Après une courte carrière de diplomate, Roger Peyrefitte fut pendant la seconde moitié du XXe siècle l'un des écrivains français les plus brillants et les plus controversés.
À la suite d'études brillantes dans différents collèges religieux (Jésuites et Lazaristes) du Sud-Ouest, puis à la Faculté des Lettres de Toulouse, il entra à l'École libre des sciences politiques, dont il sortit major en 1930. Nommé secrétaire d'ambassade à Athènes en 1933, il quitta ce poste en 1938 suite à un incident avec le jeune protégé d'un amiral grec (épisode romancé ensuite dans Les Ambassades). Revenu à Paris, il donne sa démission en octobre 1940 pour raisons personnelles (selon ses écrits, à la suite d'une suspicion de détournement d'un adolescent). Réintégré en mai 1943, il est nommé à Paris. En février 1945, il sera contraint de se retirer de la carrière diplomatique ; la même année marque le début de son activité d'écrivain et d'historien.
Sa vaste culture classique, son érudition, sa connaissance des sujets qu'il aborde de façon très documentée, son style concis et percutant, au vocabulaire très riche, son ironie mordante, son abondante production, font de lui un écrivain français de premier plan, dans la lignée de Voltaire, d'
Anatole France et de
Marcel Aymé.
Il est inhumé au cimetière d' Alet-les-Bains dans l'Aude.
Cet ouvrage, paru en 1944 chez Jean Vigneau, lui apporta d'emblée la notoriété en obtenant le prix Renaudot en 1945. L'auteur y suscitait le scandale en révélant des tendances amoureuses peu orthodoxes : le livre décrit une passion amoureuse entre deux garçons de quatorze et douze ans, au sein d'un internat catholique à l'atmosphère étouffante. Si la sexualité y est évoquée avec discrétion, elle est néanmoins bien présente en filigrane derrière les sentiments exacerbés des garçons - et parfois, aussi, ceux des adultes. Comme lorsque le jeune Alexandre pose à son ami cette question : « Georges, sais-tu les choses qu'il ne faut pas savoir ? »
On peut lire cette histoire émouvante comme l'affrontement tragique, au sein d'une communauté exclusivement masculine, de deux religions : celle du Christ et celle du Garçon. Chacun des personnages principaux est peu ou prou traversé par cette lutte entre l'amour mystique et l'amour garçonnier, entre le christianisme officiel et un amour interdit secrètement triomphant. C'est ce caractère quasi mythique, joint à l'érudition de l'auteur, au classicisme du style et à une composition rigoureuse, qui a fait des Amitiés particulières un véritable livre culte.
Vingt ans après sa publication, l'oeuvre a été portée à l'écran dans un film de
Jean Delannoy (1964), qui reçut un accueil triomphal à la Biennale de Venise. Sans avoir la densité et la profondeur du roman, cette adaptation est remarquablement servie par le jeune
Didier Haudepin (Alexandre),
Michel Bouquet (le père de Trennes) et
Louis Seigner (le père Lauzon).
C'est au cours du tournage en l'abbaye de Royaumont que Roger Peyrefitte tomba amoureux d'Alain-Philippe Malagnac, qui avait alors douze ans et demi. Leur liaison passionnée dura plusieurs années et fut le sujet, entre autres, des récits Notre amour et L'Enfant de coeur. C'est pour financer les diverses affaires entreprises par Alain-Philippe Malagnac dans les années 1980 que Roger Peyrefitte vendra ses collections de monnaies, de livres rares et de sculptures antiques. Par la suite, Alain-Philippe Malagnac épousa
Amanda Lear et trouva une mort tragique dans l'incendie de leur maison, six semaines seulement après la mort de Roger Peyrefitte.
En 1953, Les Clés de saint Pierre, où Peyrefitte brocardait le pape Pie XII, fit scandale. Par des allusions voilées, il y prêtait au Souverain Pontife des tendances homosexuelles - par exemple dans le passage où il montre Pie XII en train de se dépouiller de ses vêtements à la manière d'une jolie femme : comme il commence par appeler le pape « Sa Sainteté », cela lui permet d'en parler ensuite en disant toujours « Elle » ; puis il termine par cette phrase, dans laquelle Pie XII retrouve le genre masculin : « Sans doute voulait-il mettre un terme à ce déshabillage qui pouvait ne plus avoir de limites ». François Mauriac menaça de quitter L'Express si cet hebdomadaire continuait à faire de la publicité pour le livre. L'affrontement entre les deux écrivains devait encore s'exacerber au moment de la sortie du film Les Amitiés particulières, et il culmina avec une féroce lettre ouverte publiée par Roger Peyrefitte en mai 1964 dans l'hebdomadaire Arts, Peyrefitte qui n'hésita pas à accuser Mauriac d'être un homosexuel caché, ce qui est établi aujourd'hui, et à le traiter de Tartuffe.
Les Clés de saint Pierre faisait de nombreuses révélations sur le petit monde du Vatican. Dans Propos secrets, Peyrefitte livre le nom de son informateur, Mgr Léon Gromier, chanoine de Saint-Pierre, Consulteur à la Sacrée Congrégation des Rites et Protonotaire apostolique. Tel que le décrit Peyrefitte, ce prélat éclairé semble avoir été un homme plutôt austère, profondément croyant et de moeurs irréprochables ; mais il était scandalisé par ce qu'il voyait, et il était de ceux qui pensent que faire éclater les scandales est le seul moyen de les faire disparaître. Il pourrait avoir servi de modèle au personnage de Mgr Belloro, qui est justement Préfet de la Sacrée Congrégation des Rites.
Les romans très documentés de Roger Peyrefitte sont fondés sur des faits réels, historiques ou d'actualité (par exemple la trilogie sur Alexandre). Mais la plupart de ses ouvrages constituent essentiellement des satires, même s'ils sont parfois en deçà de la réalité (cf. Les Ambassades).
Certains de ces ouvrages s'adressent aux spécialistes (Chevaliers de Malte, les Juifs), et même si l'humour de Peyrefitte reste attrayant, certaines de ses oeuvres s'avèrent parfois un peu difficile pour le profane (Les Fils de la Lumière).
Dans la plupart de ses oeuvres portant sur des sujets contemporains, il n'eut de cesse de mettre au jour l'homosexualité ou la pédérastie de certaines personnalités qui, selon lui, dissimulaient leurs moeurs, comme Henry de Montherlant (dépeint à plusieurs reprises sous le pseudonyme transparent de Lionel de Beauséant), le secrétaire général des Nations unies, ou même le Pape Jean XXIII (« que les familiers du Vatican appelaient Giovanna », écrit-il dans Propos secrets). De plus, Roger Peyrefitte ne manquait pas d'amuser le lecteur en dénonçant diverses turpitudes des personnes qu'il mettait en scène, ce qui le rendait redoutable à fréquenter. Bien que plus rarement, il fit aussi l'éloge de nombreuses personnalités, comme son amie la chanteuse
Sylvie Vartan (cf. L'enfant de coeur).
Roger Peyrefitte a entrepris la biographie d'Alexandre III de Macédoine (La jeunesse d'Alexandre ; Les conquêtes d'Alexandre ; Alexandre le Grand), qui est, à n'en pas douter, l'oeuvre de sa vie. Ce livre raconte, non sans humour, la vie fabuleuse du grand conquérant, non pas à la manière de toutes les biographies historiques précédentes rédigées sur le même sujet, mais en y mêlant des connaissances sociales, géographiques, et surtout mythologiques qui font de cette oeuvre un instant de lecture proprement jubilatoire. Au fil des pages, l'auteur a souhaité démontrer que l'Amour était le fil conducteur de la vie d'Alexandre. De ce travail immense, foisonnant, et malheureusement trop méconnu encore, Roger Peyrefitte a consacré une séance en Sorbonne, ayant en outre reçu le prix de l'Acropole.
Peyrefitte s'est toujours proclamé pédéraste plutôt qu'homosexuel : « J'aime les agneaux, disait-il, pas les moutons ». Plus encore qu'André Gide, et au contraire d'Henry de Montherlant dont il fut longtemps l'ami et le complice, il conçut sa carrière littéraire comme un militantisme assidu en faveur de l'amour des garçons.
Ce long combat pour la liberté amoureuse ne l'empêcha d'ailleurs pas de manifester en diverses occasions de la sympathie pour la tradition catholique. Il mourut à 93 ans, muni des sacrements de l'Église.
Ses oeuvres ont été publiées dans de nombreuses langues, en particulier en italien, en anglais, et aussi en grec (à la fin des années 1970, sous la forme de feuilleton dans un journal à grand tirage d'Athènes, Ta Nea, sous le nom de Rozé Perfit).