Si le cinéma compte plusieurs Hélène de Sparte ou Hélène de Troie marquantes (
Hedy Lamarr,
Elizabeth Taylor...), Jacques Sernas fut le seul Paris digne de ce nom : en d'autres temps, sa beauté lisse eut appelé le ciseau de Phidias ou Praxitèle. Mais ce jeune premier français d'origine lituanienne débuta sous le double patronage de
Jean Gabin au creux de la vague et de
Martine Carol à l'orée du vedettariat, et se révéla sous la direction de Marcel L'Herbier et
Pietro Germi.
Si Sernas effectua presque toute sa carrière en Italie, avec une nette prédilection pour le péplum, il travailla aussi en France avec
Christian-Jaque,
Edmond T. Gréville et Jacqueline Audry, et entama même une carrière hollywoodienne qui tourna court rapidement, sans que la faute lui en incombe.
De père balte et de mère russe, Jacques Sernas s'installe en France avec sa mère alors qu'il a un an, après le décès de son père (qui fut ministre de la justice dans son pays), et son cosmopolitisme s'exprime dès l'adolescence puisqu'il pratique au moins quatre langues.
Pendant la guerre, encore lycéen, il devient résistant. Arrêté par les Allemands, il doit attendre la libération dans le camp de Buchenwald. Il entame ensuite des études de médecine à Paris tout en gagnant sa vie et celle de sa mère comme veilleur de nuit, serveur au Café de la Paix, moniteur de ski à Chamonix... et en couvrant le procès de Nuremberg pour le journal Combat !
Remarqué alors qu'il s'entraîne à la boxe, il obtient une figuration dans un premier film, tout en poursuivant ses études.
C'est tout naturellement qu'il passe de la société de production française Lux à son équivalente italienne, recruté sur photos pour le film Jeunesse perdue - le contrat est même signé par courrier postal...
Jacques Sernas s'installe en Italie fin 1947 et ne quittera pratiquement plus la patrie de Rossellini,
Vittorio De Sica et Visconti. Cependant ses directeurs d'élection s'appelleront Sergio Grieco et
Sergio Corbucci...
Malgré
Pietro Germi et
Alberto Lattuada, et plus tard Alberto Cavalcanti et
Dino Risi, Sernas s'oriente rapidement vers un cinéma d'aventures : Les Mousquetaires de la mer, Le Faucon rouge...
Dans un premier temps, il continue d'apparaître dans des films français (Jean de la lune, Barbe-Bleue, C'est la faute d'Adam) mais entre
Yves Montand,
Danielle Darrieux, François Périer,
Pierre Brasseur,
Erich von Stroheim,
Dany Robin d'un côté, et Carla Del Poggio,
Silvana Mangano,
Vittorio Gassman,
Antonella Lualdi,
Anna Magnani,
Gino Cervi de l'autre, son coeur ne balance pas longtemps, d'autant que le beau Jacques a épousé une journaliste romaine en 1955. Par ailleurs, en cette époque glorieuse du cinéma italien, le Français n'est pas dépaysé car il croise fréquemment des compatriotes sur les plateaux de Cinecitta :
Charles Vanel,
Serge Reggiani,
Alain Cuny,
Maurice Chevalier - que des pointures !
Après le succès de Hélène de Troie (avec Bardot dans une quasi figuration, elle qui eût fait une Hélène idéale, moins fade que
Rossana Podesta) et de L'Enfer de Diên Biên Phu, deux productions américaines, Sernas gagne Hollywood mais, déçu par l'expérience qui dure deux ans (il apparaît seulement dans une poignée de séries), il revient en Italie.
Il entame alors un cycle de péplums, genre en pleine expansion depuis le triomphe de Quo Vadis ? et Les Travaux d'Hercule. Il enchaîne Aphrodite avec Belinda Lee, Sous le signe de Rome avec
Anita Ekberg, Salammbô avec Jeanne Valérie, La Reine des Barbares avec la danseuse cubaine Chelo Alonso, Les Horaces et les Curiaces avec l'américain
Alan Ladd, Maciste contre le fantôme avec
Gordon Scott et
Gianna Maria Canale, La Bataille de Corinthe avec Geneviève Grad et
John Drew Barrymore, Romulus et Rémus avec
Steve Reeves et
Virna Lisi,
Le Fils de Spartacus...
De 1957 à 1961, l'acteur s'évade peu des reconstitutions pseudo-antiques où son physique de beau gosse athlétique fait merveille, sinon comme partenaire de Michèle Mercier dans Les Nuits de Lucrèce Borgia et de Dalida dans Parlez-moi d'amour ; il participe également à
La dolce vita de Fellini.
Sa notoriété et son assimilation sont telles que, lorsque Georges Marchal vient donner la réplique à son compatriote dans Sous le signe de Rome, les autochtones le surnomment le "Jacques Sernas français" !
Lorsque le filon du péplum s'épuise et tombe en décadence, Sernas s'essaie de nouveau aux productions internationales (Les 55 Jours de Pékin, Guerre secrète) puis retrouve le film de guerre (Le Jour le plus court avec
Jean-Paul Belmondo et
Annie Girardot) et s'essaie au policier parodique (Barbouze chérie avec
Mireille Darc) et au western spaghetti (Trois Cavaliers pour Fort Yuma avec
Giuliano Gemma et
Sophie Daumier).
A partir de 1970, l'acteur entre en semi-retraite. On relève encore dans sa filmographie L'Assaut des jeunes loups avec
Rock Hudson en vedette, La Peau de Liliana Cavani d'après Malaparte, L'Avare de Tonino Cervi d'après Molière, L'Africaine de
Margarethe Von Trotta. Mais son apparition dans L'Addition de
Denis Amar passe inaperçue.
Oublié en France, Jacques Sernas se contente désormais de jouer dans des films et des téléfilms italiens qui ne passent plus la frontière de l'hexagone.