Renaud Pierre Manuel Séchan est né le 11 mai 1952 dans le 14e arrondissement de Paris. Il a un faux jumeau, David, ainsi que quatre autres frères et soeurs dont l'écrivain Thierry Séchan.
Son oncle, Edmond Séchan, photographe et réalisateur reconnu (entre autres : Oscar du meilleur court-métrage étranger en 1975) et son père, Olivier, professeur d'allemand et de néerlandais, traducteur et auteur de romans policiers, sont originaires d'une famille protestante des Cévennes. Son père a reçu le prix des Deux Magots en 1942 pour Les Corps ont soif et a travaillé pendant la Seconde Guerre mondiale à Radio Paris. Il lui a donné le goût de l'écriture.
Sa mère, Solange, originaire d'une famille de mineurs du Nord, était ouvrière avant de devenir femme au foyer.
Son grand-père paternel, Louis Séchan était un helléniste français renommé, professeur à la Sorbonne, auteur de divers ouvrages et dont l'épouse, Isabelle Bost, était, par son père, la petite-fille d'Ami Bost et la nièce de John Bost et, par sa mère, la nièce de Louisa Siefert (arrière-grande-tante de Renaud), qui connut Arthur Rimbaud.
Son grand-père maternel, Oscar, ancien mineur après avoir quitté l'école à l'âge de 13 ans, fut d'abord membre du
Parti communiste, puis le quitta en 1937, déçu après un voyage en Union Soviétique en 1932. Il rejoignit ensuite le Parti populaire français, parti collaborationniste de Jacques Doriot.
À ce double héritage culturel s'ajoutent également deux tendances musicales : sa mère écoute de la chanson populaire allant de Fréhel à
Maurice Chevalier ou Édith Piaf alors que son père est amateur de musique classique et de chanson française, notamment
Georges Brassens.
Vers 10-12 ans, il découvre la vague yéyé et les Beatles et vers 14-15 ans, il se met à écouter le chant de révolte de Hugues Aufray, qui devient sa première idole, et
Bob Dylan puis
Joan Baez, Leonard Cohen, Donovan, Sullivan. En 1966, il découvre Antoine dont les thèmes qu'il défend le touchent, et commence la guitare. Son style vestimentaire s'inspire toutefois d'un autre chanteur : Ronnie Bird.
Malgré certaines aptitudes, notamment en français, Renaud manifeste très peu d'intérêt pour les études, avec un dégoût particulier pour les cours de gymnastique dont le côté militaire l'énerve déjà. En 1963, Renaud et son frère rentrent en sixième au lycée Gabriel Fauré dans le 13e arrondissement où leur père enseigne l'allemand. À partir de là, les résultats de Renaud commencent à baisser, notamment en mathématiques, celui-ci préférant s'intéresser aux boums, aux filles, et aux mobylettes. Il commence à sécher les cours, préférant aller écrire des poèmes devant les statues du jardin du Luxembourg. En 1965, il échoue au BEPC et doit redoubler sa troisième mais le lycée Gabriel Fauré refuse de le garder malgré l'influence de son père. Il intègre ainsi le lycée Montaigne à la rentrée 1967 sans plus de succès dans ses résultats.
Plutôt que les études, Renaud se sent bien plus attiré par la politique. Dès 1962, il s'intéresse aux réactions et manifestations pacifistes métropolitaines durant la guerre d'Algérie, auxquelles ses parents ont participé, et est profondément choqué par les évènements du métro Charonne et par l'explosion de deux bombes de l'OAS près des appartements de la famille Séchan. En 1966, il fait ses premiers pas de militant en rejoignant le MCAA (Mouvement Contre l'Arme Atomique), animé par Jean Rostand. Dans son nouveau lycée, à l'atmosphère plus politisée, il rencontre d'autres camarades du même bord politique que lui avec qui il part provoquer les étudiants de la faculté de droit d'Assas et leurs militants d'extrême droite, toute proche. Par l'intermédiaire de ses copains, il s'approche des milieux maoïstes et trotskystes. Cette rébellion lui vaut quelques heurts avec son père. Il crée un Comité Viêt Nam dans son lycée pour protester contre la guerre du Viêt Nam en 1967 et fréquente assidument les « Amitiés franco-chinoises ».
En mai 1968, avec son frère Thierry, Renaud vit pendant trois semaines dans la Sorbonne occupée, participant aux manifestations et barricades. Il fête ses seize ans le 11 mai sur les barricades du quartier latin.
Pendant mai 1968, il participe à la création du groupe Gavroche révolutionnaire qui ne fait guère d'émules. Il récite aussi des sketches de
Guy Bedos, ce sont ses premiers pas sur scène. C'est par ailleurs dans l'un des amphithéâtres de la Sorbonne que Renaud croise Évariste, un étudiant qui commence à chanter en s'accompagnant de sa guitare une chanson écrite par lui-même. Il découvre alors l'écriture de chansons, et rédige sa première : Crève salope qui a eu un franc succès auprès des autres étudiants. Deux autres chansons, C.A.L. en Bourse et Ravachol, suivent rapidement, toutes encore inédites à ce jour.
En août 1968, comme cela se fait un peu partout en Europe, il fonde avec quelques amis une communauté anarchiste sur le Mont Lozère, dans les Cévennes mais ils sont rapidement délogés par la gendarmerie. Ses parents l'inscrivent alors dans une classe de seconde artistique du lycée Claude Bernard, au milieu des quartiers de la porte d'Auteuil, dont l'environnement bourgeois l'exaspère. Il retrouve ses amis de Montaigne au « Bréa », un bistrot près de son ancien lycée qu'il continua de fréquenter par la suite.
En avril 1969, il arrête ses études, s'installe dans une chambre de bonne, et entre dans la vie active comme magasinier puis vendeur à la Librairie 73 au boulevard Saint-Michel durant deux ans, il profite de ses temps libres pour lire autre chose que ce que lui a imposé l'école :
Vian,
Prévert, Maupassant, Zola, Bruant, Céline... À cette époque, il chante encore uniquement pour amuser ses amis ou draguer. Les chansons sont de lui, mais aussi d'Hugues Aufray ou de
Bob Dylan. Au bout de quelques mois il peut s'acheter une première moto avec laquelle il rencontre ses premiers amis « loubards » et fréquente les bandes d'Argenteuil, de République et de Bastille. Comme eux, il se met à porter le cuir et reconnaît avoir failli mal tourner. Avec eux il connait les bagarres, même s'il préfère les éviter, et se laisse entraîner dans quelques petits casses mais, songeant à ce que penserait sa mère, il refuse d'aller plus loin.
En 1971, en vacances à Belle-Île-en-Mer, il rencontre
Patrick Dewaere dans une soirée qui le fait entrer comme comédien au Café de la Gare (à Paris) pour remplacer un acteur au physique similaire parti aux États-Unis. Pendant quelques mois, tout en restant libraire la journée, il joue avec
Coluche,
Miou-Miou,
Romain Bouteille,
Henri Guybet,
Sotha et, bien sûr,
Patrick Dewaere, notamment dans Robin des quoi ? de
Romain Bouteille. Il rend finalement sa place à l'acteur à son retour (il fut plus tard remplacé par
Gérard Depardieu). Renaud pense alors avoir trouvé sa vocation : comédien.
Il est exempté du service militaire, ayant eu un demi-frère décédé lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale et ses trois frères précédents ayant été exemptés pour d'autres motifs. En 1972, licencié de la librairie, suite à ses retards successifs, Renaud quitte Paris pour s'installer à Avignon. Il en revient au bout de cinq mois, face au peu d'avenir que lui offre la ville dans les carrières artistiques qu'il envisage, et après avoir effectué de multiples petits boulots de plongeur ou de représentant en livres pornos.
En 1973-1974, dans sa période dandy où il fréquente les hauts lieux de Montparnasse, il continue les petits boulots, prend des cours d'art dramatique, et joue quelques petits rôles dans des séries télévisées, des petits films... Après s'être fait rejeter lors d'une audition sur scène pour jouer de la musique au Don Camilo, il commence à chanter dans les rues et les cours d'immeuble du côté de la porte d'Orléans, rejoignant un copain accordéoniste, Michel Pons, le fils du patron de son bistrot favori le « Bréa ». Il y chante le Paris populaire qu'il affectionne tant grâce aux chansons de Bruant principalement ou de simples bals musette, mais son répertoire s'élargit avec ce qu'il écrit et compose lui-même. L'idée était de faire revivre la tradition des accordéonistes qu'il avait vus faire la manche dans son enfance. La recette obtient un certain succès.
En 1974 alors que
Coluche donne son premier spectacle au nouveau Café de la Gare rue du Temple, Renaud, Michel et leur guitariste Bénédicte Coutler décident de jouer dans la cour pour les 500 personnes de la file d'attente, où ils se font remarquer par Paul Lederman, le producteur de Coluche, qui leur propose de venir jouer au Caf'conc' de Paris, en première partie du spectacle de
Coluche. Leur groupe est appelé les P'tits Loulous. Engagés pour trois mois, le groupe ne dure que trois semaines car Michel doit partir effectuer son service militaire. Encouragé par Ledermann, Renaud continue seul en chantant ses propres chansons (Hexagone, Camarade bourgeois...). C'est là qu'un soir de 1975, deux producteurs, Jacqueline Herrenschmidt et François Bernheim, l'entendent et lui proposent de faire un disque. Renaud, qui avait déjà refusé une proposition de Lederman - il entend toujours faire acteur -, est peu enthousiasmé par la proposition mais accepte tout de même. Son premier 33 tours, Amoureux de Paname, sort en mars 1975.
Jean-Louis Foulquier est le premier à l'inviter à son émission Studio de Nuit. Lors de son premier passage télévisé, à Midi-Première chez Danièle Gilbert, il joue Camarade Bourgeois. Avec 2 200 exemplaires vendus, Amoureux de Paname lui vaut un succès d'estime qui lui permet de chanter dans des MJC et de faire quelques dates, faiblement rémunérées, en France et en Belgique. La chanson Hexagone, qui brocarde la France d'alors (qu'il accuse de fascisme en le comparant à la « gangrène » qui sévit « à Santiago comme à Paris », allusion au régime de Pinochet), est interdite d'antenne sur France Inter pendant la visite du pape en France.
En juin 1975, il partage l'affiche avec Yvan Dautin à La Pizza du Marais devant un petit public comprenant les déjà célèbres
Julien Clerc et Maxime Le Forestier. Il y fait aussi la connaissance de
Bernard Lavilliers qui essaye de percer comme lui. L'auditoire ne sait pas trop que penser de ce jeune homme ni très bon chanteur, ni très bon musicien, mais quelques journalistes s'intéressent déjà à lui. Renaud, lui, ne croit pas à une quelconque carrière et continue de faire le figurant dans des petits feuilletons ou le mécanicien dans un magasin de moto. Début 1977, il joue même plusieurs soirs dans Le Secret de Zonga, une pièce de
Martin Lamotte au café-théâtre La Veuve Pichard. Il y rencontre Dominique Lanvin, sa future épouse.
Toujours avec ses mêmes producteurs, Renaud sort son deuxième album Laisse béton en 1977 où il abandonne son image de titi parisien (qu'il trouve trop folklorique) pour celle du gentil loubard au blouson de cuir, image qu'il durcit jusqu'à l'album Marche à l'ombre. Renaud a de plus de liberté pour cet album. Il impose ses musiciens, la pochette et la chanson Les Charognards que ses producteurs refusaient pour « apologie du gangstérisme » (il n'avait pas réussi à leur imposer une chanson contre Franco sur l'album précédent). Nettement plus soigné, Laisse béton se vend modestement mais la chanson-titre devient vite un tube dans les premiers mois de 1978 et le grand public découvre le chanteur Renaud.
Fin 1977, au cours de l'émission Studio de Nuit de Jean-Louis Foulquier, sur France Inter Jacques Erwan (journaliste) et Alain Meilland (co-fondateur avec Daniel Colling du Printemps de Bourges) vont lui proposer un premier passage à ce nouveau festival consacré à la chanson française. Ce nouveau venu dans la chanson triomphe au Printemps de Bourges en avril 1978, accompagné par le groupe Oze. La chanson Hexagone fait partie du double album compilation et Renaud restera très attaché à ce festival qui le programmera souvent.
Son image de loubard amène aux concerts un public de voyous auquel il n'avait jusqu'alors pas été habitué. Le 30 juin, Renaud remporte le premier prix au Festival de Spa, en Belgique, avec Chanson pour Pierrot. La vente du single Laisse béton atteint les 300 000 exemplaires et l'album se vend à 200 000 exemplaires. Ccette soudaine célébrité l'amène à se poser des questions sur l'influence qu'il peut avoir. Les médias commencent à lui coller l'étiquette de loubard alors qu'il refuse de se limiter à cet aspect. En effet Renaud n'attribue pas à ses chansons de zonard un côté autobiographique mais une manière de faire connaître les problèmes de ces gens qu'il a connus. Pour se « démystifier » aux yeux du public, il termine tous ses spectacles par Peau Aime qui se retrouve sur son album suivant. La boîte de production ayant fait faillite, Polydor rachète le contrat de Renaud, qui dispose d'un contrat moins léonin.
Troisième album de Renaud, Ma gonzesse sort en janvier 1979. Dans la lignée du précédent, Renaud se dévoile néanmoins plus sensible et adepte de l'autodérision. C'est mon dernier bal est interdite d'antenne. En mars, il affronte sa première grande salle parisienne : le Théâtre de la Ville, salle de huit cents places où il joue à guichets fermés cinq soirs de suite. Avec le succès croissant arrivent les premières controverses. Maintenant que le chanteur a gagné beaucoup d'argent et qu'il se met à faire des chansons sentimentales, son image de loubard rebelle ne colle plus vraiment et certains, comme Rock & Folk, le voient déjà récupéré par la société de consommation. De plus la famille d'intellectuels du côté de son père lui vaut d'être traité de bourgeois. Ces critiques énervent Renaud qui promet un prochain album « d'une violence noire. »
En 1980, Renaud publie chez l'éditeur à réputation révolutionnaire Champ libre, un recueil des paroles de ses chansons intitulé Sans zikmu. La relation avec l'éditeur tournera court suite à un échange de lettres où Gérard Lebovici reproche à Renaud sa complaisance avec des medias staliniens et le fait qu'il n'ait pas écrit de chanson sur Mesrine lorsqu'il était encore en vie. L'album suivant, Marche à l'ombre, sorti en janvier 1980, est dédié, entre autres, à Paul Toul (pseudonyme de Jacques Mesrine), criminel français des années 1970, tué par la police. Plus violent et plus sombre (Baston, La Teigne, Marche à l'ombre, Mimi l'ennui...) sans être dénué d'humour, l'album obtient un fort succès. Renaud a abandonné son groupe de scène pour une équipe de musiciens professionnels comme Jean-Philippe Goude. Gérard Lambert, personnage central de la chanson Les aventures de Gérard Lambert, devient un vrai phénomène. Plus préjudiciable Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ? s'en prend violemment à toutes les critiques qu'il a pu recevoir et lui attirent les foudres du
Parti communiste français. La même année Renaud est applaudi par le public et par la presse à Bobino dont Polydor met en vente un double album live Renaud à Bobino. La première partie du spectacle, qui était elle aussi assurée par Renaud, sort en album sous le titre Le P'tit Bal du samedi soir et autres chansons réalistes. Renaud y chante de vieilles chansons du siècle précédent, accompagné par l'accordéoniste Joss Baselli.
Avec Le Retour de Gérard Lambert, enregistré fin 1981, Renaud commence à délaisser son blouson noir, transition entre Marche à l'ombre et Morgane de toi. Devenu père d'une petite Lolita depuis août 1980, Renaud préfère s'éloigner de la violence. Cependant, les ventes n'égalent pas celles de Marche à l'ombre malgré la présence de deux titres phares, Manu et La Blanche (dédiée à Michel Roy), et d'une chanson signée
Coluche, Soleil immonde. En novembre 1981, sort Les Aventures de Gérard Lambert, une BD scénarisée par Renaud et dessinée par Jacques Armand. Fin 1982, Renaud fait sans le savoir ses adieux au loubard sur la scène de l'Olympia. Un double album live intitulé Un Olympia pour moi tout seul est édité à l'occasion de ce concert.
Inspiré par des amis et par la lecture des récits des voyages d'Antoine, aspirant à fuir un peu la surmédiatisation, Renaud découvre la mer et prend le large avec son bateau, la Makhnovchtchina. L'épopée dure de septembre 1982 à mars 1983 et il en tire un tube : Dès que le vent soufflera avec son fameux « Tatatin ». Pour Morgane de toi, sorti en 1983, Renaud part pour Los Angeles et s'entoure de musiciens américains renommés, comme le guitariste Albert Lee. Cet investissement n'est pas vain car Morgane de toi se vend à plus d'un million d'exemplaires en quelques mois. Deux chansons y sont dédiées à sa fille, inaugurant une longue tradition qui se poursuit sur tous les albums suivants.
Serge Gainsbourg réalise le premier clip de Renaud sur Morgane de toi. Renaud a définitivement cassé son image : moins agressif, plus écolo, un blouson en jean à la place du blouson de cuir. Il conserve cependant les santiags et le bandana rouge.
En 1981, Renaud représente 45% du chiffre d'affaires de Polydor. Mais ne se sentant pas soutenu par sa maison de disque, il ne renouvelle pas son contrat après Morgane de toi. Il signe chez Virgin pour 18 millions de francs, une somme record pour l'époque. Il fonde alors son label, Ceci-Cela, ainsi qu'une maison d'éditions Mino Music et Encore merci qui s'occupe du merchandising. Il joue au Zénith de Paris, qui vient juste d'être inauguré, du 17 janvier au 5 février 1984, puis effectue une tournée qui se termine au Printemps de Bourges. Entre le 10 et le 20 juillet, il part à la rencontre de son public québécois et réunit 40 000 personnes au cours de ses six concerts en Amérique du Nord. Le 8 septembre, malgré ses relations en froid avec le PCF, il chante en vedette à la Fête de l'Humanité, revenant ainsi sur ses prises de positions passées pas plus tard qu'au début de l'année, afin de bien montrer qu'il s'oppose à la droite.
L'année 1985 est une année mouvementée pour Renaud. En février, la chanteuse
Valérie Lagrange lui propose d'écrire une chanson pour l'Afrique. À l'époque en effet, une sécheresse sans précédent sévissait en Éthiopie depuis plusieurs années, faisant des milliers de victimes. Des musiciens africains et des artistes d'Amérique du Nord comme
Bob Geldof avaient déjà réalisé des disques de solidarité mais en France, rien n'avait été fait. Valérie Lagrange voit en Renaud le catalyseur idéal pouvant faire bouger les artistes. Après quelques hésitations, il accepte, écrit une chanson sur une musique de Franck Langolff et réunit une trentaine d'artistes (parmi lesquels Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman,
Jacques Higelin,
Coluche,
Julien Clerc,
Alain Souchon...). Le disque dépasse rapidement le million d'exemplaires (1 724 000 exactement, 8e single le plus vendu en France) et rapporte plusieurs millions de francs à Médecins sans frontières, l'association bénéficiaire de l'opération. Le concert des Chanteurs sans frontières organisé par la suite à La Courneuve est cependant bien moins réussi.
En août, contacté par le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, Renaud part donner une série de concerts à Moscou, en URSS. Séjour encadré mais globalement positif, Renaud se réjouissant d'affronter un public non francophone, jusqu'à l'incident du parc Gorki : devant dix mille personnes (triées sur le volet), Renaud entame sa chanson pacifiste Déserteur. Des projecteurs éclairent soudainement les gradins, trois mille spectateurs se lèvent en même temps et quittent la salle. Incident prémédité, probablement par une faction dirigeante peu encline à cette ouverture vers l'Occident, dont Renaud, fils de communistes fervents, sort profondément blessé. Ce séjour soviétique modifie sa vision du pays et lui inspire la chanson Fatigué (paru ensuite dans le futur album Mistral gagnant) qu'il avait ébauché le jour même devant l'hotel Ukraine. Épuisé moralement et physiquement, il quitte l'URSS pour l'enregistrement de son album suivant à Los Angeles.
Arrivé dans les bacs en décembre, Mistral gagnant sent la désillusion (Fatigué), la désespérance (Morts les Enfants, P'tite Conne - chanson dédiée à
Pascale Ogier, la fille de l'actrice
Bulle Ogier), la nostalgie de l'enfance (Mistral gagnant), traduisant ainsi les derniers mois difficiles durant lesquels Renaud écrivit les chansons de l'album. Le titre Miss Maggie, hymne féministe - écrit après le drame du Heysel - et charge contre Margaret Thatcher, déclenche une polémique en Angleterre. L'accueil enthousiaste du public (plus d'un million d'exemplaires vendus) et de la critique favorable à ce disque « inquiet » redonne confiance à Renaud pour sa prochaine prestation pendant un mois au Zénith début 1986. 180.000 personnes y assistent. Le décor, un bateau, le Karaboudjan, Le Crabe aux pinces d'or. Sa tournée Le Retour de la Chetron Sauvage est un franc succès. Par ailleurs, un recueil de ses chansons et dessins, préfacé par
Frédéric Dard, lui vaut d'être invité par Bernard Pivot dans l'émission Apostrophes, reconnaissance officielle de ses talents d'écrivain.
Si sa vie d'artiste est comblée, ce n'est pas le cas de sa vie personnelle. Renaud s'enfonce doucement dans la déprime : par la remise en question de ses engagements (qui a commencé depuis Morgane de toi), par le temps qui passe... et par les premiers deuils. Le 19 juin 1986, la mort brutale de son ami
Coluche l'affecte gravement. En 1988, Renaud dédie son nouvel album Putain de camion à Marius et à Romain, les fils de Michel et Véronique Colucci. La chanson-titre de l'album est d'ailleurs un hommage à celui qui fut le parrain de sa fille Lolita. L'album sort sans promotion, décision qui a un effet sensible sur les ventes : 750 000, soit deux fois moins que le précédent. L'album obtient malgré tout en 1989 plusieurs prix.
En 1989, Renaud organise un grand concert gratuit place de la Bastille à Paris, Ça suffat comme ci avec Johnny Clegg et la Mano Negra, initié par l'écrivain Gilles Perrault et la LCR en réponse au sommet du G7 à Paris. La même année sort un double album live, Visage pâle rencontrer public, Renaud tour 89 témoignage d'une tournée avec, pour décor, un arbre géant.
De 1975 à 1985, il a enregistré sept albums. Jusqu'en 1995, il en enregistre trois (plus deux albums de reprises).
En 1991 arrive l'album Marchand de cailloux, enregistré au Studio Sarm West à Londres durant la première guerre du Golfe contre laquelle Renaud a milité (on peut lire au dos du disque « enregistré pendant leur sale guerre »). Avec des chansons pacifistes, de pêche à la ligne (Tant qu'il y aura des ombres) ainsi que sur les dirigeants socialistes qui l'ont tant déçu (Tonton, Le tango des élus), l'album se vend à peine moins bien que Putain de camion (650 000 exemplaires) mais obtient un Grand Prix de l'Académie du disque Charles Cros. Le clip de P'tit voleur est tourné avec Emmanuelle Béart.
En mai 1992, il chante cinq semaines durant au Casino de Paris, cette fois sans décor exorbitant. En juillet 1992, il fait partie de l'équipe qui relance Charlie Hebdo, et devient actionnaire du titre. Il arrête sa chronique Renaud bille en tête en décembre 1993 pour se consacrer à l'enregistrement de À la Belle de Mai. Il recommence entre janvier 1995 et juillet 1996 avec Envoyé spécial chez moi. Il consacre le reste de l'année 1992 au tournage de
Germinal où il joue le rôle d'Étienne Lantier aux côtés de
Gérard Depardieu,
Miou-Miou et
Jean Carmet. En 1980, dans la loge de Bobino, le réalisateur
Claude Berri lui avait en effet promis qu'un jour il lui trouverait un rôle au cinéma. En tant que petit-fils de mineur (Oscar, inspiration de la chanson homonyme), Renaud, qui aurait pourtant préféré un petit rôle, ne peut pas refuser. Comme en prélude à la sortie du film, Renaud enregistre début 1993 Renaud cante el' Nord, album de reprises de chansons ch'ti. Au cours des six mois de tournage de
Germinal, Renaud a pu découvrir le folklore des gens du Nord et, par amour de ces gens qu'il considère d'une grande générosité, a décidé de le chanter. L'album lui vaut sa première Victoire de la musique en 1994 dans la catégorie « Album de musique traditionnelle » et se vend à 300 000 exemplaires, alors que Renaud pensait qu'il n'intéresserait que les gens du Nord. Toujours en 1994, il sort un conte pour enfants La Petite vague qui avait le mal de mer qui est ensuite traduit en castillan et en catalan.
Suit en novembre 1994, À la Belle de Mai (du nom d'un quartier marseillais), enregistré à son domicile, entièrement acoustique. Renaud privilégie plus les coups de coeur que les coups de sang : il chante son admiration pour Che Guevara, Zapata ou Pancho Villa. Trois musiques sont signées par son ami
Julien Clerc et les arrangements sont dirigés par l'accordéoniste Jean-Louis Roques dont l'influence musicale a pris de plus en plus d'importance depuis 1978. Mais les ventes de l'album ne décollent pas vraiment (300.000 exemplaires), malgré quelques succès (C'est quand qu'on va où ?, La médaille, Mon amoureux, À la Belle de Mai). Le concert ainsi que la tournée qui suivit sont enregistrés sur le double album live Paris-Provinces Aller/Retour et sur VHS. À partir du 1er mai 1995, peu avant l'élection présidentielle en France, Renaud se produit à la Mutualité, symbole des grands meetings de la gauche. Durant l'hiver 1995, il avait effectué une tournée en Bosnie avec Charlie Hebdo et
Philippe Val. Cette même année, Renaud enregistre un album reprenant vingt-trois chansons de
Georges Brassens Renaud chante Brassens.
Mais pour Renaud (et surtout pour ses maisons de disques), cette année 1995 est aussi l'année des compilations. Polydor et Virgin, ses deux maisons de disques, sortent coup sur coup The meilleur of Renaud 1975-1985, The meilleur of Renaud 1985-1995 et une double compilation The very meilleur of Renaud, l'ensemble se vend à 800 000 exemplaires. Puis en novembre sort L'intégrale Renaud contenant trois albums inédits (Renaud chante Brassens, Les Introuvables et Le Retour de la Chetron Sauvage).
Voilà quelques années déjà que Renaud s'enfonçait dans la dépression. Nostalgie du temps qui passe, perte de ses idéaux, une longue période de silence commence en 1995 et ne se termine qu'en 2002, avec d'innombrables rechutes. Renaud a toujours été nostalgique de son enfance et fataliste quant à l'avenir (J'ai la vie qui me pique les yeux, Mistral gagnant), et la perte de plusieurs amis proches comme
Coluche, Desproges et
Gainsbourg l'affecta beaucoup. Au fil des années, et malgré un soutien constant de son épouse (qui, selon la famille Séchan, « portait Renaud à bout de bras »), Renaud céda à sa mélancolie pour se rapprocher de son côté sombre - qu'il surnomme lui-même « Renard » (par analogie avec Gainsbourg/Gainsbarre). Pris dans l'alcoolisme, la solitude et le cynisme, Renaud y perd son grand amour, Dominique, qui le quitte en 1999 en même temps que l'inspiration. Il emménage alors avec son frère Thierry au-dessus de la brasserie la Closerie des Lilas, qui devient son quartier général.
Devenu l'ombre de lui-même, ses quelques apparitions le montrent bouffi par l'alcool, les yeux cernés. Conscients de l'urgence, ses musiciens Alain Lanty et Jean-Pierre Bucolo, l'embarquent dans une tournée thérapeutique Une guitare, un piano et Renaud, marathon de 202 dates dans des petites salles de province entre octobre 1999 et mars 2001, qui lui fait réaliser l'amour que lui porte encore son public, indéfectible malgré les performances vocales éraillées et parfois totalement catastrophiques du chanteur loin des performances des tournées précédentes. La tournée introduit trois nouvelles chansons, Baltique, Boucan d'enfer et Elle a vu le loup mais Renaud n'arrive plus à écrire et ne sait même pas s'il arriverait à sortir un nouvel album. Le premier déclic arrive grâce à son ami journaliste Pascal Fioretto. Alors en cure, Renaud craque et veut se resservir un verre. Fioretto lui accorde à la condition qu'il lui écrive une chanson. Une heure plus tard, Renaud termine Petit Pédé. En 2001, il reçoit une Victoire de la musique pour l'ensemble de son oeuvre, ce qui peut être pris pour une mise en retraite. Il a d'ailleurs avoué l'avoir à l'époque considéré comme un hommage posthume. À cette occasion, il interprète Mistral gagnant mais sa prestation est catastrophique : sa voix est complètement faussée et l'alcool le rend méconnaissable. Le second déclic a lieu en revisionnant la prestation : il se rend compte de l'urgence et décide de se ressaisir. Il retourne en cure, réécrit des chansons et un an plus tard sort son onzième album.
En mai 2002 un nouvel album, illustré par Titouan Lamazou, apparaît donc dans les bacs, huit ans après le dernier enregistrement de matériel original du chanteur énervant. Boucan d'enfer se vend à plus de deux millions d'exemplaires, fruit d'un matraquage médiatique inédit depuis Mistral gagnant. Mis en musique par ses amis Lanty et Bucolo, l'album est à l'image des dernières années passées : noir et sans concession. Docteur Renaud, Mister Renard, Coeur perdu, Mal barrés reflètent le purgatoire passé, alors que Elle a vu le loup renoue avec la tradition des chansons intimistes sur sa fille. La chanson Manhattan-Kaboul en duo avec Axelle Red connaît un succès énorme (523 000 exemplaires vendus). Après tant d'années, Renaud commence à prendre le dessus sur Renard, son côté sombre rongé par l'alcool. Pendant la Tournée d'enfer qui s'ensuit, dans un décor de fête de village, il connaît quelques rechutes, fait un delirium tremens, et la voix n'est pas toujours au rendez vous, mais il remporte malgré tout un vif succès. Plus de 170 concerts sont donnés, la tournée s'arrêtant notamment plusieurs fois au Zénith de Paris et au festival des Vieilles Charrues. Aux côtés de
Johnny Hallyday, Renaud joue dans le film Wanted de
Brad Mirman. L'année est couronnée par trois Victoires de la Musique et 2 NRJ Music Awards. L'apparition de Renaud à cette cérémonie et dans d'autres émissions de variétés, furent par la suite critiquées compte-tenu des reproches très durs qu'il avait pu faire à ces médias. Un article au vitriol du journal Tant pis pour vous lui est notamment consacré en mars 2004. Renaud attaque le journal en justice demandant de lourds dommages et intérêts pour un journal économiquement fragile, ce qui lui est reproché par la presse. Cela ne l'empêche pas de devenir très populaire auprès de ses compatriotes et d'être régulièrement placé dans les dix personnes les plus appréciées par les Français.
En 2002, il rencontre la chanteuse Romane Serda à la Closerie des Lilas qui devient rapidement la nouvelle femme de sa vie. Ils se marient le 5 août 2005, à la mairie de Châteauneuf-de-Bordette (Drôme). La liaison entre Renaud et Romane Serda a pourtant engendré des polémiques du côté des fans. Ayant retrouvé l'amour et s'étant remarié, il parvient enfin à sortir de l'alcoolisme et à sentir renaître son âme de militant. Depuis 2005, il lutte activement pour la libération d'Íngrid Betancourt et des autres otages des FARCS en Colombie pour lesquels il consacre une chanson, Dans la jungle, ensuite traduite en espagnol et interprétée par Melingo, un chanteur argentin.
Il organise le 23 février 2006, à l'occasion des quatre ans de détention de l'otage, un grand concert au Zénith de Rouen réunissant de nombreuses personnalités. Cette même année, il relance son combat contre la corrida et pour la réintroduction des ours dans les Pyrénées. Son deuxième enfant, Malone, naît le 14 juillet 2006. Le 14 octobre 2006 est inaugurée l'école Renaud Séchan à Mirabel-aux-Baronnies (proche du village natal de Romane Serda), le chanteur avait, en effet, donné une somme importante pour sa construction.
C'est le 2 octobre 2006 que sortent simultanément son douzième album intitulé Rouge Sang et une version collector de celui-ci. Les deux versions s'écoulent à plus de 170 000 exemplaires dès la première semaine (triple disque de platine, 510 000 exemplaires au total). Rouge Sang est vu par certains comme une sorte de renaissance, tant le Renaud de Boucan d'enfer était l'oeuvre d'un autre personnage, cynique, désabusé, et plus consensuel. L'album est ainsi nettement plus engagé que le précédent opus (Leonard's Song dédié à Leonard Peltier, J'ai retrouvé mon flingue, Elle est facho, Rouge Sang). La critique sur l'album est mitigée : bien que l'ensemble de la presse célèbre le « retour à la forme » du chanteur après ces années noires, de nombreux journaux (dont Le Monde et Télérama) considèrent que sa plume s'est émoussée et déplorent les arrangements « très électriques » et datés de Jean-Pierre Bucolo.
Illustré par Killofer, jamais aucun album de Renaud n'avait encore contenu autant de chansons : 24 sur l'édition collector (y compris un titre écrit par un autre chanteur, Rien à te mettre par Benoît Dorémus). Durant la tournée médiatique, Renaud enregistre une publicité où, non sans humour, lui et Vincent Delerm (qu'il cite dans Les Bobos, premier single de l'album, vendu à 67 100 exemplaires en 16 semaines) vantent leurs albums respectifs. Renaud écrit et produit Après la pluie, le deuxième album de Romane Serda qui sort le 26 février 2007.
En février 2007, dans un entretien à Paris Match, il annonce qu'il souhaite déménager en Angleterre pour élever son fils dans un univers plus calme.
Il effectue au printemps et à l'été 2007 une tournée Rouge Sang tour. La voix y est souvent meilleure que pendant la tournée Boucan d'enfer, et le décor représente les toits de Paris, en référence à Robert Doisneau et au dernier concert des Beatles. Celle-ci s'arrête notamment 4 fois à Bercy et au centre de détention de Bapaume lors de la fête de la Musique. Il offre également un concert à l'Isle-sur-Sorgue, ville où il possède une résidence secondaire. Une tournée des festivals (Festival des Terres Neuvas Festival d'été de Québec, Francofolies, Paléo, Fête de l'Humanité) a lieu durant l'été 2007. Il termine sa tournée par un concert gratuit offert à ses fans le 29 septembre 2007 à la Cigale. Sur scène durant près de 6 heures, il revisite l'ensemble de son répertoire. En novembre sort Tournée Rouge Sang témoignage sur CD et DVD des concerts de Bercy. En septembre sort Jeunesse se passe, le premier album de Benoît Dorémus que produit Renaud (impressionné par son premier auto-produit il avait fait signer Dorémus sur son label Ceci-Cela en janvier 2006).
Sa fille Lolita se marie avec le chanteur Renan Luce au cours de l'été 2009. Le 23 novembre 2009 sort
Molly Malone, un album de reprises de chansons traditionnelles irlandaises, projet qu'il dit envisager depuis plus de 25 ans. L'album est sous-titré Balade Irlandaise (balade avec un seul « l », soit 'promenade'). Il comporte treize chansons qui sont toutes des adaptations du répertoire traditionnel de la musique celtique irlandaise. Certaines d'entre elles sont connues comme Dubliners, Molly Malone ou The Water Is Wide devenue La Ballade Nord-Irlandaise. Le premier single de l'album Vagabonds sort le 13 octobre 2009 sur les plateformes légales de téléchargement.
Renaud prépare un album qui ne devrait pas sortir avant 2011. En 2010, Renaud sort une intégrale vinyle et un nouveau best of sur 3 CD (Le Plein de Super). Il participe également au projet collectif Dr. Tom - La liberté en cavale, qui reprend des chansons de Franck Langolff, décédé quatre ans plus tôt.