Greta Gerwig est-elle condamnée à ne plaire qu'aux branchouilles et autres happy few ?
A l'affiche de Maggie a un plan, Greta Gerwig est l'actrice la plus en vue du cinéma indépendant américain. Depuis Greenberg, réalisé par Noah Baumbach, qui l'a prise pour muse et épouse, elle a enchaîné les comédies hors des sentiers battus, souvent plébiscitées par la critique (Frances Ha, Damsels in Distress, Mistress America). Elle a accompli l'exploit, rare, d'être une comédienne reconnue et suivie sans être encore une star, à la manière de Chloë Sevigny, par un petit public de fidèles : les cinéphiles branchés, les cools, la hype, les intellos pointus, ceux qui la voient comme leur icone générationnelle.
Quelques décennies après Garbo, Gerwig est la nouvelle Greta du moment, discrète à sa manière puisqu'elle ne joue pas dans des films de majors (excepté son incartade dans Sex Friends). Loin des superproductions, remakes, reboots et autres spin-off, elle cultive un goût tout à fait honorable pour le cinéma indépendant ; un amour exclusif depuis ses débuts, quand elle était un pilier du mumblecore et de ses tournages avec très peu de moyens. Les films avec Gerwig ne sont pas d'immenses succès en salles, mais ils sont plébiscités par la critique branchouille. Et si la presse branchouille en parle, il n'y a aucune raison pour que le public branchouille ne s'y intéresse pas.
La fille cachée de Woody Allen
Gret Gerwig a beau tourner avec des réalisateurs différents, ses films ressemblent toujours à du Woody Allen, cinéaste qui fait l'unanimité en France et à Paris, le public le plus sophistiqué du monde comme chacun sait. Greenberg, Frances Ha, Mistress America : de ces trois films dirigés par Noah Baumbach, aucun n'a échappé à la comparaison avec Allen. Tous sont des comédies sans artifices, qui privilégient le dialogue à l'action, où on bavarde plus que l'on agit. On s'y interroge, on y rit de bon coeur, mais pas avec des gags faciles et des blagues lourdes, non, on s'y délecte de réflexions subtilement comiques. Pour Frances Ha, la comparaison est inévitable, avec son noir & blanc là pour rappeler Manhattan de l'aveu même de son réalisateur. Il suffit de jeter un oeil à Maggie a un plan pour constater que le fantôme de Woody ne hante pas seulement Baumbach mais possède Gerwig et transparaît dans tout ce qu'elle joue. En 2012, il était d'ailleurs tout naturel de la retrouver devant la caméra de son père spirituel pour To Rome with Love.
La fille cachée de Denis Lavant
Greta joue dans des films bourrés de références au cinéma français. Du point de vue américain, new-yorkais même, le cinéma français, c’est chic. C’est le cinéma d’auteur, le vrai, celui où il ne se passe pas grand-chose mais où on parle beaucoup. Gerwig a trouvé en Baumbach son équivalent fan boy, un homme comme elle, adorateur de la Nouvelle Vague, de Godard, Truffaut, Rohmer (il a un fils dont le prénom est Rohmer). Aimer Rohmer, c'est la classe mais c'est finalement un rien mainstream... Greta a des référents plus confidentiels que son pygmalion : Denis Lavant et Leos Carax (on est de mauvaise foi, parce que l'un de ses acteurs fétiches est John Wayne, comme elle nous l'avait avoué lors de la sortie de Frances Ha). Elle raconte généralement que le premier est l'acteur français pour lequel elle a la plus grande admiration. C'est avec un plaisir dingue qu'elle lui a rendu hommage - ainsi qu'à son réalisateur fétiche - dans Frances Ha, en courant dans la rue sur fond de Modern Love de David Bowie, comme Lavant jadis dans Mauvais sang. « Un moment qui semble parfait sans même avoir besoin de faire partie de l’histoire » selon les mots de Baumbach. En 2014, Greta Gerwig se retrouve au casting d'un film français, mais pas n'importe lequel : Eden de Mia Hansen-Love, pas exactement le genre de réalisatrice honnie par la presse et le public branchés.
La fille cachée qu'on ne peut pas s'empêcher de regarder
On parle généralement de persona, d'aura, à partir du moment où un acteur a une carrière bien remplie. Après seulement 10 ans de carrière, mais tout de même 25 films, Greta Gerwig a une solide persona. Normal : ses rôles appartiennent au même registre. Et on ne le lui reproche pas ; son flegme et son phrasé, sans cesse mis en valeur, empêchant à eux seuls certains de ses films de sombrer. Greta joue-t-elle toujours le même rôle, à savoir le sien ? Même personnalité, même caractère, même humour : à voir les similitudes entre ses interprétations, on se le demande. De Greenberg à Maggie a un plan, Gerwig est toujours une fille sympa, extravertie, bavarde, un peu maladroite, qui galère souvent sentimentalement et passe beaucoup de temps à sortir avec ses amis. Ce pourrait être un personnage universel, mais vu son environnement - Greenbeg, Frances Ha, Lola Versus, Mistress America, Maggie a un plan se passent tous à New-York - et le milieu cossu dans lequel il évolue, c'est plutôt une figure à laquelle seul le public branchouille s'identifie.
La fille cachée d'à côté
Le public branchouille s'est retrouvé en Frances Ha, « adulescente » refusant d'avoir trop de responsabilités, intelligente et artiste tout en étant immature, représentative d'une jeunesse qui souhaite rester jeune de plus en plus longtemps. Au point d'en faire un phénomène ? « Undeattable », l'adjectif spécialement inventé pour le film que Greta/Frances répète plusieurs fois est devenu instantanément culte, repris par la partie sophistiquée de la twittosphère. Chaque jeune génération a eu un personnage de son époque : tous ceux de Breakfast Club, Vic dans La Boum, Mark Renton dans Trainspotting, et Bridget Jones, avec laquelle on peut comparer Frances Ha. Icone du début des années 2000, Bridget Jones incarnait la trentenaire « célibattante » (un néologisme quasiment inventé pour elle) qui allait de galère sentimentale en galère sentimentale, imparfaite donc attachante, à laquelle le public féminin s'attachait sans retenue. Frances est sa petite cousine, une égérie aussi mais pour un cercle d’aficionados plus restreint, parce qu'elle est moins popu et plus bobo.
La fille cachée qui devrait davantage se montrer
Greta Gerwig fait souffler un vent de fraicheur sur le cinéma américain, mais pour combien de temps encore. A force de jouer toujours le même rôle, les cinéastes ne perdent-ils pas l'envie de lui faire jouer autre chose ? Le Greta Gerwig Movie est en passe de devenir un sous-genre à lui tout seul de ce sous-genre qu'est déjà la comédie new-yorkaise. Une niche à l'intérieur d'une niche que les spectateurs pointus peuvent se vanter de trouver... jusqu'à ce qu'ils se lassent. Quand un réalisateur aura-t-il la bonne idée de proposer à Gerwig un contre-emploi ? Serait-elle à la hauteur ou sa palette de jeu est-elle en fait trop limitée ? Lors de l'avant-première parisienne de Maggie a un plan, l'actrice s'est vexée lorsque qu'on lui a dit qu'elle semblait jouer tout le temps le même rôle. Elle a assuré que pour préparer chacune de ses interprétations, elle rédigeait un journal intime de son personnage, afin d'explorer, de connaître et de faire resentir tout ce qui le concernait. On ne sait pas si cette méthode porte ses fruits, mais on espère qu'elle finira par faire d'elle bien plus qu'une attraction pour happy few.
Statut quo depuis les prometteurs DAMSELS IN DISTRESS et FRANCES HA non ?