Jerry Lewis, le comique qui osait tout
L’acteur américain est mort ce dimanche 20 août 2017 à Las Vegas. Il était notamment connu pour son duo avec Dean Martin, et Docteur Jerry et Mister Love lui avait apporté la consécration internationale. Pierre Murat revient sur le parcours de cet artiste dont le succès en France laissa parfois les Américains sceptiques.
Il était très populaire en Amérique. Mais, un peu comme Woody Allen aujourd’hui, c’est l’Europe qui rend important Jerry Lewis (né Jerome Levitch), dans les années 60. L’Europe, et surtout la France, et particulièrement le critique Robert Benayoun, qui explique aux lecteurs de Positif à quel point ce comique est iconoclaste et, en un sens, révolutionnaire.
Docteur Jerry et Mister Dean
C’est qu’il chamboule tout à la fin des années 40. Le duo qu’il forme avec Dean Martin, au cabaret, puis au cinéma, est moderne parce que interactif. Les deux compères se répondent, s’interrompent, se contredisent et se complètent : Dean est le beau brun au sourire de pub pour dentifrice qui emballe les filles. Jerry est le maladroit qui voudrait l’égaler sans succès. Des années plus tard, Jerry réglera ses comptes avec son compère – peut-être pas si complice que ça – en le caricaturant outrageusement dans Docteur Jerry et Mister Love (1963).
En attendant, le duo aligne des films pas toujours mémorables. Hormis ceux réalisés par Frank Tashlin, de son vrai nom – excusez du peu ! – Francis Frederick von Taschlein… Le type a travaillé pour Walt Disney, avec Laurel et Hardy et les Marx Brothers dans les années 30 : l’humour féroce de Jerry lui convient donc parfaitement. Après Artistes et modèles (1955), où apparaît une Shirley MacLaine débutante et déchaînée, et Un vrai cinglé de cinéma (1956), avec Anita Ekberg bien avant La Dolce Vita, il dirige Jerry tout seul dans ses meilleurs films : Le Kid en kimono (1958), Cendrillon aux grands pieds (1960), L’Increvable Jerry (1962) et Un chef de rayon explosif (1963).
Entre-temps, Jerry est passé à la réalisation. Plutôt très bien, au demeurant. Le Zinzin d’Hollywood (1961) est une petite merveille où les gags s’enchaînent avec une liberté confondante. Et Docteur Jerry et Mister Love (1963) lui apporte la consécration internationale : ceux-là mêmes qui le boudaient, qui l’étrillaient – trop vulgaire, trop primaire – vantent la verve et la finesse de son adaptation, très libre, du roman de Stevenson.
La classe au palace
Il ose tout. Son visage est un miroir grimacant de nos vanités. Son corps, d’une élasticité incroyable, est le reflet, à peine exagéré, de nos ridicules. L’un de ses secrets est l’ellipse. « Considérant que tout gag a été exploité au moins une fois, écrit Robert Benayoun, Jerry décide de nous faire deviner les siens. Tout se passe en coulisse et nous voyons seulement l’avant, suivi de l’après… » Dans Le Dingue du palace (1960), par exemple, le groom qu’il incarne reçoit l’ordre de monter dans sa chambre les bagages d’une touriste. Plan d’après : on voit Jerry remettre à sa propriétaire le moteur qu’il a trouvé dans le coffre. Pourquoi ce moteur dans le coffre ? Comment a-t-il fait pour le monter ? On ne sait pas et on s’en fiche. Seul le gag importe : le moteur, là, soudain, dans la chambre. On est dans la démesure, l’énormité. Jarry et les surréalistes sont tout proches. Et si le film est si émouvant, c’est parce que Jerry, réalisateur, scénariste, gagman, semble y faire confiance, à chaque instant, à l’intelligence du spectateur. A sa culture, aussi, puisque le film n’est qu’un hommage extasié à Stan Laurel, le cerveau du duo qu’il formait avec Oliver Hardy – exactement comme Jerry l’était avec Dean Martin…
Les années passent. La gloire le fuit. Robert Benayoun, son historiographe no 1, meurt. Jerry Lewis, lui, survit. Meme si ses derniers films comme réalisateur – Ya Ya, mon général (1970), Au boulot… Jerry ! (1980), T’es fou, Jerry ! (1983) ne sont que l’ombre des réussites de jadis. Il tente, vainement, de terminer un film qui lui tient à cœur et dont personne ne veut : Le Jour où le clown pleura, situé dans un camp de concentration nazi. Mais les plus grands lui rendent hommage : Martin Scorsese l’engage, aux côtés de Robert De Niro, dans La Valse des pantins (1983). Dix ans plus tard, Emir Kusturica fait de même dans Arizona Dream. Ces deux films ont leurs fans éperdus. Et c’est très bien ainsi.
La France, l'autre pays du burlesque
Pour la petite histoire, Jerry Lewis, probablement au bout du rouleau, a tourné deux films en France. Dans le premier, Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir (1984), Philippe Clair qui lui rend hommage sur Twitter, le baptisait Clovis Blaireau et en faisait le fils de Jackie Sardou. Dans le second, Retenez-moi… ou je fais un malheur, de Michel Gérard, il était l’ex de Charlotte de Turckheim, aux côtés de Michel Blanc...
Il disait : « Je regarde attentivement et j’épie le monde. Je le vois tel qu’il est, mais je le tords pour mieux le rendre drôle. » Jerry Lewis est mort le 20 août 2017. Il avait 91 ans.
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Sleeper22 août 2017 Voir la discussion...
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Cocodeal23 août 2022 Voir la discussion...
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