On finit toujours par tourner la page, le cœur serré : Wolfgang Petersen, réalisateur de Das Boot (1981), Troie (2004) et bien sûr L'Histoire sans fin (1984), s’est éteint vendredi dernier d’un cancer du pancréas, à 81 ans. D’abord associé au nouveau cinéma allemand aux côtés de Fassbinder, Herzog ou Wenders, notamment avec des films autrement plus âpres (La Conséquence, Le Bateau), Hollywood lui ouvre ses portes après le succès international de son célèbre huis clos sous-marin. La suite est sans doute oubliable, même s’il y a là toujours un cinéma honnête porté par des têtes d'affiche et grevé de thrillers souvent faciles et divertissants (Dans la ligne de mire, Troubles, Alerte, En Pleine Tempête), parfois aussi lourds et patriotes que ceux de son concitoyen Roland Emmerich (Air Force One), d’une pincée de fantastique (Poséidon) et de bons sentiments (Enemy). Mais il restera surtout dans l'inconscient des millenials (et peut-être aussi de leurs enfants), notamment pour avoir signé un des films les plus emblématiques de leur génération, L’Histoire sans fin. Car il est de ces morts notoires qui font les films les plus mémorables : qu’on se souvienne de la mère de Bambi, sèchement abattue devant les yeux de son petit ; de Simba (Le Roi lion), à qui on fait porter (bien machiavéliquement) le chapeau du trépas paternel. Disney, dans le sillage des contes de Grimm ou Perrault, a toujours été cruel, mais c’est ainsi qu’on fait les meilleurs récits d’apprentissage. Dans L'Histoire sans fin, film d’aventure gigogne qui mêle les intentions du lecteur et le dénouement d’un livre, pas d'antagoniste rassurant, pas de Scar pour garantir la vengeance et la filiation : le désespoir est sans objet - il tue ; l’angoisse est sans fondement. Le Néant avance à pas de loup et gare à celui qui s’y laisserait prendre : quel enfant n’a pas pleuré à chaudes larmes lorsque Artax, le fier destrier immaculé, finit englouti dans les marécages de la mélancolie parce qu’il n’y croit plus ? C’est une fantaisie bien sûr, alors il y a le remède. C’est que le monde est une fable à réécrire éternellement, alors on ne le sauve qu’en croyant en son propre mythe. Il y a là quelque chose de nietzschéen. Surtout, on n’oubliera pas un bestiaire d’une richesse fabuleuse : de Falkor, le dragon nacré maladivement optimiste à tête de chien, à la terrifiante épreuve des sphinx de l'Oracle sudérien, du géant mangeur de pierres à la tortue positive au Covid avant l’heure, Wolfgang Petersen laisse en héritage un mythe certes maladroit et vieilli, plein de bon sentiments mielleux, mais incroyablement puissant et à l’imaginaire presque… sans fin. Auf Wiedersehen, Wolfgang.