Issue d'une famille modeste, Lucia Bosè entre à quatorze ans comme dactylo dans le cabinet d'un avocat. Elle devient ensuite vendeuse dans une pâtisserie. Une des ses amies envoie une photo de Lucia au comité d'un concours de beauté : elle franchit toutes les étapes jusqu'au titre suprême de Miss Italie 1947, malgré l'opposition de son père et de son frère. L' année 1947 est d'ailleurs à marquer d'une pierre blanche puisque Gianna Maria Canale, future reine des Amazones, arrive deuxième au concours et Gina Lollobrigida troisième.
Laurence Schifano, auteure d'une biographie de Luchino Visconti, éclaire d'une lumière plus intense et nuancée les débuts de Lucia :
-- Laurence Schifano, Visconti, les feux de la passion, Flammarion 1989
Lucia Bosè tourne un essai pour Riz amer filmé par Giuseppe De Santis mais rate le rôle au profit de Silvana Mangano : l'héroïne, ouvrière des champs en short et haut ajusté, fait de Mangano une star internationale. Bosè débute au cinéma sous la direction du même réalisateur dans Pâques sanglantes (it:Non c'è pace tra gli ulivi), co-scénarisé par Carlo Lizzani, au succès bien moindre.
C'est Michelangelo Antonioni qui la révèle, mystérieuse et émouvante dans sa réserve, dans deux joyaux méconnus co-écrits par Francesco Maselli. Pourtant, pour La Dame sans camélia, Antonioni souhaitait Gina Lollobrigida. L'actrice, consacrée par le nouveau cinéma italien, s'illustre encore dans Les Fiancées de Rome (it) de Luciano Emmer et Onze heures sonnaient de De Santis ; Mario Soldati, Giorgio Simonelli (it), Francesco Maselli la dirigent. Lucia est associée à plusieurs reprises au jeune premier Walter Chiari - à qui de brèves fiançailles l'unissent. Steno et Mario Monicelli, Francesco Rosi, Luigi Zampa, Ettore Scola participent à l'écriture de certains de ses films, dans ce temps de grande vitalité de la création cinématographique italienne.
En 1954, elle est éclipsée par une toute jeune Brigitte Bardot dans un mélodrame d'espionnage. L'année suivante, Lucia Bosè épouse le toréador
Luis Miguel Dominguin, qui vient de rompre avec Ava Gardner, et s'installe en Espagne. L'actrice travaille alors avec Juan Antonio Bardem (Mort d'un cycliste condamné par la censure franquiste) et Luis Buñuel. Après une apparition dans Le Testament d'Orphée de Jean Cocteau, Lucia Bosè se retire.
La mythique interprète d'Antonioni ne revient sur les écrans qu'en 1968, année de son divorce. Le fils issu de cet amour, Miguel Bosé, mène une carrière d'acteur et de chanteur en Europe, principalement en Espagne.
Certes l'ex égérie du néoréalisme littéraire collabore de nouveau avec des compatriotes prestigieux : les frères Taviani et Federico Fellini, Mauro Bolognini à trois reprises, Liliana Cavani, au cinéma et à la télévision. Certes la rivale de Silvana Mangano, digne de succéder à Isa Miranda et Alida Valli, fréquente le meilleur cinéma d'auteur : Marguerite Duras, qui lui offre une improbable conversation avec Jeanne Moreau et Gérard Depardieu, Daniel Schmid, Jeanne Moreau (pour son film-essai sur les actrices Lumière) l'emploient. Certes l'icône joue George Sand, la comtesse Bathory, Dona Elvira dans L'Avare de Molière.
Cependant il manque à Miss Italie 1947 un premier rôle dans un film populaire. Lucia Bosè participe également au célèbre et polémique Chronique d'une mort annoncée de Francesco Rosi, cependant sa composition est reléguée au second plan. Discrète, comme elle était déjà à l'époque de sa gloire dans ses rôles les plus beaux, Lucia Bosè promène depuis quarante ans sur des écrans exigeants la nostalgie d'une époque bénie. Le cinéphile se souviendra de sa beauté ensorcelant Raf Vallone, Massimo Girotti ou Georges Marchal, dans Chronique d'un amour ou Cela s'appelle l'aurore...