La nouvelle est tombée comme un couperet aujourd’hui : nous apprenons avec une immense tristesse que Jean-Pierre Bacri est mort d'un cancer à 69 ans. Depuis plus de quarante ans, il aura été l’ami bougon et incroyablement talentueux qu'on aurait aimé entendre gueuler encore un peu.
Regard aigu, visage buriné par le soleil, verbe ronchonnant et parfois franchement sec, Jean-Pierre Bacri aurait volontiers pu enfiler le costume d’un Clint Eastwood hexagonal (mais de gauche), n’était chez lui quelques atours modestes, presque ronds, franchouillards, qui en faisaient bien davantage l’ami véritable qu’un amoureux de la gâchette. Du reste, c’est bien dans un western qu'il s’est révélé au cinéma (L'Été en pente douce, de Gérard Krawczyk - 1987) ; un western à son image : sans arme, poisseux mais adouci par les flonflons, aride mais tendre, où l’on troque les clefs de l’Alfa contre une vie de bohème dans une campagne pelée. Cette recherche absolue de souveraineté a sans doute caractérisé avec évidence la carrière d’un auteur-acteur qui ne voulait jamais se laisser enfermer dans les commodités. Fuyant ou dépressif (Kennedy et moi, On connaît la chanson), bravache et têtu : ni le comédien ni les personnages qu’il jouait ne s'en laissaient jamais compter. Ne pas se laisser enfermer peut-être, sauf en amitié, à laquelle il semblait vouer une fidélité absolue (Mes meilleurs copains, Un air de famille, Didier, etc.). La fidélité au métier, à la troupe, à son couple aussi : en amour et dans le travail d’abord, puis dans le travail seulement, avec Agnès Jaoui, ils mettront en scène quelques pièces de théâtre - qu’ils adapteront au cinéma (Cuisine et dépendances, Un air de famille) - et scénariseront ensemble six films, notamment deux chefs-d'œuvre d’Alain Resnais, remarquables entrelacs sentimentaux (Smoking/No Smoking, On connaît la chanson), tous rencontrant un très grand accueil populaire et critique. Regard aigu disions-nous plus haut - le coup d'œil plutôt : franc, parfois moqueur, toujours dans le vrai, nous semblait-il. Cet authentique gueulard, dont chacun attendait les éclats avec gourmandise, ne rouspétera plus, laissant le monde dans un silence de mort.