Après des études médiocres, Jean Renoir s'engage dans l'armée et rejoint le corps des dragons en 1912. En 1914, quand commence la Première Guerre mondiale, il est maréchal des logis au 3ème escadron du 1er régiment de dragons sous les ordres du capitaine Louis Bossut, modèle possible du capitaine Boëldieu de
La Grande Illusion.
En avril 1915, Renoir a le col du fémur fracturé par une balle, lors d'un combat à Gérardmer dans les Vosges, blessure qui le fera boiter toute sa vie. Il évite de justesse l'amputation grâce à la présence fortuite du professeur Laroyenne de Lyon, alors infirmier sous les drapeaux, qui s'opposa à cette intervention chirurgicale. En juin 1915, hospitalisé à Besançon, il apprend la mort de sa mère à l'hôpital de Nice. Convalescent à Paris, aux côtés de son père, Jean passe sa vie dans les cinémas, voyant jusqu'à vingt-cinq films par semaine, dont Les Mystères de New York et les films de Charlie Chaplin. En 1916, il retourne au front et sert dans l'aviation, où sa mauvaise jambe ne le gêne pas. Il est affecté dans une escadrille de reconnaissance, et y apprend la photographie.
En 1920, il épouse l'un des modèles de son père,
Andrée Heuschling, et s'installe comme céramiste. Jean aime sa femme, elle est très belle, « d'une beauté insolite », il veut faire d'elle une vedette de cinéma. Pour elle, il écrit un petit sujet, Catherine, qu'il finance lui-même et fait réaliser par Albert Dieudonné. Andrée Heuschling devient
Catherine Hessling. Le film fini est pour Renoir une déception, mais dit-il, « le démon de la mise en scène était en moi ». La découverte, en 1924, du film d'
Erich von Stroheim,
Folies de femmes (Foolish Wives), l'enthousiasme et le fait décider définitivement de la suite de sa carrière.
Son premier long métrage, La Fille de l'eau (1924), est une fable bucolique à l'esthétique impressionniste, dans lequel jouent sa jeune épouse et son frère aîné,
Pierre Renoir. L'accueil mitigé réservé au film ne décourage cependant pas le cinéaste. Il se lance peu après dans une production coûteuse,
Nana, d'après le roman d'Émile Zola, en 1926. Pour financer ce film au coût élevé, il vend plusieurs toiles héritées de son père. L'échec commercial du film le détourne pour longtemps de la production. Suivent une série de réalisations aux inspirations très diverses, La Petite Marchande d'allumettes (1928), d'après Andersen, incursion dans l'expressionnisme ; Tire-au-flanc (1928 ), comédie militaire ; On purge bébé (1931), d'après
Georges Feydeau, son premier film parlant.
La Chienne (1931) marque un tournant dans l'oeuvre de Jean Renoir. C'est un des premiers films parlants, adapté d'un roman de Georges de La Fouchardière ; La Chienne offrait à
Michel Simon l'un de ses plus beaux rôles, celui d'un petit-bourgeois jaloux, assassin et veule.
Après La Nuit du carrefour (d'après
Georges Simenon, 1932), dans lequel Pierre Renoir interprétait le commissaire Maigret, le réalisateur tourne une série impressionnante de chefs-d'oeuvre : Boudu sauvé des eaux (avec, de nouveau, Michel Simon, 1932), Le Crime de Monsieur Lange (avec
Jules Berry, 1935), Partie de campagne (1936, sorti en 1946) dont son neveu, Claude Renoir II, signe la photographie, et Les Bas-Fonds (avec
Louis Jouvet, 1936). Puisant son inspiration dans les romans de Gorki ou dans les nouvelles de Maupassant, Jean Renoir fait preuve d'un sens aigu du réel, qu'il met au service d'un véritable naturalisme poétique.
La vraie rupture politique pour Jean Renoir, c'est la rencontre avec Marguerite Houllé (qui deviendra Marguerite Houllé-Renoir), fille de militants communistes qui le convainc d'épouser la cause du peuple ; elle deviendra la monteuse de ses chefs-d'oeuvre des années 30, Le Bled, La Chienne, La Nuit du Carrefour, Boudu sauvé des eaux, Chotard et Cie, Madame Bovary, Toni, Le Crime de Monsieur Lange, La vie est à nous, Partie de campagne, Les Bas-Fonds, La Grande Illusion, La Marseillaise, La Bête humaine et La Règle du jeu. C'est elle qui le présente au Groupe Octobre (
Jacques Prévert,
Roger Blin,
Maurice Baquet). À partir de là, sa production prend une dimension ouvertement politique, marquée par les idées du Front populaire : Le Crime de Monsieur Lange (1935),
Les Bas-Fonds,
La vie est à nous (1936),
La Marseillaise (1937). Renoir ne sera jamais membre du PCF, mais écrira régulièrement dans le quotidien Ce Soir, la Revue Regards et Ciné-Liberté, tous de gauche. Avant la Seconde Guerre mondiale, Jean Renoir essaye, avec
La Grande Illusion (1937), de promouvoir un message de paix, faisant tourner, en manière d'hommage, le cinéaste qu'il admire le plus,
Erich von Stroheim, aux côtés de
Jean Gabin. Dans La Bête humaine (1938), il s'efforce de mettre en scène les enjeux sociaux de l'époque. Les Bas-Fonds est produit par le PCF, avec l'approbation de l'auteur, Maxime Gorki, et La Marseillaise coproduit par la CGT avec un système de participation originale des spectateurs qui achetaient leur place à l'avance. Ce film sera un semi-échec. Dans son chef-d'oeuvre, La Règle du jeu (1939), il prévoit l'effondrement des valeurs humanistes et brosse un tableau sans complaisance des moeurs de la société française. Sa liaison avec Marguerite est terminée, il vit désormais avec Dido Freire, connue sur le tournage de La P'tite Lili, restée amie d'
Alain Renoir, engagée comme scripte sur le tournage de La Règle du jeu, et qui deviendra sa dernière épouse. En janvier 1940, il part en Italie pour tourner La Tosca, d'après la pièce de Victorien Sardou, avec
Michel Simon. Sur les conseils de l'ambassadeur de France, en mai 1940, il quitte prématurément le tournage (une seule séquence tournée par Renoir, le reste par son ami et scénariste
Carl Koch) et l'Italie pour rentrer à Paris. En juillet, grâce à
Robert Flaherty et au Directeur de la Radio et du Cinéma auquel il écrit deux lettres à forte connotation antisémite, Renoir obtient un visa de travail pour les États-Unis. Il quitte Marseille, avec Dido, en octobre 1940 pour Lisbonne et les États-Unis. Sur le bateau, il rencontre un passager de marque, Antoine de Saint-Exupéry.
Renoir arrive à Hollywood le 10 janvier 1941. Après de nombreuses et longues négociations, il signe enfin un contrat avec la Fox et dirige L'Étang tragique (Swamp Water) en 1941, écrit par
Dudley Nichols, scénariste attitré de John Ford, film tronqué par les contraintes du studio qui exigea de nombreux plans tournés en studio. Néanmoins le film poursuit le cheminement de Renoir dans sa réflexion sociale, qui met en relief la différence, l'exclusion, puis la réhabilitation des personnages incarnés par
Anne Baxter et
Walter Brennan. Le film est un échec commercial et Renoir doit défendre ses convictions pour poursuivre son oeuvre (il tournera six films aux États-Unis). Il épouse Dido Freire, avec
Burgess Meredith et
Charles Laughton comme témoins.
Renoir qui s'adapte difficilement au système hollywoodien, réalise en 1943 et 1944 deux films de résistance
Vivre libre (This Land Is Mine), avec
Charles Laughton et Salut à la France (A Salute to France). En 1945, il tourne L'Homme du Sud (The Southerner), film proche de thémes chers à John Ford (Les Raisins de la colère,
La Route du tabac, Qu'elle était verte ma vallée) : la misère, la communauté, la famille, la relation étroite avec la terre, le terroir, le territoire. L'Homme du Sud lui vaut une nomination pour l'Oscar du meilleur réalisateur. En 1946, dans Le Journal d'une femme de chambre (The Diary of a Chambermaid), d'après le roman d'
Octave Mirbeau, Renoir a le plaisir de faire tourner Paulette Goddard, épouse de son ami
Burgess Meredith et ex-épouse de Charlie Chaplin. Jean Renoir termine sa période américaine avec
La Femme sur la plage (The Woman on the Beach) en 1947, avec
Robert Ryan et
Joan Bennett, un film noir intéressant (amputé au montage) qui ne trouva pas son public.
Daryl F. Zanuck déclare, après cet échec : « Renoir a beaucoup de talent, mais il n'est pas des nôtres. » C'est la fin de sa carrière américaine ; sans aucune amertume, Jean Renoir sera toujours profondément reconnaissant envers les États-Unis, il prend d'ailleurs la double nationalité, comme son fils
Alain Renoir.
En 1949, Renoir découvre le roman de Rumer Godden (en), The River, et décide de partir en Inde tourner son premier film en couleurs, Le Fleuve (The River), film d'une fulgurante beauté, épousant le rythme du Gange, avec une attention intense à l'égard des êtres vivants. Ce film aura une influence durable sur le cinéma indien et sur
Satyajit Ray.
De retour en Europe en 1952, Jean Renoir tourne Le Carrosse d'or (d'après Prosper Mérimée, 1952),
French Cancan (avec
Jean Gabin et Françoise Arnoul, 1955),
Elena et les hommes (avec
Ingrid Bergman et
Jean Marais, 1956), Le Déjeuner sur l'herbe et Le Caporal épinglé (d'après Jacques Perret, 1962).
Rencontrant des difficultés de plus en plus importantes à produire ses films, il se tourne alors vers la télévision (Le Testament du docteur Cordelier, 1959 ; Le Petit Théâtre de Jean Renoir, 1969-1971) et se consacre plus largement à l'écriture : il publie un livre sur son père, Renoir, mon père (1962), son autobiographie, Ma vie et mes films (1974), un essai (Écrits 1926-1971, 1974), quelques pièces de théâtre (Orvet, 1955) ainsi que plusieurs romans (Les Cahiers du capitaine Georges, 1966 ; Le Crime de l'Anglais, 1979).
Il reçoit en 1975 un Oscar d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre, et se voit élever au rang de commandeur de la Légion d'honneur deux ans plus tard.
Jean Renoir meurt à
Beverly Hills, où il s'était retiré, le 12 février 1979. Il est enterré à Essoyes dans l'Aube, près de son père.