Né à Courbevoie le 31 juillet 1914, Louis de Funès est le troisième enfant d'un couple arrivé d'Espagne en France en 1904 après que son père, Carlos Luis de Funes de Galarza (1871-1934), eut enlevé sa mère Leonor Soto y Reguera (1878-1957) parce que la famille de celle-ci s'opposait à leur union.
Son père, qui ne peut plus exercer sa profession d'avocat (comme il le faisait en Espagne) depuis son installation en France, s'improvise diamantaire. Ce père, préoccupé par l'avenir de son fils, personnage un peu fantasque qu'il a peu connu, semble avoir eu moins d'influence sur lui que sa mère. Ainsi, Louis de Funès a raconté qu'elle fut son premier professeur de comédie : « Il arrivait à ma mère de me courser autour de la table en criant "Yé vais té touer", dans sa façon d'être et d'agir, elle possédait, sans le savoir, le génie des planches. ». Elle lui donne également ses premières leçons de piano à l'âge de 5 ans. Louis de Funès passe toute son enfance à Villiers-sur-Marne (Seine-et-Oise, aujourd'hui Val-de-Marne) où il fréquente l'école Jules Ferry.
À 16 ans, après des études secondaires moyennes au lycée Condorcet et sur les conseils de son frère devenu fourreur, Louis de Funès entre à l'École Professionnelle de la Fourrure, mais il en est renvoyé, pour chahut. Il travaille ensuite chez plusieurs fourreurs, exerce successivement différents métiers, mais, à cause de ses renvois systématiques et par lassitude de ses frasques professionnelles, ses parents l'inscrivent en 1932 à l'École Technique de Photographie et de Cinéma (ETPC), aujourd'hui École nationale supérieure Louis-Lumière, située à deux pas de son domicile, où il choisit la section cinéma. Dans les cours, il a notamment pour condisciple Henri Decaë, qui fut, bien plus tard, directeur de la photographie sur plusieurs de ses films. Finalement, il est renvoyé pour incendie volontaire.
Commence alors le cycle de périodes de chômage et d'emplois (étalagiste, dessinateur industriel pour le carrossier Labourdette puis le constructeur automobile Rosengart, aide comptable, etc.) d'où il finit toujours par se faire renvoyer. En 1936, il épouse sa première femme, Germaine Louise Élodie Carroyer. Un enfant naît de cette union en 1937, Daniel de Funès, mais le couple se sépare très vite, même si le divorce n'est prononcé qu'en 1942. Bientôt, il commence à se faire engager comme pianiste de bar. Il joue dans un grand nombre d'établissements, enchaînant des soirées de douze heures (de 17 h 30 à 5 h 30 du matin), payé à la coupelle (le pourboire des clients) ou touchant un cachet de misère. Le cinéaste
Georges Lautner se souvient : « Je l'ai rencontré en 1942 lorsqu'il était pianiste à la Madeleine. Dans un bistrot à Bagatelle, il tenait le piano à 4 mains avec l'inspecteur. Lorsque ce dernier jouait seul, de Funès montait sur le piano et chantait ».
Louis de Funès est alors un excellent musicien, selon Eddie Barclay, car il a l'oreille musicale - ce dont il se servira dans certains de ses films, tels que La Rue sans loi, Frou-Frou,
Le Corniaud,
La Grande Vadrouille,
Le Grand Restaurant ou encore L'Homme orchestre - et possède une bonne connaissance du cinéma de son époque.
En 1942, à l'âge de 28 ans, il décide de devenir comédien, et s'inscrit au Cours Simon, réussissant son concours d'entrée grâce à une interprétation d'une scène des Fourberies de Scapin, de Molière. Même s'il n'y fait qu'un court passage, il croise dans le cours d'autres apprentis comédiens, comme
Daniel Gélin, qui lui permet de débuter plus tard dans la pièce L'Amant de Paille, de
Marc-Gilbert Sauvajon : « Un hasard prodigieux. Je descendais d'un wagon de première dans le métro et Daniel Gélin, déjà croisé au cours René-Simon, montait dans un wagon de seconde. La porte allait se refermer lorsqu'il me crie "Téléphone-moi demain. J'ai un petit rôle pour toi." »,. À côté de quelques petites figurations théâtrales, l'acteur se démène pour gagner sa vie grâce à ses activités de pianiste, donnant parfois des cours le jour puis jouant la nuit à travers le Paris nocturne. Louis s'étant remarié en 1943 avec Jeanne Augustine Barthélemy dit de Maupassant, ils habiteront un petit deux pièces au 42, rue de Maubeuge. En 1944, il a un deuxième fils, Patrick, et, en 1949, un troisième fils, Olivier, qui tiendra quelques rôles au côté de son père, au cinéma comme au théâtre.
En 1945, toujours grâce à Daniel Gélin, il débute au cinéma dans La Tentation de Barbizon, de Jean Stelli. Dans le minuscule rôle du portier du cabaret « Le Paradis », il prononce sa première réplique à l'écran en voyant un client (interprété par
Pierre Larquey) essayer de passer à travers la porte fermée : « Ben, il a son compte celui-là, aujourd'hui ! ». Ce rôle est le départ d'une course à la participation dans des productions cinématographiques, l'acteur enchaînant silhouettes, figurations et petits rôles. Quelquefois, il incarne même plusieurs personnages dans un même film, comme pour Du Guesclin, de Bernard de Latour, en 1948, où il tient tour à tour le rôle de mendiant, chef de bande, astrologue, seigneur, etc.
Au début des années 1950,
Sacha Guitry lui confie plusieurs petits rôles, notamment dans
La Poison (1951), Je l'ai été trois fois (1952), Si Paris nous était conté (1955) et surtout
La Vie d'un honnête homme (1953) où il a un rôle un peu plus consistant de valet de chambre « obséquieux et fourbe, presque inquiétant l'espace d'un plan ». Dans ce film, son personnage s'affine un peu plus - « il apparait "au naturel", sans grimace ni moustache » - et il est associé pour la première fois à
Claude Gensac. En 1952, il rejoint la troupe des Branquignols dirigée par Robert Dhéry. Il débute d'abord dans la revue Bouboute et Sélection, puis dans Ah ! les belles bacchantes en 1953. Cette revue obtient un grand succès - deux années de représentations - et contribue à le faire connaître. De plus, intégré dans une troupe dédiée au comique, l'acteur va perfectionner sa technique et explorer des facettes de son talent jusque-là délaissées. On le retrouve l'année suivante dans l'adaptation à l'écran du spectacle, Ah ! les belles bacchantes de Jean Loubignac, qui est son premier film en couleurs. Cette même année, il joue face à Fernandel dans Le Mouton à cinq pattes d'
Henri Verneuil et pour la première fois face à
Bourvil dans Poisson d'avril de Gilles Grangier.
Jean-Paul Le Chanois, après lui avoir confié deux petits rôles dans
Sans laisser d'adresse (1951) et Agence matrimoniale (1952), lui offre le second rôle de M. Calomel dans la comédie populaire à succès
Papa, maman, la bonne et moi (1954) et sa suite
Papa, maman, ma femme et moi (1956).
En 1956, il obtient un début de reconnaissance au cinéma dans La Traversée de Paris, de
Claude Autant-Lara, où il joue l'épicier Jambier. Il s'impose avec force face à
Jean Gabin et
Bourvil, dans une prestation de quelques minutes au cours de laquelle il dessine en quelque sorte son futur personnage : lâche devant « le fort » (Jean Gabin) et colérique devant « le faible » (Bourvil). Même si le film a atteint aujourd'hui le statut de film culte, il connaît à sa sortie un succès public mitigé. Dès l'année suivante,
Maurice Regamey lui offre son premier rôle principal dans Comme un cheveu sur la soupe. Son interprétation d'un compositeur suicidaire vaut à l'acteur le Grand Prix du Rire 1957, sa première récompense et le film, « petite production sans prétention, qui aurait dû passer inaperçue, tient l'affiche de très longues semaines. ». Toujours en 1957, il est la tête d'affiche de
Ni vu... Ni connu..., d'Yves Robert, dans le rôle du braconnier Blaireau. Accompagné de son chien « Fous le camp », cet « avatar rural de Guignol » brave toutes les formes d'autorité et finit toujours par échapper au garde-chasse. Le film est un beau succès à sa sortie et vaut à l'acteur quelques articles laudateurs dans la presse, à l'instar de l'hebdomadaire France Dimanche, qui, dans son numéro du 20 septembre 1957, titre à la une : « Louis de Funès, l'acteur le plus drôle de France ». On le retrouve encore dans un rôle principal en 1958 dans
Taxi, Roulotte et Corrida, d'André Hunebelle, tourné en Espagne, qui connaît un certain succès. Pourtant, la progression de sa carrière au cinéma marque une pause, et l'acteur va retourner à des films ou des rôles moins importants pour quelque temps.
C'est d'abord au théâtre que la carrière de Louis de Funès va connaître une nouvelle accélération. Depuis ses débuts, l'acteur ne s'est jamais éloigné des planches et il reprend notamment, en 1957, aux côtés de
Danielle Darrieux et
Robert Lamoureux, le rôle créé par
Raimu dans Faisons un rêve de
Sacha Guitry. Le biographe de l'auteur, Jacques Lorcey, note : « Ce sera la dernière grande joie de notre Sacha. Ce succès, obtenu par des vedettes tellement différentes des créateurs lui apporte la certitude que son théâtre lui survivra. ». En septembre 1959 pour les tournées Karsenty, il débute les répétitions d'Oscar, une pièce de Claude Magnier créée à Paris en 1958 avec une distribution qui comprenait
Pierre Mondy et
Jean-Paul Belmondo. À partir du 1er octobre, commencent les cent jours d'une tournée qui va le conduire dans les provinces françaises et le Maghreb. Le succès est tel qu'on lui propose de reprendre la pièce à Paris en janvier 1961. D'abord hésitant pour cette reprise parisienne , il accepte. Finalement la pièce est un énorme succès et sur scène il multiplie les improvisations et les prouesses physiques. L'acteur reprendra « ce rôle fétiche » dans l'
adaptation cinématographique de la pièce réalisée par Édouard Molinaro en 1967, puis à nouveau sur scène au début des années 70 dans une mise en scène de Pierre Mondy.
En parallèle, il continue à tourner. On le retrouve par exemple en 1961 dans un petit rôle d'un barman dans
Le crime ne paie pas, le troisième film réalisé par
Gérard Oury. Lors du tournage, alors qu'il tient le seul rôle comique du film, Louis de Funès essaie de convaincre le réalisateur qu'il est fait pour tourner des films comiques : « Quant à toi, tu es un auteur comique, et tu ne parviendras à t'exprimer vraiment que lorsque tu auras admis cette vérité là ». En 1963, il retrouve la tête d'affiche avec
Pouic-Pouic, l'adaptation par Jean Girault de la pièce de boulevard Sans cérémonie, qu'il avait écrite avec
Jacques Vilfrid. Louis de Funès avait participé à la création de la pièce en 1952 - il tenait le rôle du maître d'hôtel incarné par
Christian Marin dans le film - mais la pièce n'avait pas connu le succès. Finalement, malgré cet insuccès et les difficultés rencontrées par le réalisateur auprès des producteurs pour monter le projet autour de Louis de Funès, ce film permet à l'acteur de retrouver un large public et marque le départ de la seconde partie de sa carrière qui ne verra plus sa popularité fléchir.
Dans Oscar comme dans
Pouic-Pouic, Louis de Funès incarne un homme aisé et irascible, ayant des difficultés avec sa progéniture : il décline son « personnage fétiche inspiré du Pantalon » de la commedia dell'arte. Il a maintenant créé son personnage comique : colérique, autoritaire, grimaçant, tout en énergie et « a gommé certaines outrances qui le parasitaient dans les années cinquante ».
Pouic-Pouic marque aussi le début de la collaboration entre Louis de Funès et Jean Girault, lui aussi musicien, qui produisit douze films qui rencontreront le plus souvent un très large public. Après Faites sauter la banque !, en 1964, ils tournent ensemble, malgré les réticences des producteurs qui préfèrent
Darry Cowl ou
Francis Blanche, le premier volet de la série des Gendarmes,
Le Gendarme de Saint-Tropez, qui rencontre un succès considérable et installe l'acteur en haut du box-office pour la première fois. À peine deux mois plus tard, il triomphe à nouveau dans le rôle d'un représentant de l'ordre dans Fantômas. Dans ce film construit sur la double composition de
Jean Marais (Fantômas / Fandor), il transcende son rôle de contrepoint comique et parvient à éclipser ses partenaires. Pendant que les succès populaires s'accumulent, en 1965, il tourne
Le Corniaud, de
Gérard Oury, où il partage l'affiche avec
Bourvil. La sortie du film en mars 1965 est un nouveau triomphe. En 1966,
La Grande Vadrouille, de nouveau avec Bourvil et réalisé par Gérard Oury, connaît un succès colossal : le film a en effet détenu longtemps le record du plus grand nombre de places de cinéma vendues en France (17 millions). Il n'a été détrôné qu'en 1998, par le film
Titanic de
James Cameron mais il demeura le film français ayant obtenu le plus grand nombre d'entrées en salle pendant plus de 40 ans. Il fut depuis peu devancé par Bienvenue chez les Ch'tis.
La Folie des grandeurs de
Gérard Oury doit marquer les retrouvailles de Louis de Funès et de Bourvil mais la mort de ce dernier faillit interrompre le projet.
Simone Signoret suggère alors le nom de
Yves Montand à Oury qui perçoit le potentiel du duo après quelques adaptations : « J'avais conçu pour Bourvil un rôle de valet de comédie genre Sganarelle. Montand sera plus proche de Scapin ».
Fin novembre 1971, au théâtre du Palais-Royal, il reprend Oscar, qu'il joue presque chaque soir jusqu'à septembre 1972 avec une interruption pendant l'été (Oscar est jouée plus de 400 fois). À partir de mars 1973, il s'investit énormément dans le tournage des
Aventures de Rabbi Jacob qui sort le 18 octobre de la même année. Le lendemain, Louis de Funès est à nouveau sur les planches à la Comédie des Champs-Élysées, pour ce qui fut sa dernière apparition au théâtre. Jusqu'au 25 avril 1974, il joue presque 200 fois la pièce de
Jean Anouilh, La Valse des toréadors. À partir de là, il se repose au château de Clermont, situé au Cellier en Loire-Atlantique ; il jardine beaucoup et refuse d'entreprendre quoi que ce soit en prévision du tournage très physique du prochain film de
Gérard Oury. Dans Le Crocodile, dont le premier tour de manivelle est prévu pour mai 1975, il doit jouer le rôle d'un dictateur sud-américain, « un petit colonel cupide, teigneux, couard avec des faiblesses : le fric, sa femme, son fils ».
En mars 1975, alors que la préproduction du Crocodile est très avancée, il est victime de deux infarctus consécutifs qui manquent de l'emporter. Il doit ralentir son rythme de travail et renonce définitivement à sa carrière théâtrale, incompatible avec son état. Sa carrière au cinéma est aussi compromise car outre sa condition physique amoindrie, les risques de rechute font que les assureurs ne veulent plus prendre le risque de le couvrir pour un film. Déterminé, le producteur Christian Fechner réussit finalement à obtenir un accord pour une assurance de deux semaines et prend le risque de produire L'Aile ou la Cuisse avec seulement une petite partie du tournage assurée. Lorsque le film sort le 27 octobre 1976, le public français retrouve l'acteur amaigri à l'écran et plébiscite son retour - presque six millions d'entrées - aux côtés de
Coluche.
Louis de Funès réapparait donc à l'écran, mais son médecin est toujours sur le plateau, ainsi qu'une ambulance. Il continue à tourner mais à un rythme beaucoup moins soutenu qu'à ses débuts, comme
La Zizanie avec
Annie Girardot en 1978 ou Le Gendarme et les Extra-terrestres en 1979, et surtout, il appréhende son comique d'une nouvelle manière, parce que reconnait-il : « je ne peux plus faire de la brutalité. Cette brutalité, cette colère est un produit que j'avais fabriqué pour un rôle et tous les metteurs en scène m'ont demandé ce produit Désormais, ce comique ne m'intéresse plus »
En 1980, il réalise un vieux rêve : adapter au cinéma une pièce de Molière et en réaliser une version à son image. C'est ainsi que L'Avare arrive sur les écrans de cinéma, mais ne rencontre qu'un modeste succès (en 1964 déjà, il avait enregistré sur un disque 33T 6 textes de pièces de Molière, dont des extraits de L'Avare, et 10 fables de Jean de La Fontaine). Cette même année 1980, il reçoit cependant un César d'honneur pour l'ensemble de sa carrière, des mains de
Jerry Lewis.
Plus tard, un de ses fils lui conseille de lire un roman de René Fallet intitulé La Soupe aux choux, qui, selon lui, a le potentiel pour pouvoir « faire un bon film ». Une
adaptation au cinéma est tournée en compagnie de
Jean Carmet et de
Jacques Villeret.
Le Gendarme et les Gendarmettes est son dernier film. Le 27 janvier 1983, il est victime d'un nouvel infarctus, qui lui est fatal. Il est enterré au cimetière du Cellier le 29 janvier 1983.