Commentaire au coin du feu n° 18 : Autopsie d'un meurtre de Otto Preminger

Commentaire au coin du feu n° 18 : Autopsie d'un meurtre de Otto Preminger

Liste de 1 film par Shinbone
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Autopsie d’un meurtre est un film de grande maturité pour Otto Preminger. Depuis Laura en 1944, film qu’il jugea lui-même comme son premier vrai projet personnel, le natif de l’Empire austro-hongrois a su lier une stimulante réflexion sur l’image de la femme fatale et les manipulations avec une mise en scène discrète, mais d’une grande élégance. Avec Autopsie d’un meurtre il s’empara de tout et nous livra un film passionnant sur les rouages de la machine judiciaire américaine. Bien huilée, cette dernière est toutefois fondée sur la cacophonie et la prestidigitation.

Le tribunal est un théâtre et tout y est représentation. Le film met en lumière l'impuissance de tout système judiciaire à rendre des décisions véritablement justes. En effet, La force de conviction des avocats prend clairement le pas sur les faits présentés. A bien des égards, les témoins sont littéralement agressés et poussés dans leurs retranchements, ce qui n'est pas sans amuser la foule des spectateurs. Même le jeune psychologue amené à témoigner doit revêtir des lunettes, une sorte de déguisement, pour paraitre plus sérieux, plus expérimenté face à son auditoire. En faisant des allusions douteuses, les avocats font preuve de malice, car ils savent que ces éléments resteront en mémoire malgré les objections retenues. Outre l’indépendance de la justice, d’autres institutions s’invitent et orientent le procès d’une manière détournée. C’est le cas de l’armée qui envoi gratuitement un de ses psychologues témoigner en faveur du militaire accusé dans l’affaire. L’institution militaire protège ses poulains, les dires du psychologue seront réfutés par un confrère issu d’une autre branche, mais pour les douze membres qui composent le jury, la parole de l’un peut bien valoir les dires de l’autre. Une manière de neutraliser l’accusation, car dans le doute d’une condamnation injuste, la prudence est souvent de mise.

Biegler, le brillant avocat incarné par James Stewart est lui-même mandaté. Certains signes dévoilent qu'il n’est pas entièrement convaincu par l'innocence de son client. Après tout, l’avocat se clame trop pur pour l’impureté naturelle des lois. Pourtant, il incite son client à plaider non coupable, car l'historique judiciaire est de son côté et l'ultime carte d’un fameux précédent est tirée. De la même manière, le film assimile la plaidoirie à des appâts amorcé dans l’autre camp. Les joutes oratoires deviennent assimilables à la pêche à la ligne, une pratique affectionnée par Biegler, mais également par le juge Weaver. La manipulation est la règle. Ses mécanismes sont compris et incités à chaque rang d’un théâtre qui se voudrait aisément comique s’il ne témoignait pas d’éléments tangibles à portée tragique.

D'une certaine manière, l'administration judiciaire se rend compétente pour interpréter un crime en un acte de jalousie non contrôlé. Nous n'assisterons pas une réduction de peine, l’accusé a plaidé non coupable, mais tout simplement à l'abandon des charges. La morale est en berne. Enfin, ce dernier élément amène une réflexion psychologique sur la responsabilité des actes commis. Déclarer l’accusé non coupable, c’est l’innocenter alors que le meurtre a bien eu lieu et l’identité du tueur ne fait aucun doute. Si la « folie passagère » est un argument recevable dans le but de reconsidérer une peine, il ne peut dédouaner totalement. La remise en liberté immédiate du criminel surligne le caractère frivole d’une justice enlisée dans ses traditions et sa dimension spectaculaire. Inspiré, Preminger maintient le doute sur la sincérité de l’accusé et de sa femme, impliquée malgré elle dans l’affaire.

Si le tribunal est le cœur du film, toute la longue première partie d'exposition des faits et des personnages en serait l'âme. Pour quelle raison ? tout simplement parce-que l'on retrouve nombres de motifs déjà présents chez Preminger. Le plus significatif d'entre eux : la réutilisation du prénom Laura pour l’héroïne du film. Chez Preminger, la femme fatale est désinvolte, victime de sa propre image (le tableau de Gene Tierney dans le film Laura). Sous la dimension judiciaire examinée au scalpel se dissimule à nouveau le féminisme si précoce au cinéma de Preminger. Comme dans une grande partie de son œuvre, on retrouve la fétichisation de la femme qui telle une sirène attire les marins en masse (voir Crime passionnel pour saisir pleinement l’allusion), et paradoxalement la place de la femme en société sans arrêt réduite à son enveloppe charnelle au sein de la microsociété des hommes qu'est le tribunal. Le viol de Laura aurait provoqué le meurtre de l’agresseur. La parole de cette femme d’apparence frivole est sans arrêt mise en doute, elle doit jurer sur un chapelet devant son mari pour prouver qu’elle a bien été agressée sexuellement, puis passer par le détecteur de mensonges pour confirmer ses dires devant la police.

N'oublions pas que l'innocence du mari ne sera stipulée qu'en vertu de l'humiliation publique de sa femme avec les témoignages concernant ses sorties nocturnes, la perte d’une culotte, la légèreté de sa pratique religieuse… Autopsie d’un meurtre renvoi au paradoxe de l’homme qui se plait à exhiber sa femme aux formes gracieuses, mais s’insurge dès qu’elle devient le centre des convoitises. De possession, il est question également lorsque le quotidien de l’épouse est décrit. Enfermée dans une caravane, elle étouffe en attentant le retour de son mari à une heure tardive. A cause de la fatigue du militaire, la soirée n’est guère plus propice aux échanges. En sortant s’amuser dans les bars durant les siestes de son époux, Laura est jugée car elle possède la volonté de s’émanciper de sa condition de ménagère qui repasse toute la journée. Ces instants de plaisirs ne lui seront pas pardonnés par les curieux venus au tribunal, le tout sous la complaisance des professionnels de la justice.

Le manque de foi de Biegler envers sa profession est un élément clé abordé dans la première partie. Il rend la conclusion amère. En revanche, l'art par l’intermédiaire de la musique est présenté comme une activité salutaire. Une activité de représentation également, mais qui ne manipule pas son auditoire, elle le stimule. Une réponse faite d'harmonies à la cacophonie de nos sociétés. Soulignons la bande originale discrète, mais néanmoins chargé d’une atmosphère jazzy de Duke Ellington. Dans le bon sens du terme, Autopsie d'un meurtre est un film somme de Preminger, car il lie les deux pans de sa filmographie : la femme fatale qui le devient à ses dépens, puis son éviction par la société (il s’agit de Laura et les autres) ; et la manipulation des faits par les gens de pouvoir (nous retrouvons cet aspect chez le détective Mark Dixon, chez le troublant docteur Korvo).

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