Jeanne Moreau est morte : 10 films qui racontent l'actrice qu'elle était
La comédienne française vient de disparaître ce lundi 31 juillet 2017 à 89 ans. Frédéric Strauss de Télérama revient sur dix films qui ont spécialement mis en lumière son talent, mais aussi son tempérament, sa belle, forte et légendaire personnalité.
Si elle fut, à l'écran, la grande interprète de l'amour, du désir et de la passion, Jeanne Moreau aborda toujours le registre des sentiments avec un sens du défi. D'abord, en imposant une beauté différente des autres stars de son temps, puis en incarnant une femme audacieuse, libre, séductrice et cérébrale, bousculant les conventions et parfois même le Bien et le Mal. Muse des plus grands cinéastes, elle sut fasciner aussi dans les comédies délurées que, le temps de la vieillesse venue, elle s'amusa à tourner. Un phénomène de comédienne qui bâtit avec autant de distinction que de volonté sa propre légende. La comédienne, née le 23 janvier 1928 et âgée de 89 ans, a été retrouvée sans vie dans son appartement parisien ce lundi 31 juillet.
Ascenseur pour l'échaffaud (1958), de Louis Malle : la femme de tête
Elle a alors trente ans et tourne depuis plus de dix ans. Lui, il en a vingt-six et, après son documentaire à succès (Le Monde du silence) il débute dans la fiction. Le jeune Louis Malle a une vision de Jeanne Moreau pleine d'assurance et de justesse. Il lui confie le rôle de Florence Carala, une grande bourgeoise mariée qui va se faire la malle avec Julien, son amant (joué par Maurice Ronet), sitôt que celui-ci aura tué son mari... Mais voilà Julien coincé dans l'ascenseur qu'il a pris pour quitter la scène du crime. Et, sans nouvelles de lui, Florence Carala déambule seule dans Paris toute la nuit, en espérant qu'il vienne... Au cœur de cette solitude de plus en plus sombre, l'amour devient un monologue intérieur, une incantation magnifique : les images de l'errance de Jeanne Moreau dans les rues sont parmi les plus belles du cinéma moderne et la voix-off de l'actrice vient s'y superposer comme un chant d'amour mental. Face au drame qu'elle pressent, au chagrin infini qu'elle voit pointer aussi sûrement que le jour, Florence Carala se réfugie en elle-même. Sa fugue avec Julien, elle la vit en pensée, le bonheur qu'elle avait en tête restera une idée qui ne la quittera jamais. Qui pouvait mieux jouer ce basculement vers une passion purement cérébrale ? Jeanne Moreau savait comme personne mêler au registre de l'émotion une part d'intellect et la rendre incandescente. Cela fit d'elle une interprète tout aussi idéale pour le Michelangelo Antonio de La Nuit (1961).
Eva (1962), de Joseph Losey : la femme fatale
Elle aime l'argent, le jeu, les chansons de Billie Holiday, et elle méprise les hommes, tout en les collectionnant : vénéneuse et sadique, Eva laissera un souvenir cuisant à un homme qui, en la rencontrant à Venise, était tout de suite prêt à se damner pour elle... Tout n'est pas parfait dans ce film que Joseph Losey renia, mais en voulant faire de Jeanne Moreau la plus fatale des femmes, le cinéaste ne s'était pas trompé : l'actrice avait un don fascinant pour jouer la séduction autoritaire, hautaine, impériale ! Losey la fit revenir dans Monsieur Klein (1976), le temps de quelques scènes : elle campait une femme mystérieuse, sensuelle et tranchante et dominait même son partenaire, Alain Delon, qui, pourtant, en imposait. Bien des années après, Luc Besson invita Jeanne Moreau à donner un cours de beauté à sa Nikita (1990). A soixante-deux ans, elle restait la grande maîtresse de la séduction.
La Baie des anges (1963), de Jacques Demy : la scandaleuse
Blonde platine virevoltante, elle court les casinos et joue à la roulette comme elle jouerait à la roulette russe, semblant ne rien respecter, ni l'argent, ni la chance, ni la malchance, ni la vie, ni la mort. Et pour que les choses soient claires, l'étonnante Jackie s'écrie dès le début de ce magnifique film de Demy, en se faisant éjecter d'une salle de jeux, « Je vais vous préparer un joli scandale ! ». Scandaleuse et fière de l'être, Jeanne Moreau sembla l'être, à l'écran, avec un malin plaisir. Dans Les Amants (1958) de Louis Malle, Les Liaisons dangereuses (1959) de Roger Vadim ou Le Journal d'une femme de chambre (1964) de Buñuel, elle est objet du désir et corps du délit, elle bouscule les conventions et sort du rang. Sans attendre la libération des femmes, elle est une femme libre qui joue le jeu de la vérité, comme l'inoubliable Jacky.
Mata Hari, Agent H 21 (1965), de Jean-Louis Richard : la mauvaise femme
Sous la direction de son premier mari, père de son unique enfant, et sur un scénario de Truffaut, l'actrice semblait mesurer ici sa propre légende, déjà bien installée, à celle d'une figure mythique, l'espionne Mata Hari. Mais ce film d'aventures plaisantes file droit vers le tragique : à force de mensonges, cette Mati Hari finit par trahir ses propres sentiments et faire le malheur de l'homme qu'elle aime, avant de finir fusillée, impardonnable et à jamais déshonorée. L'interprétation de Jeanne Moreau passe, dans le même temps, d'une espièglerie de cachotière enfantine à une noirceur sans fard et sans appel. Jouer une femme qui hérite, finalement, du mauvais rôle, c'était une autre forme d'audace et de courage, qu'illustra également Mademoiselle (1966) de Tony Richardson. Jeanne Moreau initia elle-même le film, sur un scénario de Genet, pour jouer le rôle d'une institutrice faisant perversement le malheur de tout un village. Et, dans la vraie vie, elle fut pointée du doigt par Vanessa Redgrave comme une des causes de son divorce d'avec Tony Richardson !
La Mariée était en noir (1968), de François Truffaut : l'amoureuse absolue
Il y eut d'abord le fameux Jules et Jim (1962), où elle campait Catherine qui, incapable de renoncer à Jules raisonnablement, finissait, sous ses yeux, par se jeter dans le vide en entraînant Jim avec elle. L'amour fou avait trouvé son interprète et, quelques années plus tard, Truffaut offrit à Jeanne Moreau d'aller plus loin encore dans le même registre avec le personnage de Julie Kohler. Pourquoi cette femme tue-t-elle des hommes en série ? Déterminée, calculatrice, elle en a cinq sur sa liste et les rayera tous... au nom du grand amour de sa vie, qui mourut à cause de ces cinq abrutis. Les exécutions méthodiques sont une cérémonie du souvenir et Julie Kohler la prêtresse d'une religion de dévotion à l'être aimé, par-delà la mort, le Bien et le Mal. Sous divers déguisements qui laissent, quand même, ouverte la piste d'un film noir classique, d'un polar encore à peu près rationnel, Jeanne Moreau traverse La Mariée était en noir en somnambule : elle est dans une autre dimension, dans l'absolu de l'amour. Truffaut savait qu'il n'y avait qu'elle pour le suivre jusque là.
Souvenirs d'en France (1975), d'André Téchiné : la petite bonne femme
Elle, petite bonne femme ? Impossible ! Et pourtant si... La voici dans le rôle d'une lingère nommée Berthe, une blanchisseuse qui, à l'aube du Front populaire, va faire un beau mariage avec l'aîné d'une famille petite bourgeoise. Le cadet a choisi Régina (Marie-France Pisier). En s'opposant pour régner sur toute une famille, les deux épouses vont devenir des monstres sacrés... Sous la direction de Téchiné, Jeanne Moreau se fond dans la vie ordinaire pour mieux sortir ses griffes et montrer son tempérament, mais sans trahir le personnage de Berthe, qu'elle défend avec une affection particulière. Comme elle défendit Zerline, cette autre petite bonne femme qui lui valut un immense succès au théâtre, où elle l'interprèta à partir de 1986 sous la direction de Klaus Michael Grüber, dans Le Récit de la servante Zerline.
Querelle (1982), de Rainer Werner Fassbinder : l'icône
Elle revient à Jean Genet, dont elle avait été l'amie et qu'elle retrouvera encore en enregistrant, en 2010, Le Condamné à mort avec Etienne Daho. Dans le rôle de Madame Lysiane, patronne de La Féria, le bordel où se noue le destin du marin Querelle, elle chante, inoubliable, du Oscar Wilde : « Each man kills the thing he loves ». Pour ce film d'emblèmes, de symboles (très phalliques mais pas seulement), Fassbinder met à profit la légende de Jeanne Moreau : elle est devenue une icône, l'image de la femme dans tout son pouvoir, son mystère et sa liberté. Au cœur d'un univers où les hommes se défient sexuellement entre eux, Madame Lysiane est celle qui, sans crainte de ce genre de jeux, s'impose femme avec défi. Avec superbe. Tenancière, elle le sera aussi dans le très différent Paltoquet (1986) de Michel Deville. Et icône, elle le restera toujours.
Le Miraculé (1987), de Jean-Pierre Mocky : la comique canaille
S'amuser et rire, elle l'avait fait souvent, en montrant un joli sens de la gaieté chez Truffaut ou chez Louis Malle (en duo avec Bardot dans Viva Maria !, 1965). Mais, avec Mocky aux commandes, elle s'encanaille et corse la comédie ! La voilà en dame patronnesse et ex-dame de petite vertu, qui pousse jusqu'à Lourdes Jean Poiret, faux infirme en fauteuil roulant. Ce film, où elle est réellement très drôle, lui vaut sa première nomination au César de la meilleure actrice. Qu'elle obtient finalement en 1992 pour une autre comédie, La Vieille qui marchait dans la mer de Laurent Heynemann, où elle fait à nouveau équipe avec Michel Serrault, sur un scénario olé olé adapté de San Antonio. Dans des tenues improbables, elle est Lady M, arnaqueuse, croqueuse de diamants et de gigolos, elle est la Vieille, royalement.
Cet amour-là (2001), de Josée Dayan : l'artiste
Elle avait rendez-vous avec ce rôle. En incarnant Marguerite Duras, Jeanne Moreau rend hommage à leur long compagnonnage, une histoire d'amitié qui a marqué sa carrière, au fil des adaptations : Moderato cantabile (1960) de Peter Brook, Le Marin de Gibraltar (1967) de Tony Richardson, L'Amant (1992) de Jean-Jacques Annaud (la voix de la narratrice, c'était elle)... Elle joua aussi du Duras sous la direction de Duras, dans Nathalie Granger (1972). Elle entre donc sans difficulté dans la peau du « personnage » pour Josée Dayan, qui adaptait ici le livre de Yann Andréa, portrait d'une femme géniale et infernale. Si l'actrice est parfaitement Duras, c'est aussi parce qu'elle est elle-même une créatrice, une artiste. Dans les années 70, elle passa derrière la caméra sans beaucoup de succès (avec Lumière puis L'Adolescente), mais elle imposa de toute façon l'image d'une interprète qui se mettait en scène elle-même, tenait ses rôles comme elle tenait sa place, avec une autorité naturelle. A l'image de Marguerite.
Une Estonienne à Paris (2012), de Ilmar Raag : l'étrangère
Ce film, qui fut l'un des tout derniers, parlait d'amour au passé et aussi de vivre en exil, d'être d'ici et d'ailleurs... En jouant cette Estonienne, Jeanne Moreau semblait parfois livrer un autoportrait. De père français et de mère anglaise, elle cultiva toujours l'exotisme du dépaysement. Pour le Brésilien Carlos Diegues, elle fut Jeanne la Française (1975). Et la muse du plus voyageur des cinéastes américains, Orson Welles, qui la dirigea dans Le Procès (1962), Falstaff (1965) et Une histoire immortelle (1968). Elle tourna en Grèce avec Theo Angelopoulos dans Le Pas suspendu de la cigogne (1991) et, la même année, suivit Wenders Jusqu'au bout du monde. Chez elle à l'étranger, chez elle dans l'étrangeté : un monde à elle toute seule.
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Attrianera31 juillet 2017 Voir la discussion...
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itachi31 juillet 2017 Voir la discussion...
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Scronchh31 juillet 2017 Voir la discussion...
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tonton_bernard31 juillet 2017 Voir la discussion...