Joseph Frank Keaton est né à Piqua, petite communauté de fermiers du sud-est du Kansas, le 4 octobre 1895 de
Joseph Hallie Keaton et Myra Cutler Keaton, acteurs de cabaret. Un an plus tard, le surnom de « Buster » lui est attribué. D'après la légende, c'est Harry Houdini qui en serait à l'origine mais il est plus vraisemblable qu'il fut inventé par son père. Dès octobre 1900, il rejoint ses parents sur la scène du Bill Dockstader's Wonderland Theatre de Wilmington (Delaware) et devient un membre salarié de leurs numéros.
Il est l'une des références du film comique et burlesque, et fut souvent cité comme son modèle par Charles Chaplin. Il apprend le métier de comique sur les planches de spectacles burlesques dès son plus jeune âge avec son père. Il débute comme acteur au cinéma muet aux côtés de Roscoe 'Fatty' Arbuckle. Sa première expérience sur les planches lui a donné une technique corporelle exceptionnelle, mais la piètre qualité de ses premiers spectacles lui a donné le désir de faire des films qui, eux, soient beaux et élégants et ses mises en scènes sont magnifiques. C'est donc en une seule décennie (de 1920 à 1930) que Keaton va réaliser et interpréter une dizaine de films qui feront date dans l'histoire du cinéma. Il créera un personnage introverti mais téméraire toujours en quête d'amour.
Son chapeau canotier sur la tête, Keaton explorera au travers de ses films plusieurs thèmes qui feront de son oeuvre une oeuvre brillante, sincère et jalonnée bien souvent de faits historiques mais remodelés avec la finesse, la précision et l'humour du cinéaste (la préhistoire avec Les Trois Âges, la guerre de sécession avec Le Mécano de la « General », le Far West avec Go West). Parmi les thèmes de prédilection de Keaton, nous retrouvons l'entêtement de son personnage, ce désir d'aller de l'avant. Keaton considère qu'il faut essayer, que l'immobilisme est source de régression, son oeuvre est remplie d'optimisme. Il en résulte un cinéma en perpétuel mouvement, des films millimétrés où le grain de sable (volontaire, car voulu par le cinéaste pour faire évoluer son personnage) fait partie intégrante du film. Chez Keaton, chez lui, le mouvement est sans cesse ralenti par un impondérable contre lequel le personnage lutte afin de retrouver un équilibre entre la situation actuelle et ce qu'elle aurait du être. Il en résulte des gags et circonstances jamais hasardeux, Keaton fut un mathématicien du gag, ceux-ci étaient étudiés, travaillés et réfléchis, dans la majeure partie de son oeuvre, Keaton fait preuve de cette inventivité faussement facile. Précurseur d'un art nouveau en passe de devenir un art majeur, Keaton a contribué (comme Chaplin,
David W. Griffith,
Fritz Lang, Murnau, Eisenstein, Victor Sjöström et quelques autres) à faire changer de dimension le cinéma, qui en est sorti grandi. Mais comme beaucoup de cinéastes à cette époque le cinéma muet avait son propre langage et l'arrivée du parlant (un peu avant 1928) changea ce langage.
Keaton va devenir un réalisateur obsolète tout en étant un créateur de génie. Ce paradoxe tient au fait que Keaton était devenu un Artiste complet, maitrisant son Art dans toutes ses dimensions. Keaton ne se servait pas du cinéma pour faire des films, les films de Keaton étaient autonomes, et les spectateurs, à cette époque-là, comprenaient parfaitement son cinéma. Le parlant ne pouvait que lui être fatal, cette chute n'est pas une fatalité, Keaton était un visuel dont la mécanique cinématographique s'inscrivait uniquement sur une construction rythmée, les films de Keaton n'avaient pas besoin de paroles, ils parlaient d'eux-mêmes. Keaton garda son personnage mais il lui greffa des paroles, il fit rire avec des mots, alors que son art était purement visuel. L'engrenage était en marche, les studios continuèrent à faire avec lui du « Keaton parlant », mais cela ne fonctionna pas. Le déclin était en marche. Keaton ne prit jamais soin de protéger son oeuvre, sa liberté de créer, marié à une fille d'un Nabab Hollywoodien, le parlant, le profil, la naïveté de Keaton font que ce dernier fut remisé comme faire valoir et son déclin était inéluctable.
Les premiers « essais » cinématographiques de Keaton n'eurent que peu de succès, sa voix dépareillait avec son personnage, son attitude et son jeu s'en trouvèrent modifié, sa légèreté et son inventivité comique furent reconverties en simples gags verbaux et Keaton ne put se résoudre à cette déchéance. Très vite il perdit le contrôle artistique de ses films, ce qui porta un coup fatal à sa carrière. Buster Keaton souffrit terriblement de la perte de son autonomie artistique, dès 1930, après son dernier chef-d'oeuvre,
Le Cameraman, son mariage avec Natalie Talmadge (la fille d'un grand producteur hollywoodien) battit de l'aile, il fut mis à l'écart des studios et plongea dans la dépression et l'alcool. Keaton se vit adjoindre un partenaire pour ses films suivants (comme
Jimmy Durante, comique respectable mais envahissant et terriblement bavard). Durant presque quarante ans, Keaton ne fera plus que des films moyens (pour ne pas dire médiocres), contrôlés voire corrigés par Hollywood, il ne sera plus réalisateur mais simple faire valoir tant sur l'écran qu'à l'affiche. Des réalisateurs sont chargés de le chaperonner (Edward Sedgwick notamment). On le retrouvera parfois dans de petits rôles, il joue au bridge dans Boulevard du crépuscule monument cinématographique signé
Billy Wilder (avec, présent dans le film, un autre « oublié » d'Hollywood,
Erich von Stroheim). On le verra également dans
Les Feux de la rampe, film de Chaplin qui réunit les deux plus grands comiques cinématographiques pour quelques scènes immortelles comme celle du maquillage dans la loge et plus tard Chaplin et Keaton sur scène, comme deux clowns vieillissants et oubliés. Il fera aussi quelques « caméras cachées » où éclate au travers de quelques gags truculents, le vrai visage de Keaton.
Buster dût attendre le début des années soixante pour connaître un nouveau succès avec la ressortie de ses meilleurs films (Le Mécano de la Général, Sherlock Jr., La croisière du Navigator...), de jeunes réalisateurs comme Richard Lester, se sont entêtés à retrouver les négatifs originaux pour pouvoir toucher un nouveau public qui reconnut, enfin, le génie de Keaton.
En 1940, en troisièmes noces, il épousa Eleanor Norris, qui comme pour Charles Chaplin avec Oona O'Neill, restera son épouse jusqu'à sa mort.
Buster Keaton reçoit un Oscar en 1959 pour l'ensemble de sa carrière.
Deux ans plus tard, il participe à un épisode de La Quatrième Dimension. Il joue le rôle d'un balayeur grincheux qui se plaint de son époque (1890) et s'imagine que la vie en 1961 y est bien plus agréable. À la fin de l'épisode, on le voit sourire.
Le 1er février 1966, Buster Keaton meurt d'un cancer du poumon à l'âge de 70 ans à Woodland Hills en Californie. Son état critique ne lui fut jamais diagnostiqué, il pensait avoir contracté une simple bronchite. Confiné dans un hôpital les derniers jours de sa vie, il parcourait sa chambre sans trouver le repos. Dans un documentaire sur sa carrière, sa veuve Eleanor déclarait qu'il jouait aux cartes avec des amis la nuit avant sa mort. Pour arrêter de fumer quelques années auparavant il avait construit dans son garage un train électrique assez long, et sur les bons conseils d'Eleanor, il posait sa cigarette dans un des petits wagons et ne prenait qu'une bouffée au passage du train, tous les quatre tours. Eleanor meurt en 1998, également d'un cancer du poumon.
Lors d'une conversation avec
Peter Bogdanovich, Keaton avait confié : « je souhaiterais être mis en terre avec un jeu de cartes et une rose afin d'être prêt à toute éventualité... »