âge avant sa naissance), commence ses études à l'école communale de Sainte-Féréole en Corrèze de 1940 à 1943 avant de les poursuivre en région parisienne, tout d'abord au lycée Hoche de Versailles pendant un an, puis au lycée Carnot et enfin au lycée Louis-le-Grand. Les études n'empêchent pas le jeune Jacques de lire de la littérature de son âge, en particulier le magazine Coq hardi dont il rejoint les amateurs en se faisant "totémiser", à la manière des scouts et comme c'était la pratique dans cette édition, sous le totem d' "Aigle musclé" dans les années quarante.
Après son baccalauréat, obtenu en 1950 en section « mathématiques élémentaires » avec mention « assez bien », il fait une campagne de trois mois comme matelot sur un navire charbonnier, le Capitaine Saint-Martin, contre l'avis de son père. De retour en France, il fait une année en « hypotaupe » (mathématiques supérieures, première année de classe préparatoire scientifique).
Il intègre, en septembre 1951, l'Institut d'études politiques de Paris. Durant cette période, brièvement, il milite dans la mouvance du Parti communiste avec notamment le futur éditeur Christian Bourgois. Il vend L'Humanité rue de Vaugirard, et participe au moins à une réunion de cellule communiste, comme il l'a raconté. Il signe en 1950 l'Appel de Stockholm, contre l'armement nucléaire, d'inspiration communiste. Cela lui vaut d'être interrogé lorsqu'il demande son premier visa pour les États-Unis ; il est ainsi diplômé de la Summer school de Harvard en 1952, et prend dans la foulée une année sabbatique pour parcourir les États-Unis.
Ses fiançailles avec
Bernadette Chodron de Courcel (née en mai 1933), rencontrée à Sciences Po, sont célébrées dans l'appartement des
Chodron de Courcel, boulevard Raspail, le 17 octobre 1953. En 1954, il finit son cursus à l'IEP Paris en soutenant un mémoire de géographie économique intitulée Le port de La Nouvelle-Orléans, dirigée par le professeur Jean Chardonnet. Il sort ainsi troisième sur les 139 de sa promotion, avec la mention « bien ». À l'automne de la même année, il est reçu à l'École nationale d'administration.
Le 16 mars 1956, il épouse Bernadette Chodron de Courcel, malgré les réticences de la famille de celle-ci vis-à-vis d'un jeune homme issu d'un milieu différent. Les
Chodron de Courcel refusent un mariage solennel dans la basilique Sainte-Clotilde, habituée des familles de la haute société du faubourg Saint-Germain. La cérémonie a donc lieu dans la chapelle de Jésus-Enfant (29 rue Las Cases), annexe de l'église, réservée alors au catéchisme et aux cérémonies plus intimes. Il a avec elle deux filles, Laurence, née en 1958 et Claude, née en 1962.
Juste après son mariage, de 1956 à 1957, il effectue son service militaire, et est classé huitième à l'École de la Cavalerie (i.e. les blindés) de Saumur. On lui refuse cependant le grade d'officier (il est affecté tout d'abord comme soldat de deuxième classe dans un régiment en Bretagne) en raison de son passé communisant et il faut l'intervention des relations de la famille Chodron de Courcel (le général Koenig) pour l'obtenir. Il en sort donc finalement comme sous-lieutenant de cavalerie.
En tant qu'élève de l'ENA, il aurait pu éviter de faire la guerre d'Algérie (pendant 18 mois), mais il se porte volontaire et est affecté, à partir du 1er avril 1956, au 11e puis 6e régiment de chasseurs d'Afrique, en poste à Souk-el-Arba dans le département de Tlemcen. Au cours de son service, il est blessé au visage, puis promu lieutenant au début de l'année 1957. Il est libéré de son service le 3 juin 1957. Partisan de l'Algérie française, Jacques Chirac explique qu'il n'est devenu gaulliste qu'en 1958, et qu'en 1947, il a pris sa carte du Rassemblement du peuple français « sans savoir ce faisait ».
Grâce à son mariage, et à son ambition, il change complètement de milieu social. De retour de son service militaire, il reprend ses études à l'ENA dans la promotion Vauban, dont il sort dixième en 1959. Celle-ci étant détachée en Algérie par
Charles de Gaulle entre le 17 avril 1959 et avril 1960, il est affecté en tant que « renfort administratif », auprès du directeur général de l'Agriculture en Algérie, Jacques Pélissier.
À son retour en France métropolitaine, Jacques Chirac est nommé auditeur à la Cour des comptes et devient maître de conférences à l'IEP. En juin 1962, il devient chargé de mission (pour la « construction, les travaux publics, et les transports ») auprès du secrétariat général du gouvernement de Georges Pompidou, puis au cabinet du Premier ministre dont il devient rapidement un fidèle partisan et collaborateur. Un an plus tard, il retourne à la Cour des comptes en tant que conseiller référendaire, mais ne tarde pas à s'engager en politique.
En 1965, il est élu conseiller municipal de Sainte-Féréole, en Corrèze, berceau de la famille Chirac, sans qu'il se soit présenté. Un an plus tard, Georges Pompidou l'envoie en Corrèze arracher la circonscription d'Ussel à l'opposition lors des élections législatives de 1967. Il est alors le fer de lance de l'opération dite des « Jeunes loups », à savoir l'alignement par le Premier ministre et les gaullistes de jeunes candidats prometteurs pour remporter des bastions traditionnels de la gauche dans le centre et l'ouest de la France.
Bénéficiant du soutien de Marcel Dassault, ami de son père, et de son journal, menant une campagne acharnée, il bat au second tour son adversaire Georges Émon, du Parti communiste français, de justesse (18 522 voix contre 17 985 pour son adversaire), dans un bastion du parti. Dans cette victoire à l'arrachée sur une gauche divisée (le candidat envoyé par la FGDS pour remplacer Maurice Audy, sénateur-maire de Meymac, un temps pressenti mais convaincu par Jacques Chirac de ne pas se présenter, n'est autre que le propre frère de François Mitterrand, Robert, lequel fait un score calamiteux), il bénéficie de la neutralité bienveillante de la gloire locale Henri Queuille et de l'inamovible maire d'Égletons, Charles Spinasse, ancien ministre socialiste de Léon Blum exclu de la SFIO pour faits de collaboration. Charles Spinasse affirme à cette occasion que Jacques Chirac est un type très « Front populaire ».
Moins d'un mois plus tard le 8 mai 1967, Jacques Chirac -- surnommé « mon bulldozer » par Georges Pompidou -- est nommé secrétaire d'État à l'Emploi auprès du ministre des Affaires sociales Jean-Marcel Jeanneney, dans le troisième gouvernement Pompidou, entamant une longue carrière ministérielle qui continuera dans tous les gouvernements successifs, dirigés par Maurice Couve de Murville, Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer, jusqu'en 1974. Plus jeune membre du gouvernement en 1967, l'une de ses premières réalisations est la création de l'Agence nationale pour l'emploi. Durant mai 68, il joue un rôle capital lors des Accords de Grenelle et devient l'archétype du jeune énarque brillant, parodié dans un album d'Astérix en 1976.
Aussitôt après mai 68, il est nommé secrétaire d'État à l'Économie et aux Finances, d'abord sous l'autorité du gaulliste François-Xavier Ortoli dans le gouvernement Maurice Couve de Murville, puis surtout du jeune ministre Républicain indépendant Valéry Giscard d'Estaing après l'élection à la présidence de la République de Georges Pompidou et la formation du ministère Chaban-Delmas en juin 1969. Les deux hommes se méfient l'un de l'autre, comme en témoigne le fait que Jacques Chirac n'est pas mis dans la confidence de la dévaluation du franc de 11,1 % en 1969, mais finissent par travailler en bonne intelligence. À ce poste, il patronne notamment la « procédure d'agrément », législation d'exception dont bénéficient les groupes industriels jugés les plus méritants par négociation à l'amiable directe de l'impôt sur les bénéfices. Ses adversaires l'accusent d'en avoir surtout fait profiter les groupes Dassault ou Bouygues, deux entreprises bien implantées en Corrèze, département où il a renforcé son assise locale en se faisant élire conseiller général pour le canton de Meymac le 27 février 1968 (réélu en 1970, 1976 et 1982) puis président du Conseil général en 1970 (réélu en 1973 et 1976, il abandonne ce poste en mars 1979 après être devenu maire de Paris).
De plus en plus proche de Georges Pompidou, il est choisi en juillet 1969 par le couple présidentiel pour devenir le premier directeur général de la Fondation Claude-Pompidou. Il commence également à cette époque à se lier avec deux collaborateurs du président de la République qui deviendront ses deux principaux conseillers durant les années 1970, Pierre Juillet et Marie-France Garaud.
Le 7 janvier 1971, Jacques Chirac est nommé directement par l'Élysée, et sans l'aval du chef de gouvernement Jacques Chaban-Delmas, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des relations avec le Parlement. Mais il obtient finalement son premier poste gouvernemental d'importance le 5 juillet 1972, en étant nommé ministre de l'Agriculture et du Développement rural, dans le gouvernement Messmer. Il s'y fait remarquer en obtenant massivement les voix des agriculteurs, et conservera tout au long de sa carrière politique une base électorale importante. Il devient notamment l'un des instigateurs de la première politique d'aide à l'agriculture de montagne, en lançant en 1973 l'indemnité spéciale de montagne (ISM). En novembre 1973, soutenu par le président, il revient sur des décisions de Valéry Giscard d'Estaing, alors en voyage, en annonçant le retrait du projet de loi de finance d'une nouvelle taxe sur la vente des fruits et légumes qui, dans un contexte de hausse des prix, s'était attirée la grogne des détaillants. Une fois de retour, le ministre des Finances ne peut qu'avaliser les promesses faites par son homologue de l'Agriculture.
En mars 1974, probablement à la suite de l'affaire des écoutes du Canard enchaîné, il « échange » son poste avec celui de Raymond Marcellin, jusque-là ministre de l'Intérieur. À la mort de Georges Pompidou le 2 avril suivant (qui l'affecte fortement, il apparaît alors ému aux larmes lors de la messe des funérailles du président à Notre-Dame de Paris), il milite pour une candidature rassemblant l'ensemble de la majorité face à l'union de la gauche derrière François Mitterrand et est hostile à Jacques Chaban-Delmas qu'il n'estime pas capable d'affronter ce dernier. Il choisit de soutenir tout d'abord le Premier ministre sortant, Pierre Messmer, un temps candidat, puis Valéry Giscard d'Estaing. Il rallie en sa faveur, et contre Chaban, 39 parlementaires et 4 ministres gaullistes, dit « Appel des 43 » et contribue ainsi largement à la victoire du ministre des Finances à l'élection présidentielle. Il bénéficie aussi d'une bonne connaissance du terrain et des élus locaux acquis en moins de deux ans au ministère de l'Agriculture, et surtout de sa position dans un ministère « stratégique » où il a la haute main sur les préfets, les Renseignements généraux, entre autres.
Le 27 mai 1974, en raison de son rôle décisif dans son élection, Valéry Giscard d'Estaing nomme Jacques Chirac Premier ministre. Il expose le 5 juin son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale, qui lui accorde le lendemain sa confiance par 297 voix contre 181. Il conserve l'appui de l'Union pour la défense de la République (qui ne compte que cinq ministres sur quinze, alors qu'ils étaient dix sur seize dans le précédent gouvernement) dont il devient le secrétaire général, sans même en avoir été membre, par 57 voix contre 27 au député-maire de Cambrai Jacques Legendre le 14 décembre. Il ne fait toutefois pas l'unanimité au sein du camp gaulliste. Ainsi, le ministre sortant des Relations avec le Parlement, Robert Boulin, qualifie son arrivée à la tête du parti de « hold-up » et rend sa carte de militant tandis que le député-maire de Brive-la-Gaillarde Jean Charbonnel avait déjà saisi, dès le 25 juin 1974, le tribunal administratif pour « violations graves, répétées, délibérées des statuts de l'UDR ». Jacques Chaban-Delmas, quant à lui, estime que : « M. Chirac n'a découvert le gaullisme qu'en comptant les sièges de l'Assemblée ».
À Matignon, il instaure un style détendu et studieux, travaillant souvent en bras de chemise et les pieds sur la table, tout en débutant un bras de fer avec le président. Tous deux désirent gouverner le pays et possèdent un caractère très différent : leur rivalité est la même depuis leurs tensions au ministère des Finances. De plus, Jacques Chirac se voit imposer par le président un grand nombre de ministres qu'il n'apprécie pas. C'est notamment le cas de Michel Poniatowski, qui lui succède à l'Intérieur et obtient en plus le titre de ministre d'État (ce qui en fait le no 2 du gouvernement derrière Chirac), et Jean-Jacques Servan-Schreiber, tous deux fermement antigaullistes. Jacques Chirac se débarrasse rapidement du cofondateur de L'Express sur la question des essais nucléaires. « JJSS » y est opposé et le fait savoir, ce qui le pousse à la démission dès le 9 juin 1974. Pour le remplacer, Valéry Giscard d'Estaing impose à Jacques Chirac le second co-fondateur de L'Express en la personne de Françoise Giroud, qui devient secrétaire d'État auprès du Premier ministre chargée de la Condition féminine le 16 juillet.
D'un autre côté, les réformes entreprises par Valéry Giscard d'Estaing surprennent puis agacent les gaullistes. Si Jacques Chirac s'investit personnellement dans la défense des plus symboliques d'entre elles, telles la majorité à 18 ans, la loi sur l'avortement, l'extension de la couverture de sécurité sociale ou la réforme de l'audiovisuel (avec l'éclatement de l'ORTF en sept entités autonomes, comprenant les trois chaines et Radio France, tout en conservant le monopole d'État), celles-ci, ainsi que certaines actions du président telles la « poignée de main » à des détenus en prison, rendent sceptiques l'UDR et vont, selon eux, à l'encontre des idéaux de l'électorat de droite. Beaucoup de « barons du gaullisme » lui reprochent alors d'être trop proche de l'Élysée, le contraignant à la démission du secrétariat général de l'UDR le 15 juin 1975 au profit d'un de ses proches, André Bord puis, à partir de 1976, Yves Guéna. Espérant être reconnu par le président de la République comme chef de la majorité, l'emploi par l'Élysée du terme de « majorité présidentielle » fait que les relations se tendent entre les deux têtes de l'exécutif. Les deux conseillers personnels de Jacques Chirac, Pierre Juillet et Marie-France Garaud, le poussent même à la rupture avec Valéry Giscard d'Estaing.
À ces difficultés d'ordre politique s'ajoute une mauvaise situation économique et sociale. Il est en effet le premier chef de gouvernement à être réellement confronté aux effets du premier choc pétrolier de 1973 : la France connaît alors sa première récession économique (le PIB se rétracte de 1,6 % au quatrième trimestre 1974 et de 1,5 % en 1975) depuis 1945, ainsi qu'une forte inflation (celle-ci croît de 13,8 % en 1974, soit la plus forte hausse depuis 1958), tandis que le nombre de demandeurs d'emploi passe de 200 000 à 1 million de personnes de 1974 à 1976. Dans un premier temps, le gouvernement s'efforce de lutter contre l'inflation née de la hausse du prix du baril de pétrole en adoptant le 12 juin 1974 un plan de « refroidissement » préparé par le ministre de l'Économie et des Finances « giscardien » Jean-Pierre Fourcade (il comprend notamment l'opération « frein sur les prix » qui passe par des accords de programmation de hausse avec les producteurs et les distributeurs, la loi du 30 décembre 1974 instaurant un prélèvement exceptionnel contre l'inflation assis sur les accroissements excessifs de marge et la revalorisation du rôle du comité national des prix par décret du 7 août 1975). Cette action déflationniste permet à la hausse des prix d'être moins importante les années suivantes (+ 11,9 % en 1975 et + 9,5 % en 1976) et de réduire le déficit commercial du pays, mais fait chuter dans le même temps le taux d'investissement, fragilisant d'autant la production notamment dans le secteur industriel (celle-ci baisse de plus de 10 % en quelques mois).
Jacques Chirac et les gaullistes s'opposent à ce plan, étant favorables à des mesures de relance de l'économie par l'investissement. Le Premier ministre déclare ainsi en juillet 1975 : « Le plan de refroidissement a assez duré. Il ne faut pas écouter les technocrates imbéciles qui veulent freiner les investissements. Les entreprises ont besoin d'une relance ». Sa vision s'impose alors progressivement au président de la République et, après un premier programme « timide » de 6 milliards de Francs complété d'un emprunt de 15 milliards redistribué aux petites et moyennes entreprises au début de l'année 1975, un véritable virage dans la politique économique du gouvernement a lieu en septembre 1975 avec l'abandon du « refroidissement », l'allégement des restrictions de crédits (que sont l'encadrement, les réserves obligatoires et le taux d'intervention de la Banque de France), la mise en place d'un plan de relance de 30,5 milliards de Francs et l'adoption d'un report d'impôt sur les bénéfices pour les entreprises. Cette rupture permet à la production industrielle de repartir à la hausse tout en conservant une inflation stable autour de 10 %, mais entraîne un déficit de la balance commerciale de 40 milliards et déstabilise le Franc qui se déprécie d'environ 4,5 % et doit sortir du Serpent monétaire européen le 15 mars 1976.
Fervent partisan de l'énergie nucléaire, celle-ci devient alors un choix stratégique afin de limiter la dépendance de la France vis-à-vis des importations d'hydrocarbures. Le conseil de planification décide ainsi le 28 janvier 1975 de limiter à 15 % cette dépendance d'ici à 1985. La France ne possède en 1974 que dix réacteurs répartis en six centrales pour une puissance totale d'à peine 2 800 MW, et huit sont en cours de construction : entre 1975 et 1976, la France lance les travaux de 13 réacteurs supplémentaires. Le secteur de l'industrie atomique est de plus réorganisé le 6 août 1975, avec le choix de Framatome, filiale du Creusot-Loire, comme seul constructeur des centrales, tandis que le CEA est divisé entre plusieurs filiales autonomes. Le 19 janvier 1976, la COGEMA, filiale à 100 % du CEA, est créée pour s'occuper du cycle de combustion nucléaire, entraînant une assez forte contestation au sein du personnel du CEA. Enfin, le gouvernement donne son feu vert le 15 avril 1976 pour le lancement du projet Superphénix, prototype de réacteur à neutrons rapides.
À ceci s'ajoute une politique commerciale offensive, le Premier ministre se faisant le défenseur des industries et technologies françaises à l'étranger. Le 24 juin 1974, à l'occasion de la visite du chah d'Iran Mohammad Reza Pahlavi, celui-ci signe pour 20 à 22 milliards de contrats d'armement, l'achat de cinq centrales nucléaires et l'obtention par des entreprises françaises de la construction du métro de Téhéran et l'électrification des chemins de fer. Plus tard dans l'année, le 20 décembre, Jacques Chirac se rend en retour en Iran et obtient cette fois-ci la signature pour 35 milliards de francs, dont l'adoption par Téhéran du procédé de télévision en couleur français SÉCAM. Il fait de même avec l'État Baasiste d'Irak, encore considéré comme respectable par l'Occident à cette époque (car laïc et en apparence moderniste) : il se rend à Bagdad le 30 octobre 1974 pour obtenir des promesses d'achat pour l'industrie française à hauteur de 15 milliards de Francs, dont une fois de plus le procédé SÉCAM. Mais surtout, un accord de coopération énergétique est signé entre les deux pays le 18 novembre 1975, avec l'obtention pour des compagnies pétrolières françaises d'avantages, le partage à 23 % du pétrole irakien et le projet d'installation d'un réacteur nucléaire expérimental de 1 500 MW dédié à la recherche atomique civile en Irak (vite abandonné pour des raisons techniques, il préfigure un second accord signé le 26 août 1976 à l'origine de la construction du réacteur de 70 MW d'Osirak, surnommé « Ô Chirac » par les Israéliens et une partie de la presse francophone et utilisé par les milieux néo-conservateurs et certains médias américains à partir de 2002 afin de critiquer la position de Jacques Chirac et de la France vis-à-vis de la guerre d'Irak). Cette attitude de « VRP » du « savoir-faire à la Française » lui vaut d'être parodié en bande dessinée, par le scénariste René Goscinny (qui le croque à nouveau dans l'album d'Astérix Obélix et Compagnie deux ans plus tard) associé au dessinateur Jean Tabary, dans une courte histoire d'Iznogoud paru dans le Journal du Dimanche du 8 décembre 1974.
Le 11 janvier 1976, le président effectue un remaniement ministériel contre l'avis du Premier ministre : les ministres dont il souhaitait le départ, à savoir Michel Poniatowski, Jean-Pierre Fourcade et Françoise Giroud, sont maintenus, et l'équipe gouvernementale est augmentée de six secrétaires d'État dont un seul de l'UDR, alors que le Premier ministre voulait la restreindre et augmenter le nombre de gaullistes en son sein. Il dénonce le pouvoir exercé par Valéry Giscard d'Estaing et, après la défaite de la droite aux élections cantonales de mars 1976 (neuf départements passent alors à gauche), il demande l'organisation d'élections législatives anticipées au cours desquelles son rôle de coordinateur de la majorité serait reconnu et une refonte complète de l'action gouvernementale : abandon de certaines réformes comme la taxation sur les plus-values et une politique plus axée sur le plan social et la défense des libertés.
Après une rencontre au fort de Brégançon le 6 juin 1976, Jacques Chirac se laisse convaincre par ses collaborateurs, considérant qu'il est devenu l'« huissier de la présidence », et décide de quitter son poste. Il remet sa lettre de démission au président de la République le 26 juillet 1976, mais il accepte de ne la rendre officielle que le 25 août à 11h40. Il se justifie avec éclat lors d'une conférence de presse tenue à l'Hôtel Matignon le jour de son départ : « Je ne dispose pas des moyens que j'estime aujourd'hui nécessaires pour assumer efficacement mes fonctions de Premier ministre et dans ces conditions, j'ai décidé d'y mettre fin ». Il aurait affirmé à Valéry Giscard d'Estaing « qu'il voulait quitter la vie politique et qu'il s'interrogeait sur sa vie, et qu'il parlait même de monter une galerie d'art ». Quoi qu'il en soit, remplacé par
Raymond Barre, il est dénoncé dès le soir du 25 août par Valéry Giscard d'Estaing dans une interview donnée à TF1. Le chef de l'État reproche à son ancien Premier ministre d'être incapable de résoudre le problème de l'inflation et d'informer clairement l'opinion publique des buts poursuivis par le gouvernement, et considère qu'il manque d'autorité et est inapte à donner aux débats politiques la sérénité nécessaire. L'opposition porte un jugement beaucoup moins dur sur son passage à Matignon, car si Georges Marchais considère Jacques Chirac comme « le Premier ministre le plus antisocial » qu'il ait jamais rencontré, François Mitterrand dit de lui qu'il a été « le meilleur Premier ministre » que la majorité ait eu à son service.
Ayant retrouvé sans difficulté son siège de député de la 3e circonscription de Corrèze à l'élection partielle du 14 novembre 1976 (avec 53,65 % des suffrages exprimés dès le premier tour), son suppléant le maire d'Ussel Henri Belcour (qui occupait son siège à sa place depuis 1967) ayant démissionné pour lui permettre de se présenter à nouveau devant ses électeurs, il entre pour la première fois de manière effective à l'Assemblée nationale. Il y intègre la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales (il en est membre jusqu'en 1986, puis de nouveau de 1988 à 1993 et de 1994 à 1995). Il s'attache alors à s'assurer le soutien de la famille gaulliste et à affirmer son poids au sein de la majorité, face aux partisans du président de la République. Il annonce sa volonté de rénover l'UDR le 3 octobre 1976 à Égletons, en plein coeur de son fief électoral de Corrèze, sur la base d'un « véritable travaillisme à la française ». Lors des assises nationales du parti à la Porte de Versailles à Paris le 5 décembre suivant, auxquelles participent 50 000 personnes, l'UDR se dissout pour donner naissance au Rassemblement pour la République (RPR). Jacques Chirac en est élu président à 96,52 % des voix, et désigne son ancien directeur de cabinet à Matignon, Jérôme Monod, comme secrétaire général. Jacques Chirac, désirant une force politique populaire, se déplace dans toute la France et une importante campagne de recrutement est lancée (le RPR compte ainsi 700 000 adhérents à la veille des élections législatives de 1978) et ce nouveau mouvement devient bientôt une importante puissante machine électorale tant orientée contre l'opposition que contre les « Giscardiens », en voulant incarner une voie médiane entre « le programme démagogique de la gauche socialo-communiste » et « les solutions de la droite conservatrice, orthodoxe, classique ». En effet, lors d'un meeting de 100 000 personnes à la Porte de Pantin le 10 février 1977, l'ancien Premier ministre dénonce le « capitalisme sauvage » et affirme que les gaullistes ne doivent pas être confondus avec les « tenants du libéralisme classique » et la « droite » assimilée au giscardisme et au centrisme. Il définit à cette époque le projet gaulliste comme la version française de la social-démocratie.
En effet, Jacques Chirac critique de plus en plus ouvertement le gouvernement de son successeur
Raymond Barre et multiplie les actions de déstabilisation à l'égard de Valéry Giscard d'Estaing, selon une stratégie élaborée par Pierre Juillet et Marie-France Garaud. C'est ainsi qu'il annonce le 19 janvier 1977 sa candidature à la mairie de Paris, fonction ressuscitée après plus de 105 ans d'absence par le nouveau statut de la ville voté au Parlement en décembre 1975 (et auquel Jacques Chirac s'était opposé), contre celle de Michel d'Ornano, ministre RI en exercice proche du président de la République et soutenu directement par l'Élysée, déjà en course depuis le 12 novembre 1976. Ce que les médias qualifient alors de « bataille de Paris » donne lieu, à coup de sondages « trafiqués » fournis par les deux camps toutes les semaines et de petites phrases, à une campagne acharnée entre les listes « Union pour Paris » du président du RPR et celles « Protection et Renouveau pour Paris » du giscardien, qui s'affrontent dans 17 des 18 secteurs de vote créés par le statut de 1975 (seul dans le 7e arrondissement la majorité réussit à s'unir derrière le député RI et conseiller sortant Édouard Frédéric-Dupont). Michel d'Ornano, maire sortant de Deauville, est présenté par ses adversaires et perçu par beaucoup de Parisiens comme un « parachuté » et un aristocrate « élevé dans un pantalon de flanelle ». Les partisans de Jacques Chirac, lui aussi élu d'un autre département, présentent en revanche ce changement de fief électoral comme un « retour aux sources », étant né et ayant fait l'essentiel de sa scolarité dans la capitale. De plus, il n'est tête de liste dans aucun secteur de vote, n'étant présent qu'en seconde position sur celle du 5e arrondissement, derrière Jean Tiberi.
Il sait également s'appuyer sur la classe politique locale, autant sur les gaullistes historiquement bien implantés dans la capitale que sur la droite dite « modérée », pourtant plutôt proche des RI, mais n'appréciant guère la décision de Valéry Giscard d'Estaing et de
Raymond Barre d'appuyer un non-parisien pour mener la majorité présidentielle. Ainsi, sur les 105 noms des listes « Chirac », pas moins de 37 sont des élus de la capitale, soit :
- 17 députés sur les 31 élus (dont 11 sont également conseillers sortants de Paris) dans les circonscriptions de la ville et notamment 15 sur les 18 du RPR (et non des moindre puisque l'on peut citer parmi eux l'ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle Maurice Couve de Murville dans le 8e, une parente par alliance du maréchal Leclerc, Nicole de Hautecloque, dans le 15e, le président sortant du Conseil de Paris, et donc dernier à avoir exercé cette fonction, Bernard Lafay dans le 17e ou l'ancien Résistant Joël Le Tac dans le 18e) mais aussi 2 des 6 RI (tous deux dans le 16e arrondissement),
- 31 conseillers de Paris (dont 11 sont également députés, et un d'entre eux, le RI Pierre-Christian Taittinger, est ministre en exercice).
Les « chiraquiens » mettent en place une campagne active et féroce : leur candidat multiplie les tournées des marchés et des commerces et les bains de foule, insiste sur des thèmes porteurs tels que la propreté de la ville, la fuite des familles modestes et moyennes qu'il veut interrompre et parle de « démocratie du quotidien ». L'agressivité culmine avec l'« affaire Françoise Giroud » : la secrétaire d'État à la Culture doit se retirer de la liste « d'Ornano » du 15e arrondissement, après avoir revendiqué sur des tracts être décorée de la Médaille de la Résistance alors qu'aucun document officiel n'indique qu'elle ait jamais reçu cette décoration, ce que l'équipe du RPR a mis à profit d'autant plus facilement qu'il a aligné face à elle dans cet arrondissement une parente du Maréchal Leclerc. Au premier tour le 13 mars, l'Union de la gauche, emmenée par le communiste Michel Fizbin et le socialiste Georges Sarre, arrive en tête grâce aux divisions de la droite et à sa forte implantation dans l'est parisien, avec 32,1 % des suffrages exprimés, tandis que les listes « Chirac » remportent les « primaires » de la majorité avec 26,2 % contre 22 % à Michel d'Ornano (seule la liste d'union d'Édouard Frédéric-Dupont, avec près des deux tiers des voix dans son secteur de vote, obtient des élus - 4 - au premier tour). L'« Union pour Paris » dépasse ainsi « Protection et Renouveau pour Paris » dans 11 secteurs (à savoir ceux des 1er-4e, 5e, 6e, 8e, 9e, 10e, 11e, 13e, 14e, 15e et 17e arrondissements). Au second tour, la semaine suivante, il l'emporte avec à peine 2 000 voix d'avance sur l'Union de la gauche, 45 % des voix et 50 sièges (auxquels se sont ajoutés les 4 élus du 7e arrondissement), contre 40 à l'opposition et 15 aux candidats de la liste d'Ornano,,.
Le 25 mars 1977, il devient le premier maire de Paris depuis Jules Ferry. Le poste qu'il obtient, nouvellement créé, est très important : quinze milliards de francs de budget, 40 000 fonctionnaires. C'est un contre-pouvoir important mais aussi et surtout un excellent tremplin électoral. Ses premières mesures consistent essentiellement à revenir sur des décisions ou projets gouvernementaux : abandon (et destruction du premier niveau déjà réalisé) du projet controversé de « Monument au Vert » aux Halles de Paris confié jusqu'alors à l'architecte espagnol Ricardo Bofill, soutenu par l'Élysée, et remplacé par les non moins critiqués « parapluies » du français Jean Willerval, inaugurés en 1983 ; le soutien dès 1978 à la reprise de la construction de la Voie Express - Rive gauche, voulue par Georges Pompidou mais abandonnée par Valéry Giscard d'Estaing en 1974. Mettant de plus l'accent sur la propreté (avec le lancement du programme « Paris ville propre » qui comprend une augmentation et une modernisation du matériel de ramassage de détritus, dont les fameuses « motocrottes », la hausse des effectifs avec la constitution des « Commandos de la Propreté », la réhabilitation de certaines friches industrielles, notamment sur les quais de la Seine, et de quartiers populaires ou encore la lutte contre la pollution de la Seine avec la promesse qu'il s'y baignerait en 1995), il gagne assez vite la confiance des Parisiens puisqu'un sondage Louis Harris - France pour L'Express démontre que 62 % des habitants de la capitale interrogés le jugent bon maire, et 52 % un maire plutôt sympathique, tandis que 36 % reconnaissent qu'il donne alors la priorité à son rôle de président du RPR contre 27 % à celui de premier magistrat de la ville. Mais l'opposition, emmenée par le socialiste Paul Quilès, lui reproche de ne rien faire pour améliorer l'habitat social et de lutter contre la hausse du foncier, et de favoriser l'« embourgeoisement ». Ses adversaires l'accusent également d'avoir mis en place un système jugé « clientéliste » et d'avoir utilisé, pour l'appareil du RPR et à des fins purement électorales, un certain nombre de moyens de la municipalité parisienne : emplois fictifs, marchés publics du bâtiment (voir les affaires), frais de bouche.
Fort de ce succès à Paris, Jacques Chirac espère affirmer la place de son nouveau parti comme première force politique de la majorité lors des élections législatives des 12 et 19 mars 1978, et devancer ainsi la grande formation formée le 10 janvier 1978 par la réunion de tous les mouvements du centre et de la droite non gaulliste (le Parti républicain qui a pris la relève des RI, le CDS, les radicaux valoisiens et le PSD) afin de soutenir directement l'action du président de la République et de son gouvernement : l'Union pour la démocratie française (UDF). Or, le résultat du RPR est loin de rejoindre les espoirs de ses dirigeants.
En effet, au premier tour le 12 mars, le parti chiraquien n'arrive qu'en troisième position avec 22,8 % des suffrages exprimés (soit près de deux points de moins que le score obtenu par l'UDR en 1973, la famille gaulliste perdant pour la première fois depuis 1958 son statut de première force politique du pays), derrière l'alliance PS-MRG (26,3 %) et surtout après l'UDF (23,9 %). Le second tour permet toutefois au RPR de conserver sa place de premier groupe politique à l'Assemblée nationale, avec 154 sièges sur 491, mais lui fait perdre tout de même 19 députés par rapport à la législature sortante. Jacques Chirac est quant à lui réélu dans sa troisième circonscription de Corrèze sans difficulté et dès le premier tour, en améliorant de plus son résultat de 1976 avec 55,8 % des voix.
Cette victoire en demi-teinte affaiblit sa position de leader du camp gaulliste, et il se retrouve pris en tenaille entre les partisans d'une rupture totale avec les Giscardiens (emmenés par Michel Debré qui, aux assises de Biarritz en septembre 1978, propose le dépôt d'une motion de censure) et ceux au contraire favorables à un rapprochement (tels Jacques Chaban-Delmas, qui retrouve la présidence de l'Assemblée nationale le 3 avril grâce au soutien des députés UDF et contre le candidat officiel du groupe RPR, Edgar Faure, ou encore des ministres gaullistes du gouvernement Barre III). Jacques Chirac adopte alors une position médiane, sanctionnant ceux devenus trop proches du pouvoir (dès le début de la nouvelle législature, le conseil national du parti décide que les fonctions de président de l'Assemblée et de membres du gouvernement sont incompatibles avec un poste de dirigeant du mouvement) tout en rejetant la rupture, lui préférant une pression continue sur l'exécutif notamment dans les domaines économiques et sociaux. Il s'attire ainsi de plus en plus l'hostilité des « barons » et des ministres, qui lancent une campagne contre la « bande des quatre », constituée des quatre principaux conseillers de Jacques Chirac (Yves Guéna, Charles Pasqua, Pierre Juillet et Marie-France Garaud) et dont l'influence est jugée trop importante.
Le 26 novembre 1978, Jacques Chirac est victime d'un accident sur une route de Corrèze et est transporté à l'hôpital Cochin à Paris. De là, il lance l'« Appel de Cochin », écrit par Pierre Juillet et apporté dans sa chambre d'hôpital par Marie-France Garaud : il y dénonce le « parti de l'étranger », c'est-à-dire l'UDF, en accusant le parti de Valéry Giscard d'Estaing d'agir au nom de l'Europe et contre les intérêts de la France dont il « prépare l'inféodation » et « consent à l'idée de son abaissement ». La réaction au sein des « giscardiens » du RPR ne se fait pas attendre : Lucien Neuwirth décide de ne plus voter aux conseils nationaux, Hélène Missoffe et Alexandre Sanguinetti démissionnent tandis que le garde des Sceaux Alain Peyrefitte écrit une lettre à tous les parlementaires du parti dans laquelle il condamne « ces propos outranciers ». Pour cela, il est exclu du mouvement pour six mois, mais tous les membres RPR du gouvernement se solidarisent avec lui. C'est au tour d'Yves Guéna, premier de la « bande des quatre » à rompre avec lui, de marquer son mécontentement au début de l'année 1979 pour protester contre le fait qu'il n'ait pas été mis au courant au préalable de l'annonce faite par Jacques Chirac aux journées parlementaires du parti à la Guadeloupe qu'il allait demander la mise en place de deux commissions d'enquête (dont une sur l'information à la radio et à la télévision, ou il estime que son image y est malmenée) et la convocation d'une session extraordinaire du Parlement pour remettre en cause la politique économique et sociale du gouvernement. Pourtant, lors de la tenue de cette dernière, obtenue grâce à la même demande de la gauche, du 14 au 16 mars 1979, Jacques Chirac n'intervient pas et empêche que le RPR vote la motion de censure déposée par l'opposition socialiste (le parti néo-gaulliste choisit alors l'abstention).
Le 7 juin 1979, l'organisation des premières élections européennes au suffrage universel direct lui donne une nouvelle fois l'occasion d'affronter les partisans du président de la République. Il prend ainsi lui-même la tête de la liste « Défense des intérêts de la France en Europe » et reprend le thème traditionnel gaulliste de l'« Europe des Nations », défendu dans l'Appel de Cochin et par Michel Debré, et s'oppose à liste UDF, très fédéraliste et « européiste », emmenée par Simone Veil. Lors d'un meeting à Bagatelle le 4 juin, il déclare : « Ce qui nous sépare de l'UDF sur l'Europe est incomparablement plus profond que ce qui nous unit ». C'est alors un échec retentissant, ne réussissant pas à intéresser un électorat gaulliste très peu enthousiasmé par ce scrutin : sa liste n'arrive donc qu'en quatrième position avec seulement 16,31 % des suffrages et 15 sièges de parlementaire européen sur les 81 dont disposent la France, et est dépassé non seulement par Simone Veil qui arrive en tête (27,61 %, 25 élus), mais aussi par les socialistes de François Mitterrand (23,53 %, 22 sièges) et les communistes de Georges Marchais (20,52 % et 19 élus). L'abstention s'est élevée à près de 40 %. Bien que techniquement élu au Parlement européen de Strasbourg, Jacques Chirac abandonne immédiatement ce mandat, préférant ses fonctions locales ou nationales. Après cette défaite, et sur l'insistance de certains de ses proches (dont
Bernadette Chirac) de plus en plus critiques à l'égard de l'influence de Pierre Juillet et Marie-France Garaud, il se sépare de ces derniers et commence à réorganiser ses troupes en vue de la présidentielle de 1981.
Sa candidature à l'élection présidentielle semble pourtant être remise en question : sa position est en effet particulièrement instable au sein du RPR, s'étant attiré la méfiance tant de la vieille garde orthodoxe du mouvement gaulliste groupée autour de Michel Debré qui annonce sa propre candidature le 30 juin 1980, mais aussi de l'aile la plus « giscardienne » (Jacques Chaban-Delmas, Olivier Guichard, Jean Foyer ou Yves Guéna) opposée à l'attitude d'opposition à peine voilée adoptée par Jacques Chirac à l'égard du gouvernement et du président de la République (ainsi, le RPR pousse le gouvernement à recourir à l'Article 49.3 et donc à engager sa responsabilité sur une série de projets de loi lors de la session d'automne 1979, tandis que le 9 décembre Jacques Chirac évoque devant le comité central du parti « l'incapacité de ceux qui ont mission de guider le pays »). De plus, certains de ses proches, dont
Bernadette Chirac, Jean de Lipkowski ou Alain Juppé estiment qu'il serait prématuré pour lui de se lancer déjà dans la bataille pour les présidentielles, tandis que d'autres (Charles Pasqua ou Bernard Pons) le poussent au contraire à s'engager.
Jacques Chirac hésite ainsi, estimant qu'une « bonne candidature » doit représenter « le refus de ce qui semble inévitable », « symboliser le renouveau et l'espérance qui sont l'essence même du gaullisme » et ne doit être déposée que si l'on a la volonté « de gagner, donc d'être présent au second tour ». Toutefois, le 25 octobre 1980, il déclare : « Longtemps j'ai attendu un changement de la part du président » et compare la situation politique du moment avec la fin de la IVe République. Beaucoup estiment alors que l'annonce de sa candidature n'est plus qu'une question de temps.
Il annonce finalement sa candidature le 3 février 1981 en se présentant comme le seul légitime à pouvoir se poser en « rassembleur des gaullistes » et en se fixant pour objectif d'« arrêter le processus de dégradation de la France » qu'il attribue « au comportement des responsables de l'État ». Il installe son quartier général rue de Tilsitt à Paris, tandis que Charles Pasqua est nommé coordonnateur de sa campagne. Il expose son programme le 10 février, en l'axant sur les thèmes de la réduction des impôts -- suivant l'exemple de
Ronald Reagan --, du retour à une politique étrangère volontariste et du « changement sans risque », effectuant ainsi un virage à droite depuis son discours du « travaillisme à la française » de la fin des années 1970, entamant ce que certains politologues, dont Jean Baudouin, ont appelé le « moment néo-libéral du RPR ». Il attaque tout particulièrement le président sortant dont il dénonce « l'irrésolution » en politique étrangère (reprenant alors le thème du « parti de l'étranger »), le « manque de fermeté » dans le maintien de l'ordre républicain et une tendance au « collectivisme rampant ». Il est soutenu par certaines personnalités des lettres, du spectacle ou du monde sportif, tels l'accordéoniste Aimable, les acteurs
Jean Marais et Moustache, la romancière Juliette Benzoni, le comédien
Roger Carel, le peintre Bernard Buffet et son épouse l'écrivaine
Annabel, la meneuse de revue et chanteuse
Line Renaud et son époux et compositeur Loulou Gasté, la présentatrice de télévision Sophie Darel, l'athlète médaillé olympique de 110 mêtres haies Guy Drut ou encore le judoka lui-aussi champion olympique Thierry Rey. Parmi les slogans de campagne, on retrouve la chanson Jacques Chirac Maintenant.
Il obtient au premier tour, le 26 avril, 18,00 % des voix au premier tour, soit un peu plus de 5 millions de voix, et se retrouve largement distancé par Valéry Giscard d'Estaing (28,32 %) et François Mitterrand (25,85 %), qui remporte le second tour. Toutefois, il confirme alors son statut de chef naturel de la famille politique gaulliste, puisqu'il fait mieux que Jacques Chaban-Delmas en 1974 (il avait alors obtenu 15,10 %), tandis que les scores cumulés des deux autres candidatures gaullistes, celles de Michel Debré et de Marie-France Garaud, n'atteignent qu'environ 3 %.
Jacques Chirac annonce dès le lendemain du scrutin que, « personnellement », il votera pour le chef de l'État sortant. Ses militants, et surtout ses jeunes militants, retiennent le peu de conviction du message et votent massivement pour le candidat de l'opposition. Selon Valéry Giscard d'Estaing,
Raymond Barre et Christian Bonnet, la permanence du RPR conseille de voter pour François Mitterrand entre les deux tours ; Valéry Giscard d'Estaing explique que François Mitterrand lui aurait confirmé avoir rencontré Jacques Chirac chez Édith Cresson à cette occasion. Toujours selon Valéry Giscard d'Estaing, la stratégie de Jacques Chirac est alors de faire élire François Mitterrand puis d'essayer d'obtenir une nouvelle fois la majorité au parlement, le leader socialiste étant obligé de dissoudre la chambre issue de 1978. Pour Jacques Chirac, la présence de ministres communistes créerait chez les Français un tel sentiment de peur, comparable à celui de mai 1968, qu'il provoquerait un nouveau raz-de-marée gaulliste. Pierre Messmer confirme cette version des faits. Toutefois, une majorité des parlementaires RPR appellent à voter VGE, tandis que Jacques Chirac met en garde le 6 mai les électeurs contre François Mitterrand qui, selon lui : « persiste à s'inspirer de principes économiques qui ont échoué partout où ils ont été appliqués ». Au second tour, le 10 mai, le candidat socialiste est élu, avec 51,76 % contre 48,24 %.
Aux élections législatives de juin 1981, qui sont marquées par une « vague rose » née de l'« état de grâce » du nouveau président, le RPR n'obtient que 20,9 % des suffrages exprimés (et l'« Union pour la nouvelle majorité », coalition de droite fondée sur des candidatures uniques dans chaque circonscription et qui l'associe à l'UDF et aux divers droites, ne réunit que 42,9 % des suffrages, face aux 36 % du PS et aux 54,3 % de la majorité présidentielle en général) et ne remporte que 83 sièges. Pour sa part, Jacques Chirac est réélu en Corrèze une nouvelle fois au premier tour, mais plus faiblement qu'auparavant puisqu'il ne passe que de peu la barre de la majorité absolue (50,6 %), face à un jeune candidat socialiste tout juste sorti de l'ENA, François Hollande, et à son adversaire habituel depuis 1976, le communiste Christian Audouin.
Malgré ce premier échec, Jacques Chirac s'attache à rapidement s'assurer un rôle de premier plan au sein de l'opposition, fort des sondages qui font état, dès la fin de l'année 1981, de 32 % de Français interrogés le considérant comme le meilleur candidat à la prochaine élection présidentielle, contre seulement 13 % à Valéry Giscard d'Estaing et 8 % à
Raymond Barre. Ainsi, le 7 octobre 1981, le « Club 89 » est créé au sein du RPR. Présidé par Michel Aurillac, et animé par un fervent « chiraquien », Alain Juppé, il s'agit d'un « laboratoire d'idées » chargé de « préparer un projet politique applicable dans l'environnement de 1989 », mais en réalité véritable « contre-gouvernement » chargé d'élaborer les programmes du parti pour les principales échéances futures : les législatives de 1986 et la présidentielle de 1988. En attendant, Jacques Chirac retrouve sans difficulté la présidence du parti, qu'il avait quittée à la veille de sa candidature à la présidence, lors des Assises de Toulouse en janvier 1982.
Il affirme alors son virage vers le libéralisme économique entamé durant la campagne présidentielle, afin de se poser comme le véritable rempart face au « socialo-communisme » du gouvernement Mauroy et comme une alternative au « libéralisme avancé » de l'UDF qui, selon lui, a déçu en étant trop libéral sur le plan des moeurs et de la sécurité, et pas assez sur le plan économique, et dont la politique menée depuis 1976, qu'il qualifie de « socialisme rampant », a ouvert le chemin à la victoire de la gauche. Il condamne tout d'abord le « trop d'État » dans le domaine économique et social, ce que Michel Aurillac résume lors d'une réunion du « Club 89 » en 1983 : « L'État est un garant et non un gérant, il faut donc lutter contre son hypertrophie », s'oppose aux nationalisations et prône donc la fin de la planification et la déréglementation de l'économie, la dénationalisation et la lutte contre la bureaucratie de l'État et la libéralisation du système de protection sociale, selon le modèle de la politique menée à la même époque au Royaume-Uni par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher. Mais dans le même temps, il défend un profond ordre moral et donc un renforcement de l'État dans les domaines de la sécurité des personnes et des biens (et cela même si Jacques Chirac est l'un des rares parlementaires de l'opposition à avoir voté pour l'abolition de la peine de mort le 18 septembre 1981). Le RPR et Jacques Chirac s'alignent donc sur les mouvements du conservatisme libéral des autres pays d'Europe, et, pour ce faire, abandonne les aspects les plus « gaulliens » sur le plan de la politique étrangère et européenne, n'hésitant pas à défendre devant
Ronald Reagan, lors d'une rencontre avec le président américain en janvier 1983, l'idée d'une « défense européenne commune » étroitement liée à l'OTAN. Ces prises de position tendent alors à s'approcher des aspirations de ceux considérés comme l'électorat traditionnel du mouvement gaulliste et duquel celui-ci, gagné par l'usure du pouvoir, s'était peu à peu éloigné, à savoir les petits entrepreneurs, commerçants, les professions libérales, les agriculteurs, les propriétaires et les personnes âgées.
Cette « révolution idéologique » s'accompagne d'un renouvellement et d'un rajeunissement des cadres du parti, favorisé par le départ ou la mise à l'écart de la plupart des grands « barons du gaullisme » dans la suite de la candidature manquée de Michel Debré. Selon le journaliste politique Alain Duhamel, sur les 500 000 militants revendiqués par le RPR, 80 % d'entre eux n'ont jamais adhéré aux différents mouvements qui l'ont précédé dans cette famille politique (UNR puis UDR). Et, suite aux élections municipales de 1983, 48 % des nouveaux maires issus du parti élus à la tête d'une commune de plus de 30 000 habitants ont moins de 43 ans. Parmi ces trentenaires et quadragénaires, on peut citer Alain Juppé (proche collaborateur de Jacques Chirac à la mairie de Paris, secrétaire général du « Club 89 », maire du 18e arrondissement depuis 1983 et secrétaire national du parti au redressement économique et social à partir de 1984), Jacques Toubon (maire du 13e arrondissement de Paris en 1983 et secrétaire général du RPR à partir de 1984), Philippe Séguin (maire d'Épinal en 1983 et secrétaire national du parti chargé de la Décentralisation en 1984) ou
Nicolas Sarkozy (protégé de Charles Pasqua, ancien président du comité de soutien des jeunes à la candidature de Jacques Chirac à la présidentielle de 1981 et maire de Neuilly-sur-Seine en 1983).
Alors que le gaullisme, tout en s'étant imposé comme une force politique de premier ordre sur le plan national, n'avait jamais réussi à percer réellement dans les élections locales (cantonales ou municipales), l'une des premières conséquences du « recentrage » du RPR vers des positions traditionnelles de la droite lui permet de se « notabiliser » et donc de remporter un certain succès lors des élections cantonales de 1982 et des municipales de 1983. Aux premières, le RPR obtient ainsi le score le plus important jamais obtenu par une formation gaulliste à ce type de scrutin, à savoir 17,9 % des suffrages exprimés au premier tour et au final 323 nouveaux sièges de conseillers généraux (portant le nombre d'élus départementaux du parti à 495, contre 343 avant l'élection, tandis que le mouvement préside désormais 13 assemblées départementales). Et, suite aux secondes, en mars 1983, le nombre de communes de plus de 30 000 habitants dirigées par le parti chiraquien passent de 15 à 35. Par conséquent, les élections sénatoriales de septembre 1983 consacre cette nouvelle assise locale puisque le groupe RPR à la chambre haute du Parlement français passe de 41 à 58 sénateurs.
Ceci renforce d'autant plus la position de Jacques Chirac au sein de la majorité que lui-même remporte une importante victoire aux municipales de Paris en 1983. Pourtant, celles-ci s'annonçaient difficiles. Tout d'abord, la loi PLM du 31 décembre 1982 (qui divise notamment la Ville de Paris en vingt mairies, soit une par arrondissement, chaque conseil d'arrondissement envoyant une partie de ses membres au conseil de Paris qui cumule les fonctions de conseil municipal à l'échelle de la Ville de Paris et de conseil général du département) est préparée par le ministre de l'Intérieur socialiste Gaston Defferre sans que Jacques Chirac ait été consulté, celui-ci y voyant alors une manoeuvre électoraliste visant à diminuer son autorité dans la gestion de la capitale et à augmenter l'influence de la gauche, minoritaire sur l'ensemble de la ville mais bien implantée dans les arrondissements de l'est. Ensuite, une campagne de certains membres du gouvernement et de médias est lancée à partir de 1982 contre sa gestion. Gaston Defferre est notamment condamné en avril 1982 en première instance à 1 500 F d'amende et à verser un franc symbolique de dommage et intérêt à Jacques Chirac pour diffamation après avoir accusé la Ville de Paris ainsi que son maire, Bernard Pons et Charles Pasqua d'avoir bénéficié de largesses et perçu de l'argent au profit de la municipalité de la part du cercle de jeu Haussmann dirigé par Marcel Franceschi, assassiné en mars 1982. Un reportage de TF1 dénonce les conditions de vie des pensionnaires de la maison médicale de Cachan, puis une enquête de Libération vise les « bureaux d'études » utilisés par la Ville et enfin le Canard enchaîné accuse le président du RPR d'avoir financé en partie sa campagne de 1981 à partir de fonds reçus du régime Gabonais d'Omar Bongo par le biais d'ELF Aquitaine et de son « Monsieur Afrique », André Tarallo, ancien condisciple de Jacques Chirac à l'ENA (une accusation que Valéry Giscard d'Estaing réitèrera en 2009, à la mort de Bongo). Enfin, de nombreuses figures du gouvernement ou de la majorité s'investissent personnellement dans les différentes listes menées à l'échelle de la ville par Paul Quilès (lui-même candidat dans le 13e arrondissement), à l'instar du Premier secrétaire du PS Lionel Jospin dans le 18e arrondissement face à Alain Juppé, le ministre de la Culture Jack Lang dans le 3e contre Jacques Dominati ou encore le ministre délégué de la Jeunesse et des Sports Edwige Avice dans le 14e pour combattre Christian de La Malène.
Pourtant, le jour du scrutin, les listes de la majorité parisienne sortante (unissant cette fois-ci l'ensemble de la droite de gouvernement) obtiennent non seulement facilement leur maintien à la tête de la capitale, avec plus des deux tiers (67,29 %) des conseillers de Paris, mais le camp chiraquien réussit également à remporter le « grand chelem » en obtenant les vingt mairies d'arrondissement (treize RPR, cinq UDF dont deux PR, deux CDS et un radical valoisien, et deux CNI). Le soir même de sa victoire, Jacques Chirac reçoit un appel téléphonique de Valéry Giscard d'Estaing. Sa fonction de maire de la capitale lui donne de plus les moyens de s'opposer directement, et avec succès, à la majorité socialiste et à certains « grands projets présidentiels ». Ainsi obtient-il que François Mitterrand renonce, le 5 juillet 1987, à son ambition de voir Paris organiser l'exposition universelle de 1989.
Dès le 14 janvier 1983, dans une interview donnée au magazine L'Express, l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing envisage un changement de majorité aux prochaines législatives, avec un retour au pouvoir de la droite, sans que celle-ci n'attende ou ne demande alors la démission de François Mitterrand de la présidence de la République. Ce concept est bientôt repris au RPR. Un des proches de Jacques Chirac, Édouard Balladur, donne même, dans un entretien au quotidien Le Monde du 16 septembre 1983, un nom à cette situation : la cohabitation, terme retenu ensuite par l'ensemble des médias et de la classe politique. Deux jours plus tard, sur la radio RTL, le maire de Paris évoque à son tour l'éventualité d'une nouvelle majorité et se prononce en faveur de la cohabitation : selon lui, François Mitterrand ayant apparemment l'intention d'aller au bout de son mandat quoiqu'il arrive, les électeurs ne comprendraient par que la droite, si elle est victorieuse, refuse de gouverner sous le prétexte que le président ne démissionne pas, ce qui pourrait être interprété comme une atteinte aux institutions. Il s'oppose sur ce point à
Raymond Barre, qui n'a pas abandonné l'espoir de prendre la tête de l'opposition : le 10 juillet 1984, l'ancien Premier ministre décrit une éventuelle cohabitation comme une « trahison du principe de la Ve République », ce à quoi Jacques Chirac réplique que le refus de la cohabitation pourrait aboutir à « une crise de régime ».
Quoi qu'il en soit, Jacques Chirac s'attache à rapprocher le RPR de l'UDF, et tient à rassurer ce dernier concernant sa vision de l'Europe en modérant largement son propos depuis le fracassant Appel de Cochin et en proposant dès juin 1983 la constitution d'une liste d'union dirigée par la très européiste Simone Veil aux élections européennes du 17 juin 1984. Cette liste arrive alors largement en tête, avec 43,02 % des suffrages (mais une abstention encore plus forte, à 43,27 %) et 41 sièges de députés européens sur les 81 alloués à la France. Le 10 avril 1985, une semaine après l'instauration de la proportionnelle pour les législatives et dont il critique « l'esprit de tricherie », il signe avec Jean Lecanuet, président de l'UDF, un accord pour « gouverner ensemble » (la plate-forme commune des deux partis pour les législatives sera quant à elle signée le 16 janvier 1986). Un mois plus tard, le 8 juin, il est présent, aux côtés de
Raymond Barre, à la « convention libérale » réunie à Paris pour rassembler l'opposition à l'initiative de Valéry Giscard d'Estaing.
Il tente également de transformer son image et travaille activement sa communication en vue des législatives. Pour ce faire, il fait appel à partir d'octobre 1981 aux services du publicitaire Élie Crespi, dont le but avoué est de travailler son style et de contrôler son attitude afin de casser son image d'énarque raide et de révéler le « véritable Chirac », « rude et généreux », chaleureux, aimant les choses simples mais appréciant également la poésie dont Saint-John Perse et les objets d'art. Il le fait ainsi changer de lunettes, abandonner son costume trois pièces, lui fait recevoir à l'Hôtel de Ville de Paris des écrivains, des artistes ou des acteurs, ou le pousse à être le premier homme politique à accepter de participer à l'émission satyrique de l'imitateur Patrick Sébastien. À l'approche du scrutin, au printemps 1985, il change à nouveau d'équipe de communication en la confiant cette fois-ci à Bernard Brochand et Jean-Michel Goudard. Ces derniers, déjà responsables de la campagne du RPR aux législatives de 1978, s'attachent à montrer au grand public un Jacques Chirac serein et responsable. À ceci s'ajoute un entraînement physique intensif, composé de jogging dans les jardins de l'Hôtel de Ville et de travail aux haltères et au médecine ball, sous la supervision des anciens champions olympiques Guy Drut et Henri Boério.
Très médiatisé (il est l'invité à quatre reprise de L'Heure de vérité sur Antenne 2 entre juin 1982 et février 1986), il multiplie les déplacements dans toute la France (durant la campagne des législatives, il visite pas moins de cent cinquante villes, prononce deux cents discours et parcourt quelques 80 000 km) et se rend même en Nouvelle-Calédonie à la fin du mois de septembre 1985 (en plein coeur des Évènements qui opposent violemment depuis un an partisans et opposants à l'indépendance, il s'oppose au projet d'« indépendance-association » proposé par Edgard Pisani et le gouvernement socialiste dans un grand meeting « bleu, blanc, rouge » sur la place des Cocotiers à Nouméa, devant 7 000 personnes, mais se dit favorable à l'organisation d'un référendum d'autodétermination ouvert à tous les néo-calédoniens, quels que soient leur origine). Il se forge également une assise internationale, par le biais notamment de sa fonction de maire de Paris, et est l'un des principaux participants (aux côtés de certains leaders du monde occidental de l'époque à commencer par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher, le vice-président américain George Bush ou le chancelier allemand Helmut Kohl) à la réunion de l'hôtel InterContinental de Londres le 24 juin 1983 où fut fondée l'Union démocrate internationale (UDI), grande association regroupant à l'échelle internationale les grands partis de droite et dont Jacques Chirac devient l'un des vices-présidents.
Finalement, son rôle de chef de l'opposition lui est reconnu et s'affirme lors d'un débat télévisé sur TF1 qui l'oppose le 27 octobre 1985 au Premier ministre
Laurent Fabius (
Raymond Barre avait lui aussi été sollicité mais avait refusé cette confrontation). Activement préparé par Édouard Balladur et Alain Juppé pour faire face au jeune chef de gouvernement considéré comme un maître de la communication et un excellent orateur, et afin de démontrer sa cohérence idéologique contestée depuis son passage du « travaillisme à la française » au libéralisme, Jacques Chirac obtient largement l'avantage sur son adversaire. En effet, il sait adopter une attitude calme, posée, imperturbable face à un Premier ministre offensif voire agressif, refusant de lui serrer la main devant les photographes, l'accusant de « dire n'importe quoi » et l'interrompant quatre-vingt-onze fois (quand Jacques Chirac ne le coupe en retour que vingt-cinq fois). Jacques Chirac finit par répliquer par un : « Cessez de m'interrompre comme un roquet », phrase qui symbolise aux yeux des observateurs l'ascendant pris par le chef du RPR sur
Laurent Fabius. Les sondages d'après débat confirment ce succès : une étude Sofres pour Eu