Ernst Lubitsch est le fils d'un tailleur berlinois, Simon Lubitsch, qui tenait à Berlin un magasin de vêtements pour hommes réputé. Simon Lubitsch était issu d'une longue lignée de Hofjuden (« juifs de cour »). Ernst, fils unique, nait le 28 janvier 1892, et reçoit une éducation soignée, qui comprend également les arts dramatiques. Las des études et fasciné par le théâtre, il quitte l'école à 16 ans. Simon n'admet guère la vocation de son fils et le prend au magasin. Six mois plus tard, celui-ci doit déchanter, tant le fils se montre incapable : « Mon fils est un Schlemihl. Il est incapable d'accrocher un costume sans en faire tomber cinq autres. »
Il décide donc de le placer comme comptable, ce qui donne à Ernst l'occasion de mener une double vie : il travaille le jour et se consacre à sa passion théâtrale la nuit. Par l'intermédiaire de Victor Arnold, acteur fort connu de l'époque, Lubitsch obtient divers petits engagements dans des cabarets. Comme il s'en sort fort bien, Arnold décide de le présenter à Max Reinhardt, directeur du Deutsches Theater, qui l'intègre dans sa troupe, au sein de laquelle se trouve déjà
Emil Jannings. Lubitsch obtient ainsi des seconds rôles dans des pièces classiques : il joue notamment le Famulus Wagner dans Faust.
En 1912, l'une des représentations du Mirakel (Miracle) de Karl Gustav Vollmoeller (1887-1948) fut filmée. La même année, Lubitsch devient l'homme à tout faire du studio Bioscop de Berlin, pour arrondir ses fins de mois. Le cinéma est en effet en pleine expansion en Allemagne. En 1913, on l'engage comme acteur, ce que Lubitsch accepte non par intérêt pour le septième art naissant, mais en raison d'un salaire élevé : 20 marks par jour, à comparer aux 100 marks par mois qu'il gagnait avec Reinhardt. Il joue des rôles comiques dans Shuhpalast Pinkus, et surtout dans la série de films Meier, réalisée la plupart du temps par de quasi-inconnus mais produit par Paul Davidson, dirigeant de l'Union-Film, dans laquelle il crée le personnage de « Meier », archétype du comique juif allemand. « Avec ces films, il devint le comique le plus en vue du cinéma allemand, aussi populaire que Max Linder en France et
Harold Lloyd sinon Chaplin en Amérique à la même époque. »
En 1914, les scénaristes sont à court d'idée, mais Lubitsch n'en manque pas. Aussi prend-il désormais la triple casquette d'acteur-réalisateur-auteur. Cet arrangement qui diminue les effectifs satisfait Davidson, qui offre à Lubitsch une augmentation de salaire. Au cours des quatre années de guerre, Lubitsch monte de nombreux films, prompts à relever le moral de la population allemande, et délaisse de plus en plus les premiers rôles : il se contente des seconds.
Ce succès lui permet de réaliser ses propres films à partir de 1916. Il abandonne alors sa carrière d'acteur.
En 1918, il réalise son premier film marquant : Les Yeux de la momie (Die Augen der Mumie Ma), un drame avec
Pola Negri et
Emil Jannings.
La même année, il réalise
Carmen. En 1919, il triomphe avec La Princesse aux huîtres (Die Austernprinzessin), encore une comédie. Suivent des drames historiques (Madame Du Barry, Ann Boleyn) et des comédies, qui font de lui un réalisateur de stature internationale. On le surnomme même « le David Wark Griffith allemand », et en 1921, il est invité aux États-Unis pour la première fois.
Il quitte l'Allemagne en 1922, à l'âge de trente ans, pour rejoindre Hollywood sur l'invitation de
Mary Pickford. Elle veut qu'il la dirige dans Dorothy Vernon of Haddon Hall. Il refuse le projet, mais la dirige dans
Rosita en 1923, son premier film américain, à nouveau un succès. Il est sous contrat avec la Mary Pickford Company ; c'est un travailleur acharné et chaque film semble surpasser le précédent, en qualité et en succès (critique et commercial). On commence à parler de la Lubitsch touch : élégance et sophistication dans la satire, sens du rythme et de l'ellipse.
En 1926, il rejoint la Paramount et réalise son premier film parlant en 1929 : Parade d'amour (The Love Parade) avec
Maurice Chevalier et
Jeanette MacDonald qui obtient six nominations aux Oscars dont celle de meilleur film. Avec l'apparition du son, de brillants dialogues viennent s'ajouter à la Lubitsch touch (même s'il n'est jamais crédité comme scénariste ou dialoguiste). En 1925, il obtient enfin une carte de séjour : il évitait jusqu'à présent le Service de l'Immigration grâce à la Warner.
En 1935, le régime nazi le déchoit de sa nationalité allemande. La même année, il devient directeur des productions de la Paramount, seul réalisateur hollywoodien à diriger un grand studio. Le 27 juillet 1935, il épouse Vivian Gaye, une actrice et agent artistique britannique, née Sanya Bezencenet en 1908. Ils ont une unique fille, Nicola Lubitsch, née le 27 octobre 1938. En 1936, la Paramount le relève de ses fonctions de directeur des productions, et il redevient réalisateur à plein temps. La même année, il est naturalisé citoyen américain.
Dans cette période, Lubitsch réalise ses films les plus connus, tous des comédies. Il travaille avec les meilleurs scénaristes, notamment
Billy Wilder et
Charles Brackett, et fait travailler toutes les grandes stars de l'époque :
Claudette Colbert,
Gary Cooper,
Marlène Dietrich,
James Stewart,
Carole Lombard,
Gene Tierney. C'est lui qui fait pour la première fois entendre le rire de
Greta Garbo, dans Ninotchka. Les films, malgré leur caractère léger et brillant, abordent souvent des préoccupations très sérieuses et contemporaines : en 1939,
Ninotchka est l'un des premiers films à critiquer le régime de Staline, en 1940, The Shop Around the Corner aborde la question du chômage, et en 1942
Jeux dangereux évoque la résistance au nazisme.
En 1947, Ernst Lubitsch reçoit un Oscar d'honneur (il a été nommé trois fois et n'a jamais obtenu l'Oscar) mais meurt peu après, d'une crise cardiaque, pendant le tournage de La Dame au manteau d'hermine qui est achevé par
Otto Preminger. Il meurt le 30 novembre 1947 à Bel Air (Los Angeles). Il est enterré dans le Forest Lawn Memorial Park Cemetery à Glendale en Californie. À son enterrement,
Billy Wilder se serait affligé « Plus de Lubitsch », se voyant répondre par
William Wyler « Pire que ça : plus de films de Lubitsch ».