Cannes 2018 : palmarès et analyse
Pierre Murat revient pour nous sur le palmarès, qu'il juge plutôt bon, mais loin d'être parfait : en attribuant la Palme d’or à “Une affaire de famille”, du réalisateur japonais Hirokazu Kore-eda, le jury présidé par Cate Blanchett n’a pas fait un mauvais choix. Mais quel dommage de ne pas avoir primé des oeuvres aussi majeures que celles de Jia Zhang-ke, Lee Chang-dong et Nuri Bilge Ceylan !
Euan Cherry/WENN
La soirée a commencé fort : Asia Argento, conviée à remettre un prix, rappelant à la salle le viol dont elle a été victime, il y a quelques années, par Harvey Weinstein, ici même, à Cannes. Après quoi, évidemment, tout le palmarès semblait amoindri, comme effacé…
Critiquer les décisions du jury cannois est un sport que tout critique pratique avec un plaisir intense. Cédons-y... Même si la Palme d’or, attribuée à Hirokazu Kore-eda pour Une affaire de famille, est un choix judicieux : c’est son meilleur film depuis longtemps. Merci, aussi, d’avoir distingué la mise en scène de Pawel Pawlikowski pour Cold War, mélo sublime sur deux amants inséparables et insatisfaits dans la Pologne stalinienne des années 1950 (à la limite, on aurait préféré l’inverse : la Palme pour Pawlikowski et le Prix de la mise en scène pour Kore-eda, mais bon…).
Cannes consensuel ?
La rumeur bruissait, se répandait, enflait, qui voulait absolument que Cate Blanchett décerne la Palme à une femme cinéaste, sous prétexte qu’elle était une femme. Elle en a élu deux, sans les privilégier outre mesure : un Prix du scénario pour Alice Rohrwacher (Heureux comme Lazzaro), petit film sympa et longuet, où la réalisatrice, à travers l’histoire d’un beau simple d’esprit qui traverse le temps, tente, sans y parvenir, de retrouver la grâce de grands anciens : Vittorio De Sica, Ettore Scola, Pier Paolo Pasolini… Deuxième femme primée : la Libanaise Nadine Labaki pour Capharnaüm, l’odyssée d’un gamin dans un Beyrouth dévasté. Alors, oui, bien sûr, le film est d’un humanisme confondant : mais depuis quand la générosité tient-elle lieu de talent ? Oui, bien sûr, le gamin qui porte le film sur ses frêles épaules, est magnifique. Mais la réalisatrice s’en sert comme d’un passeport pour l’émotion : faut-il rappeler la pudeur avec laquelle Roberto Rossellini filmait le petit garçon d’Allemagne année zéro ?
Les membres du jury ont-il dormi ?
Devant tous ces films primés, pas mauvais, mais mineurs, on éprouve une rage soudaine pour tous les absents. Rien pour Jia Zhang-ke et ses romanesques Eternels. Rien pour Kirill Serebrennikov et sa reconstitution flamboyante du rock russe des années 1980 (L’Eté). Rien pour Nuri Bilge Ceylan (Le Poirier sauvage), le meilleur film de la compétition, sous le prétexte idiot qu’il a déjà obtenu une Palme (pour Winter Sleep, en 2014).
La plus grande erreur, celle que le jury devra assumer durant des années, est l’absence du Sud-Coréen Lee Chang-dong avec Burning, adapté d’une nouvelle de Haruki Murakami. Un jeune homme qui rêve de devenir romancier tombe amoureux d’une fille, jadis méprisée. De retour d’un voyage, elle lui présente son double inversé : aussi assuré qu’il est timide, aussi riche qu’il est pauvre. « Gatsby », pense aussitôt le héros. Un jour, la jeune femme disparaît… Commence, alors, un thriller que la mise en scène de Lee Chang-dong rend d’abord subtil, puis fascinant, féroce, enfin, sur les rapports de classe et de force entre les êtres… Que les membres du jury aient pu négliger une œuvre aussi impressionnante est un mystère absolu. N’ont-ils rien compris ? Ont-ils dormi ? Ne s’est-il pas trouvé quelqu’un, parmi eux, pour expliquer aux autres ce qu’une mise en scène de cinéma veut dire ?
Le cinéma est un art
Certains défaitistes, telles des Cassandre débutantes, donc maladroites, ont commencé à prédire la fin du Festival de Cannes. Parce qu’il y avait moins, cette année, de stars sur les marches (elles sont indispensables, c’est vrai, mais ni plus ni moins que les starlettes jadis). Autres dangers : l’obstination de certaines plateformes (Netflix) à refuser l’exploitation de leurs films dans les salles françaises. Et la bouderie de Hollywood, préférant envoyer à Toronto, festival non compétitif, donc sans risques, ses productions les plus précieuses : Jacques Audiard et Xavier Dolan, par exemple. Double problème qu’une diplomatie habile et des concessions mutuelles devraient pouvoir résoudre.
Rappelons à ceux qui auraient tendance à l’oublier – en inversant la formule célèbre d’André Malraux – que s’il est une industrie, le cinéma est, aussi, un art : mot devenu superflu à certains, mais essentiel à d’autres, dont nous sommes, à Télérama. Qu’on ait pu voir, en quelques jours, et coup sur coup des films aussi importants que ceux de Serebrennikov, Pawlikowski, Lee Chang-dong, Christophe Honoré et bien d’autres, qu’ils aient, en un instant, connu une renommée internationale, devrait redonner confiance à tous les professionnels et à tous les cinéphiles. Cannes va bien…
Le palmarès
Palme d'or
"Une Affaire de famille" de Hirokazu Kore-Eda
Grand Prix
"BlacKkKlansman" de Spike Lee
Prix du jury
"Capharnaüm" de Nadine Labaki
Palme d'or spéciale
"Le Livre d'Image" de Jean-Luc Godard
Prix du Scénario
Alice Rohrwacher pour "Heureux comme Lazzaro" et Jafar Panahi pour "Trois visages"
Prix de la mise en scène
Pawel Pawlikowski pour "Cold War"
Prix d'interprétation masculine
Marcello Fonte pour "Dogman" de Matteo Garrone
Prix d'interprétation féminine
Samal Yeslyamova pour “Ayka” de Sergey Dvortsevoy
Caméra d'or
"Girl" de Lucas Dhont
Palme d'or du court-métrage
"Toutes ces créatures" de Charles Williams
Mention spéciale
"On the Boarder" de Wei Shujun
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