Gian Vittorio Baldi a été formé au Centre national expérimental de cinématographie de Rome (où la série qu?il consacra à l?histoire récente de l?Italie lui valut une première reconnaissance, dès 1958). Gian Vittorio Baldi apparaît, dès ses premiers courts-métrages, comme le grand cinéaste italien de la parole et du son. Son synchrone, parole en direct qui, pour lui, est littéralement ce qui fait événement ; parole libre, certes, mais pas nécessairement spontanée, recréée plutôt, rejouée face à la caméra en une forme renouvelée de l?aparté théâtral et transformée par la relation que le cinéaste développe toujours en amont avec ceux et celles qui sont pour lui davantage des présences devenues proches que des personnages documentaires. De là naît cette profonde empathie que ressent le spectateur de façon quasi-tactile au moment d?entrer à l?intérieur de ces vies minuscules, saisies à la lisière de la loi, de la mort, de l?exil, dans un espace tranquillement devenu commun où chacun, filmeur, filmé et spectateur, peut avoir l?impression de faire corps avec la pellicule.
Par ailleurs producteur indépendant (Chronique d'Anna Magdalena Bach, Porcherie,
Carnet de notes pour une Orestie africaine, Journal d'une schizophrène, Quatre Nuits d'un rêveur et les premiers films de
Jean-Claude Biette) et cofondateur d?une éphémère Internationale des Cinéastes Documentaristes, Baldi réalise ensuite Luciano? Una vita bruciata, puis Fuoco!, longs métrages davantage tentés par la fiction. Délibérément conçu pour être inacceptable, sauf pour un spectateur de cinéma ? parce que c?est à son expérience, non à son expertise, qu?il s?adresse ?, Fuoco! (1968), récit d?un carnage sans mobile apparent, donné à voir sans la moindre explication, met en scène une métaphore du pouvoir, une folie meurtrière née d?un pétage de plomb, renvoyant aux impasses d?une société qui aurait globalement perdu la raison. Tourné en quatorze jours, chronologiquement et, pourrait-on dire, d?un seul trait, en 16 mm et son direct, avec le moins d?interventions techniques possible,Fuoco! est excessif, mais sa démesure est à la mesure de sa croyance dans le cinéma. Document sans concession sur la révolte envisagée comme dépense d?énergie et pur embrasement des corps, il met d?abord en jeu un corps de cinéma, chauffé à blanc par les raccords, rappelé à l?ordre par les mouvements de caméra, méthodiques, insistants, obsessionnels dans leur répétition. Ce faisant, c?est également le spectateur qu?il met en scène, bousculé dans ses habitudes, atteint personnellement, documenté sur son propre seuil de tolérance aux images, contraint de réfléchir à ce que regarder signifie. Car, contrairement à ce qu?on tente en vain de nous faire croire, regarder engage. « Je voudrais aider le cinéma dans son agonie, je voudrais l?accélérer : il me semble qu?il n?y a rien d?autre à faire pour continuer d?avoir des idéaux, pour recommencer à tout reconstruire le plus tôt possible », écrivait Baldi en 1967, dans Rinascita. La suite cinématographique de ce projet ne m?est pas connue et nous la découvrirons ensemble à Lussas, une poignée de films restés invisibles en France, dont Nevrijeme?Il Temporale et Zen, qu?Adriano Apra, ancien directeur de la Cinémathèque de Rome, m?affirme être encore meilleurs, ou pires, selon les points de vue et les manières de voir. On pourrait dire, comme Fernand Deligny, selon les points de voir.