Greta Gerwig, l'actrice expérimentale
Greta Gerwig est cette grande actrice blonde qui effectue un pas de danse sur l'affiche de Frances Ha (sorti cette semaine). Un film dont elle a cosigné le scénario avec le réalisateur Noah Baumbach. Ce nouveau long-métrage confirme tout le talent de l'actrice révélée par Greenberg (également réalisé par Baumbach) et ouvre, avec ce personnage qui lui va comme un gant, la perspective d'une carrière radieuse.
Pour tenter de mettre le doigt sur ce qui fait le charme si particulier, nous avons pu la rencontrer il y a quelques jours à Paris pour un entretien filmé. La caméra en place, je lui demande un clap qu'elle exécute avec un soupçon d'indifférence et puis soudain, presque magiquement, Greta s'anime. Comme récitant ses gammes, elle ponctue son écoute attentive de la première question de mon interview par une improbable série de mimiques dont le GIF animé ci-dessous me permet de témoigner.
La beauté du geste
Cet excès d'expressivité n'est toutefois pas anodin. Greta Gerwig est une actrice qui pense. Ses gestes ne sont ainsi jamais totalement assurés, ils interrogent. Plus que le reflet des sentiments qu'elle joue, ils sont la traduction instantanée de son esprit en marche, un commentaire muet particulièrement éloquent. Et parce qu'elle pense, Greta doute. En permanence. Ses réponses, pourtant très riches et très claires, sont émaillées d'incertitudes : «je crois que je suis trop névrosée», «peut-être que je divague», «j'ai surement tort» ne cesse t'elle de répêter. Or c'est précisemment cette démarche qui fait la richesse de son jeu. Débarassée d'automatismes confortables, la gestuelle de Greta Gerwig trouve sa justesse dans le questionnement du naturel.
Dans la vidéo qui suit, ses gestes comptent d'ailleurs presque plus que les propos qu'ils accompagnent :
Ainsi, le noir et blanc de Frances Ha et son maniérisme rétro ne doivent pas nous induire en erreur. Le film ne consiste pas en une contemplation nostalgique d'un age d'or disparu mais contient au contraire en son coeur les expérimentations extraordinaires d'une actrice animée par le doute. Alors que le hasard du calendrier nous invite à penser à l'avenir des acteurs, Greta Gerwig s'impose comme un merveilleux prototype d'actrice expérimentale.
Il suffit d'ailleurs de lui demander les références qu'elle utilise dans son jeu pour mesurer l'originalité de son approche : «J'adore John Wayne dans les films. J'adore sa manière de marcher. J'adore sa manière de regarder les gens. Et il prend son temps ! Vous ne verez jamais aucun acteur prendre son temps comme John Wayne prend son temps. Il faut le voir charger son flingue lentement... ajuster son chapeau... et c'est comme une danse... Et on est là à se dire "Oh mon dieu ! Ça a pris 5 minutes et c'était fascinant." Il n'y a pas que lui, mais il fait parti des acteurs que j'aime imiter.»
Sistaffection
Pour autant, Frances Ha est un peu plus qu'une bande démo. Sous les oripeaux Baumbachiens du dandysme new-yorkais, le film aborde la question rarement traitée au cinéma de l'amitié féminine. Avec Lena Dunham (l'actrice et réalisatrice de la série Girls sur HBO), qu'elle a pas mal côtoyé au début de sa carrière, Greta Gerwig est aujourd'hui la meilleure ambassadrice d'un genre si peu exposé qu'il n'a pas encore de nom. Au cours de l'entretien, je lui ai donc suggéré une nouvelle piste pour baptiser la bromance au féminin : la « sistaffection ».
La résistance à l'injonction de son prof de théâtre, qui avait tenté de la dissuader d'écrire sur l'amitié est une preuve de son caractère. Le sujet lui tient clairement à coeur et donne une idée de son rôle essentiel dans l'écriture de Frances Ha. Elle décrit d'ailleurs assez bien la portée tragique de la situation à laquelle son personnage est confronté : «Frances a besoin d'abandonner le fantasme de sa relation pour pouvoir avoir accès à la véritable relation possible avec Sophie. Tant qu'elle reste accrochée à cette idée selon laquelle elle pourrait vivre le reste de sa vie avec elle, elle n'est pas en mesure de rester amie avec Sophie. Mais je pense que ça demande une dose incroyable de courage de renoncer au rêve pour voir ce que la réalité te réserve. Et elle doit faire la même chose avec sa vocation de danseuse. Ce sont des choix très difficiles à faire.»
Elle va même plus loin en expliquant à quel point faire un tel film lui semble nécessaire : «Ce qu'il y a de pire avec la fin d'une amitié, c'est qu'il n'y a pas de chanson sur le sujet... très peu de films... Pour une rupture amoureuse il y a des millions de chansons, c'est comme si le monde entier vous disait "Oui, c'est dur". Mais quand on s'éloigne de sa meilleure amie il n'y a rien, il n'y a pas de mot...»
Undateable
A mesure qu'on la couvre d'éloges, une question pointe quand même le bout de son nez. Greta Gerwig va avoir 30 ans et ce n'est pas encore une star planétaire. Si cette actrice est si géniale, comment se fait-il qu'elle ne soit pas déjà plus connue du grand public ? Y a-t-il quelque chose de cassé dans la machine Hollywood ? Certains diront sans doute que ce n'est pas plus mal ; que l'égérie du mumblecore a mieux à faire dans les films indies des frères Duplass, de Whit Stillman ou de Noah Baumbach que devant la caméra de David Fincher ou James Cameron et qu'une pige chez Woody Allen vaut certainement mieux qu'un passage chez Michael Bay.
Lucide sur son statut, elle explique elle-même que malgré ses attraits, le système hollywoodien a aussi ses limites : «Dans la vraie vie, je ne connais personne qu'on puisse considérer comme une marque. Personne ne se comporte comme ça. On attend des stars une uniformité de l'apparence, mais personne n'est comme ça dans la réalité. Les gens veulent que vous ayez toujours l'air pareil. Je pense que quand on arrive au point ou quelqu'un peut se dire "Ah oui, Greta Gerwig, je vois exactement à quoi ÇA ressemble."... je pense que quelque chose meurt un peu à ce moment-là.» Pour autant, les grands films hollywoodiens ont aussi l'intérêt d'offrir de grands rôles et ça Greta ne cracherait pas dessus. Elle se montre toutefois relativement pessimiste, déplorant notamment l'extrême difficulté pour une actrice de trouver sa place : «18% des rôles parlants sont tenus par des femmes» (NDLR : en réalité 28%).
Dans la jungle hyper-compétitive des studios, Greta Gerwig serait-elle donc «undateable» ? Comme pour Frances, qui répête l'expression pendant tout le film avec une ironie un peu triste, on ne peut y croire une seconde. Car si l'on veut bien pardonner cette hasardeuse comparaison nautique : Greta Gerwig est du bois dont on fait les vedettes.
Le chemin vers la A-List pour les actrices issue du cinéma indépendant est d'ailleurs relativement balisé, ses cadettes Ellen Page et Jennifer Lawrence ont récemment montré la voie. Il s'agit de décrocher une nomination aux Oscars avec une production indépendante ou d'obtenir un beau succès au box-office avec son nom en haut de l'affiche pour se voir proposer un rôle dans un blockbuster ou chez un grand d'Hollywood.
Il faut bien sûr, entre temps, montrer une certaine aisance dans les médias et, à ce niveau, Greta Gerwig dispose déjà de la panoplie complète. Il faut comparer à ce sujet sa prestation chez David Letterman en 2011 à celle d'il y a quelques semaines pour observer le progrès accompli. Pour autant, ce progrès ne va pas sans un certain formatage. Et, on l'a vu, c'est bien ce qui l'effraie dans le rêve hollywoodien.
En attendant de savoir de quoi sera fait l'avenir de cette improbable réincarnation de John Wayne, il reste donc à suivre sa carrière attentivement ; sa présence au générique d'un film justifiant a priori à lui seul le déplacement.
En plus, ses robes de mamie, elles sont magnifiques.