Les franchises comiques à la française : une obstination à la bêtise
On pensait que tout le monde avait retenu la leçon de nos glorieux aînés, tels Les Gendarmes ou Les Charlots, et pourtant non : La Vérité si je mens s'obstine à décliner de nouveau son concept réducteur et agaçant une troisième fois. Alors, demain Intouchables 2, une trilogie des Tuches, voire un Bronzés 4 avec Gilles Lellouche en direct-to-dvd ? S'il y a une véritable tradition de la franchise comique en France, celle-ci consiste surtout à réécrire à l'infini un même concept, à en grossir le trait, jusqu'à ce qu'il devienne le plus grotesque possible.
Régionalisme et traditions
Si une franchise comique se doit d'avoir un concept fort et pas trop compliqué à cerner, c'est son utilisation et sa déclinaison sur plusieurs épisodes qui a de quoi laisser pantois. Un chauffeur de taxi fonce à travers la nuit pour capturer des méchants, okay, des amis partent en vacances, certes, d'autres amis font leur service militaire (avant de partir faire n'importe quoi n'importe où), là encore, allons bon, pourquoi pas. Mais pourquoi catapulter des gendarmes à New York, un taxi sur la Tour eiffel (ou aux sports d'hiver), des bronzés au ski, voire carrément des juifs du sentier en Chine ? C'est la première limite que nous trouverons aux arguments comiques des comédies françaises : on rit de tout, et surtout de rien, à partir de n'importe quoi, en se triturant le concept et en pensant qu'il suffit de déménager, pour mieux se moquer des populations locales, pour se renouveler.
Tenez, par exemple, le gag du pays étranger. C'est toujours super drôle, parce que les chinois de Belleville ça va un moment, ce qui est encore plus exotique et palpitant c'est de s'attaquer clairement à la population chez elle, sur son territoire, où on peut convoquer avec verve l'un des grands atouts que nous avons, nous français : le goût de la moquerie, aux dépens de tout et de tout le monde, pour ainsi remodeler notre identité en opposition à l'autre dont les habitudes sont forcément ridicules. Hubert Bonisseur de la Bath, dans OSS 117, en faisait un art de vivre, une arme subtile ; Louis de Funès, lui, s'est malheureusement parfois empêtré dans d'épineux problèmes de traduction. Ça vous fait rigoler, je le sais, mais lui là, il galère.
Problèmes de traduction extrait de Le Gendarme à New York
Coucheries entre personnes âgées
Rares sont les comédies dont la date de péremption dépasse la décennie. Les ados de La Boum ont déjà l'âge d'être grands-pères, les acteurs de La Cage aux folles sont bientôt tous morts, Les Visiteurs sont coincés en pleine révolution française depuis presque dix ans et tout le monde s'en balance. Fort logiquement, quand on tient un filon qui a du potentiel, et que le public semble réceptif, on l'exploite au mieux, et au plus vite. Là où d'autres petites équipées ou duos préfèrent se retrouver dans des scénarios originaux (Pierre Richard et Gérard Depardieu par exemple, où Eric et Ramzy aujourd'hui), certains éminents membres de notre grande famille de comiques préfèrent se laisser aller au syndrome du « film réunion », comme si on s'invitait dans votre maison de campagne de Gruissan un été sur deux pour filmer les blagues scato' de tonton Bernard et les faux nichons de tata Monique. Ça vous fait rire depuis dix ans, c'est normal, c'est votre famille ; mais la sensation de connivence avec le cinéma comique français s'étiole aussi rapidement que ses chers représentants s'engraissent.
Deux ou trois Taxi plus tard, on baille sérieusement. Mais le pire ce serait d'imaginer un Taxi 5 : Objectif Lune, avec le retour de Samy Nacéri famélique et bourré durant la moitié du tournage, Marion Cotillard qui aurait pris la place du commissaire Bernard Farcy, parce que c'est une star aujourd'hui, et avec des immigrés grecs réfugiés à délivrer de la menace lunaire. L'absurdité du pitch joue peut-être, mais aussi la fainéantise patenté de ces petits esprits du cinéma français à entretenir leur complicité, à retravailler les mêmes rôles et les mêmes situations des années durant. De l'avis de tous, défenseurs des premiers volets ou non, Les Bronzés 3 était effectivement une belle daube. Les amourettes de trentenaires, ça passait encore, mais au bout d'un moment, on verse quasiment dans la gérontophilie.
Qui couche avec qui extrait de Les Bronzés 3 : Amis pour la vie
Du neuf pour faire du vieux
Sketchs éculés, pudibonderie, subversion à deux (anciens) francs, ces films nous proposent souvent un véritable voyage vers le passé, loin d'une désarçonnante franchise à l'américaine, ou d'un humour un peu borderline qui peut parfois s'annoncer salvateur. Ces films-prétextes semblent coincés dans l'époque de leur première déclinaison, comme si on avait pu en écrire les suites le soir même de l'avant-première, en sortant du film, bourré avec quelques copains, en s'amusant au jeu du « Et si... ? ». Le plus grand ennemi de la comédie, autant que pour un film de science-fiction, c'est le vieillissement. Un film qui vieillit mal, c'est un film qui fera moins rire avec le temps. On pourra cracher sur le succès inconsidéré d'Intouchables, comédie douce-amère qui n'en est pas vraiment une, mais il faut bien reconnaître qu'il s'agit d'une histoire forte, un tant soit peu originale, et qui permet d'amener la comédie dans des contrées peu explorées. Imaginez un Intouchables 2, et déjà, tout s'effondre.
L'exemple princeps de ce concept, qui l'incarne dans toute son ambiguïté, est probablement la licence Astérix déclinée au cinéma. Relecture continuelle d'une bd vieille comme le monde qui raconte déjà un temps jadis, chaque épisode fait office de reboot selon la vision de nouveaux scénaristes, d'un nouveau réalisateur, ne gardant que comme constante la silhouette bedonnante et chaleureuse de Gérard Depardieu. Là où le bât blesse c'est que la vision d'Alain Chabat, tout en anachronismes et en hommages divers et variés, respectera finalement plus l'oeuvre originale qu'une lecture trop littérale, poussiéreuse ; celle d'un Thomas Langmann par exemple.
Coeur d'athlète, coeur d'amoureux extrait de Astérix aux jeux olympiques
Bon, c'est bien gentil tout ça, mais nous ne sommes pas plus avancés. Il faudrait quand même que je fasse preuve d'une sacrée mauvaise foi pour tenter de faire croire que le septième Police Academy est toujours aussi brillant et caustique que le premier, que la saga American Pie n'a fait que s'améliorer avec le temps, que nous devrions tous prendre exemple sur Big Mamma. Alors, point d'originalité, point de salut ? Nous pourrions imaginer que la solution réside dans le métissage, la rencontre : deux fois plus de plaisir devant Les Visiteurs Vs. Les Ch'tis : Requiem, de galéjades devant Trois hommes et un couffin 3 : La Guerre des choristes, de facétie avec Les Trois frères organisent un dîner de cons. Car quitte à jouer l'extravagance, le dépassement systématique, en transmutant un concept amusant en agglomérat d'idées plus absurdes les unes que les autres, autant jouer la carte à fond, non ?
Images : © Mars Distribution
-
CassiopeiaM17 octobre 2020 Voir la discussion...
-
CassiopeiaM17 octobre 2020 Voir la discussion...
-
TJ_McFly9 juillet 2022 Voir la discussion...