Monika Tchemerzine naît à Paris le 10 octobre 1924. Son père, Avenir Tchemerzine, est un prince russe qui a fui Saint-Pétersbourg et s'est exilé à Paris. Il est mathématicien et inventeur de la fusée éclairante. Sa mère, Stéphane Finette, française, est ancienne élève de l'École des chartes. Avec son mari, elle travaille à une bibliographie des éditions originales de la poésie française du Moyen Âge au XIXe siècle, reconnue comme un ouvrage de référence sous le nom de « Tchemerzine ».
Monika commence à danser dès l'âge de trois ans. Elle prend des cours de danse russe auprès d'Olga Preobrajenska, puis ses parents lui font prendre des cours de danse italienne auprès de Madame d'Alessandri et, enfin, Tverskoi l'initie au mime dansé des émotions intérieures. Elle aura encore pour professeur Georges Ricaux qui est aussi le maître à danser de Jean Babilée et de
Roland Petit. Elle complète sa formation en intégrant l'École de danse de l'Opéra de Paris.
Forgée à la dure école des entrechats et des fouettés dès son plus jeune âge, la jeune Monika se produit sur scène dès l'âge de six ans dans le rôle d'un lutin du Songe d'une nuit d'été de Félix Mendelssohn. Concernant sa vocation pour la danse, Tcherina se rappelle
Monika a 13 ans quand elle danse Les Sylphides. À l'âge de 15 ans, elle devient danseuse étoile des Ballets de Monte-Carlo sous le pseudonyme de Tcherzina...
Dotée d'une sensibilité extrême, elle sera, sa vie durant, appréciée pour sa générosité et son ouverture d'esprit.
En 1946, Tcherina épouse Edmond Audran, danseur comme elle. Il devient son chorégraphe et partenaire. Son mari décède brutalement en juillet 1951, à l'âge de 33 ans, dans un accident de car, survenu peu après la fin du tournage de The Tales of Hoffman (Les Contes d'Hoffmann) dans lesquels il est son partenaire. Le choc laisse Tcherina désemparée. Elle ne souhaite plus danser et se réfugie dans le cinéma. C'est alors qu'elle connaît une gloire cinématographique mondiale avec The Tales of Hoffmann (Les Contes d'Hoffmann) de
Powell et
Pressburger. Elle tournera en tout dix-huit films en deux ans. Elle délaisse peu à peu ce dernier pour se consacrer à la peinture (elle expose dès les années soixante) et à la sculpture.
Le 28 mai 1953, elle se marie avec Raymond Roi, qui l'encourage à remettre ses chaussons de danse. Ensemble, il fonderont une troupe de ballet d'avant-garde dans laquelle la ballerine réalise son rêve de « théâtre total ». Ils resteront mari et femme jusqu'au décès de Ludmila Tcherina.
Au terme d'une « longue et douloureuse maladie », Ludmilla Tcherina s'éteint le 21 mars 2004 à Paris. Elle laisse d'elle-même l'image d'« une très grande artiste qui fit preuve d'une grande vitalité créatrice dans tous les arts qu'elle exerça avec talent » (in discours funèbre du ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon).
Résumant son personnage, un critique, confondu par l'insolente aisance avec laquelle l'enfant de cinq ans s'élance dans l'allée centrale de Notre-Dame-de-Paris pour danser devant l'autel, déclare : « Elle a une grâce d'ange et une malice de démon ».
En 1939, à l'âge de quinze ans, sous son premier pseudonyme de Tcherniza, elle est danseuse étoile et chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo dirigés par
Serge Lifar et entre dans l'histoire de la danse comme « la plus jeune étoile de l'histoire de la danse » (in communiqué du ministre de la culture Jean Jacques Aillagon).
Après la guerre, elle devient une artiste indépendante. Elle est étoile des Ballets de Paris de
Roland Petit (1947) et du Metropolitan Opera à New York (1950).
Au cours de sa carrière elle interprète les plus grands rôles du répertoire classique sur les plus grandes scènes lyriques du monde - l'Opéra de Paris, la Scala à Milan (Giselle, 1954, orchestre sous la direction d'Arturo Toscanini), ou le Metropolitan Opera de New York. Elle est la première danseuse occidentale à se produire au Théâtre Bolchoï (Giselle, 1959) et au Théâtre Mariinski (Kirov) de Saint-Pétersbourg.
Elle personnifie la Lumière du ballet Excelsior au Théâtre communal de Florence pour le Mai florentin de 1967.
Elle est l'interprète des principaux ballets russes de Diaghilev, notamment des personnages de Pavlova (Le Spectre de la rose) et Karsavina (Shéhérazade).
Au théâtre elle crée de nombreux ballets contemporains pour
Serge Lifar, George Balanchine,
Roland Petit, Maurice Béjart, mais danse aussi au sein de la compagnie qu'elle a créée.
En 1948, elle joue dans l'opérette La Chevalier Bayard aux côtés de deux artistes débutants :
Yves Montand et
Henri Salvador.
Parmi ses grands rôles :
- Juliette et Roméo (1942), dans lequel elle interprète le rôle de Juliette dans une chorégraphie de Serge Lifar avec lequel elle danse souvent ;
- Bonaparte (1945-1951) ;
- L'Atlantide (d'Henri Tomasi) au Casino d'Enghien-Les-Bains (1955) ;
- Le Martyre de Saint-Sébastien de Gabriele D'Annunzio et Claude Debussy (1957) à l'Opéra de Paris où « elle donna toute sa mesure comme danseuse, mais aussi comme mime et tragédienne » (in discours funèbre du ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon). Elle y attache à jamais son nom ;
- Feu aux poudres (1959), l'unique ballet que Jean Renoir, écrit et mis en scène spécialement pour elle sur une chorégraphie de Paul Goubé. Le ballet est interprété pour la première fois le 23 février 1959 avec l'Orchestre Lamoureux. Les décors et les costumes sont de Tcherina elle-même. La musique est signée Míkis Theodorákis sur la base du Ellinikis Apokrias (Carnaval) ;
- Les Amants de Teruel (1959), ballet-drame de Raymond Rouleau qu'elle portera par la suite à l'écran. La musique est de Míkis Theodorákis. Ce film fait partie de la sélection officielle de la France au Festival de Cannes 1962. Il y obtiendra le Prix spécial de la Commission supérieure technique ;
- Gala de Salvador Dalí et Roland Petit (1962) ;
- Jeanne d'Arc au bûcher (1970) de Paul Claudel et Arthur Honegger au Théâtre des Champs-Élysées ;
- La Muette de Portici (1972) à l'opéra de Palerme ;
- Salomé (1972) avec Maurice Béjart qui ne tarit pas d'éloges : « une force intérieure cachée qui ne laisse entrevoir que la souplesse de la chair dans ce qu'elle a de plus félin, de plus pervers aussi et qui, pourtant, au centre même du mouvement, devient d'une passivité de marbre... Une danseuse... véritable ! Ce soir, pendant quelques instants, je sais qui est Tcherina » (Maurice Béjart, Répétition de Salomé, 1972).
Peintre et sculpteur depuis sa jeunesse, elle expose dès les années 1960 dans toutes les grandes capitales.
À Paris, son exposition à l'hôtel de Sully, parrainée par André Malraux, et l'exposition autour de son Dynamogramme où elle allie peinture et danse au Centre Georges Pompidou, ont fait découvrir sa théorie de l'art total dont tous les aspects naissent du souffle et du mouvement.
- En 1973, elle exécute un fusain préparatoire à un bronze, L'Envol, puis Élan déployé au sujet duquel elle dit : « Je ne peux créer qu'à travers des mouvements représentant la Vie, la Mort, l'Amour, les trois thèmes dominants de la danse » ;
- En 1978, Fusain et Salomé (huile sur toile), Cri Bleu et Dionysie, deux autres huiles sur toiles, et L'Âme et la danse (huile)
ainsi que de nombreux dessins et gouaches.
En 1991, Ludmila Tcherina conçoit et réalise Europe à coeur, une sculpture monumentale de 12 mètres de haut , officiellement choisie par la Communauté européenne pour symboliser l'Europe unie (placée sous le parrainage de la Fondation de l'Europe des Sciences et des Cultures). Elle est dévoilée au Musée d'art moderne de la Ville de Paris en mars 1992. Une version en résine blanche se trouve devant le pavillon européen de l'Exposition universelle de Séville. La version en bronze est installée devant le Parlement européen de
Strasbourg au printemps 1994. Cette sculpture a été déplacée sur le parvis du nouveau Parlement, place Louise-Weiss, elle a été officiellement dévoilée le 13 décembre 2000 par Nicole Fontaine, présidente du Parlement européen. En 1997 une médaille commémorative utilisant le visuel de la sculpture Europe à coeur a été éditée par la Fondation de l'Europe des sciences et des cultures.
En 1994, elle conçoit et réalise Europa operanda, avec le parrainage de la Fondation de l'Europe des sciences et des cultures, une sculpture monumentale en bronze pour le terminal français d'Eurotunnel à Calais. Cette sculpture a été présentée officiellement, à Calais-Coquelle, à la reine d'Angleterre et au président de la République française, le 6 mai 1994 lors de l'inauguration du Tunnel sous la Manche. Le prototype en résine est exposé à la partie haute de la Gare de Paris-Nord depuis juin 1995. Europa operanda symbolise l'esprit de création et la construction de l'Europe.
Les dernières recherches plastiques de Ludmila Tcherina s'attachent à prolonger cette conception d'un art total qui constitue son destin artistique depuis ses débuts : « une vision synthétique du mouvement, du geste créateur traduit dans l'espace de la même manière que par la chair du danseur, le trait sur la toile, le volume du bronze ou une certaine vision de l'avenir ».
Ludmila Tcherina a publié deux romans sous son nom de scène aux éditions Albin Michel : L'Amour au miroir (1983), évoquant le monde de la danse, qui fut un best-seller, et La Femme à l'envers (1986), sorte d'opéra barbare.