World War Z et le PG-13 : quand l'auto-censure génère des contresens
World War Z, le film de zombies vendu sans zombies, est sorti ce mercredi dans les salles et a réalisé un démarrage record. Le film, sans doute un peu aidé par la Fête du cinéma, est ainsi bien placé pour triompher dans la bataille des blockbusters estivaux. Les fans de genre pourraient se réjouir d'un tel succès, mais voilà le problème : pour obtenir le précieux PG-13, la production a imposé à Marc Forster un film aseptisé, sans la moindre goutte de sang. En revenant rapidement sur l'histoire des grands censeurs américains de la MPAA, nous tenterons de voir comment la classification des films fait la loi à Hollywood avec en ligne de mire cette question : Peut-on réussir un film de zombies obtenant le PG 13 ?
L'impérialisme de la MPAA, la loi des studios
La MPAA (Motion Picture Association of America) est l'association américaine chargée de classer les films, on appelle cela le rating. Faisant la pluie et le beau temps sur le cinéma américain, c'est à elle que l'on doit les fameux : G ; PG ; PG-13 ; R et NC-17. Son histoire est directement liée à celle de la censure au cinéma et de Monsieur William Hays.
Version originale sur le site officiel
Comme l'explique très bien le documentaire This film is not yet rated, cette association (dont les six principaux studios américains sont membres) régit le cinéma américain d'une main de fer. Studios et MPAA ne forment qu'une seule et même entité, qui, sous le couvert de parler au nom des parents, applique sa limitation et ses idées étriquées partout où elle le peut. Ainsi, la violence excessive donne en général lieu à la classification R-Rated, mais une scène homosexuelle dans Boys Don't Cry place directement le film en NC-17 (soit X). Dans le documentaire, il est expliqué que la MPAA est le seul système de classification (sur 30 pays étudiés) pour lequel les membres ne sont pas révélés et leur identité gardée secrète. Le film met ainsi en lumière le manque total d'impartialité du comité en révélant l'identité de ses membres.
Tout ce mystère autour de l'association atteinte du God Complex, est une révélateur supplémentaire de leur importance. Si l'on permet aujourd'hui à un film tel que World War Z d'exister, de s'exporter et de se vendre au grand public, c'est bel et bien grâce à son PG-13 (et non pas à cause de). La censure ne porte plus son nom, elle est insidieuse, vicieuse, se lie et se greffe à des enjeux parfois impensables. La censure, aussi vieille que le cinéma, est comme une amante fatiguée et jalouse qui ne cesserait jamais d'exister. Yves Gambier dans Les censures dans la traduction audiovisuelle explique qu'il y a trois aspects de la censure :
- la censure comme emprise des autorités publiques, de l'interdiction catégorique jusqu'aux régulations institutionnelles ;
- la censure de l'argent, sur un marché de plus en plus concentré ;
- et l'auto-censure, notamment celle, rusée, qui à la fois dit et ne dit pas, explicite et cache ce qu'il faut faire.
Ces trois caractéristiques sont essentielles pour comprendre l'importance de l'écran vert précédant les bandes-annonces et du logo tamponné sur l'affiche du film. Les conséquences du PG-13 sur les films sont nettes. C'est ce label qui explique l'absence de sang dans un film comme The Dark Knight de Nolan ou une scène d'amputation hors-champ dans World War Z. On sacrifie l'esthétique de la réalité de l'horreur et parfois du fil narratif, on lisse pour mieux vendre, on prédigère pour mieux exporter. Pourtant, lorsque l'on réalise la subjectivité du rating par la MPAA, leur définition tout personnelle de ce qui peut et doit être vu et par quel type de public, on se doit de réagir. Il faut se poser la question, pourquoi montrer les conséquences de l'horreur serait plus problématique que montrer une violence sans conséquences ?
L'horreur et ses fonctions, pourquoi montrer ?
Le film de Marc Forster s'ouvre de façon spectaculaire. En dix minutes, le spectateur est happé par une invasion massive. Si la première partie excuse son manque cruel de réalisme par une perception que l'on pourrait attribuer à celle de l'enfant (ceux de Brad Pitt et Mireille Enos), il n'en est pas de même pour la deuxième partie du film.
« Mettre en scène la peur, autrement dit forcer le spectateur à tomber dans vos peurs, dans vos cauchemars. Pour que cela fonctionne, il faut raconter une histoire avec une précision presque mathématique. » expliquait Dario Argento (Dario Argento : magicien de la peur, Jean-Baptiste Thoret)
N'est-ce pas la plus grande des hypocrisies que de tamponner d'un PG-13 un film dans lequel la violence se déploie de manière prolifique, mais où, sous prétexte que l'on ne montre pas le résultat de cette dernière, le film soit finalement classé grand public ? Pas de sang (soit pas de conséquences), pas de réalité (violence inoffensive) ? Ajoutez une goutte de sang dans World War Z, le PG-13 s'envole et se retrouve, avec le R-Rated, privé d'un segment important du marché.
La première preuve de cette hypocrisie de la part des studios : la bande-annonce. Venez voir notre film apocalyptique, sans zombies qui mordent, sans sang qui tâche, pour les petits et les grands, (et avec Brad Pitt !) :
On aura vite fait de comprendre que oui, World War Z est un film de zombies qui ne l'assume pas, sorte de cinéma apocalyptique à prétentions pseudo-horrifiques qui serait au régime Weight Watcher et se cacherait derrière son paréo à la plage. Pour « édifier ce petit temple à la Peur », si cher à Breton, World War Z essaye de compenser l'horreur frontale par l'horreur et l'angoisse liées à la masse. Cette inquiétude chaotique prend effectivement racines ailleurs que dans la monstration pure et simple. En revanche, sur un film de deux heures, elle ne se suffit plus à elle-même. La caméra doit alors inévitablement s'approcher et révèler la supercherie au grand jour : avec un PG-13, tout se passe hors-champ. Le monstre, le zombie, perd toutes ses spécificités, il devient un pantin décoratif au service d'un engouement général, d'un phénomène de mode momentané.
«You've created a monster, and it will destroy you!»
Au cinéma, les monstres sont la manifestation fantasmée de la réalité dans tout ce qu'elle a de plus angoissant. Le film d'horreur a souvent eu le rôle de dénonciateur. Premier sur la liste : Romero et sa fameuse saga des zombies. On y dénonce la société, ses dysfonctionnements, l'homme et ses travers. Le film de zombies équivaut souvent à une allégorie de la lutte d'une minorité, la manifestation frontale de nos peurs, un miroir déformé de ce que nous sommes. Brad Pitt mentionnait d'ailleurs cette ambition en juin 2012 au sujet de World War Z, d'utiliser le film «comme d'un cheval de Troie pour traiter des problèmes socio-politiques» (mais les rouages d'Hollywood se sont rapidement mis à grincer). Comment réagit l'homme en situation de crise ? Quelles sont les pires manifestations de ses tares dans cette situation ? A-t-on vraiment droit à Brad-Jesus-Pitt, héros complet, qui viendra sauver l'humanité avec sa cannette de Pepsi ? Le monstre est ici réduit à une seule de ses fonctions, s'opposer au héros.
Cette limitation, tant au niveau visuel que scénaristique, hante tout le film. On se souvient des zombies de Fulci, Romero, Craven, Soavi, se souviendra-t-on aussi bien de ceux de Forster ? Que représentent-ils dans World War Z sinon l'envahissement ? Les scènes d'invasion fonctionnent par ailleurs très bien, la caméra est loin, les espaces sont grands, mais le sentiment d'angoisse claustrophobique créée par ces murs de morts-vivants ne dure que le temps d'un clip. Peu à peu, le film préformaté par son rating et les studios devient une machine obsolète, presque décorative. Les zombies n'existent pas en tant que créatures cathartiques, les personnages nous sont extérieurs puisque archétypaux, et l'enjeu est lointain puisque dénaturé par sa mise en scène.
Le pays des monstres gentils
World War Z effleure à plusieurs reprises des coups de génie pour finir par lamentablement se faire aspirer par son auto-censure. Respectant ironiquement la promesse commerciale de ses affiches françaises - «Il n'y aura pas d'avertissement» - le film biaise son propos et allège sa portée.
La production cinématographique est de plus en plus concentrée, réduite à quelques mains. Toute son exploitation, de la création à la diffusion s'en trouve amputée. Les genres sont ouverts sans anesthésie, transformés, jusqu'au point de non-retour : une universalisation qui tourne à la banalisation.
À lire sur le net :
De la souffrance, il n'y en a jamais dans WWZ. La seule scène où l'on voit un mec mourir en direct (dans la scène d'ouverture, le mec qui se fait bouffer pendant que Brad Pitt compte jusqu'à 12), on le voit se faire bouffer de manière ultra soft, et ensuite, il mute, mais ça ressemble limite plus à une résurrection qu'autre chose. On n'insère aucun enjeu à cette scène, sa mutation ne nous affecte pas. Ouais il a les yeux blancs maintenant, ok. Il n'a même pas de famille avec lui pour que le spectateur se dise "merde quoi, le mec est devenu un zombie, sa femme qui est avec lui en ce moment même doit être triste dis donc".
Après, est-ce que c'est uniquement dû au PG-13? The Dark Knight malgré son PG-13 est quand même très noir, certaines scènes portent des enjeux puissants, il y a des morts importantes, des figures du bien qui pètent un câble, des scènes d'exécution en direct : bref, l'ambiance est là quoi.
Foster aurait très bien pu tuer des personnages importants, mais il s'applique vraiment à ce que le spectateur ne soit jamais touché, le mec ne veut déranger personne. Le crash d'avion aussi c'est un bon exemple : si on y repense après coup, tous les passagers ne sont que des figurants, on s'attarde à la rigueur un peu sur les deux pilotes, mais le reste ne sont que des coquilles vides, afin de ne pas heurter le spectateur lorsque l'avion se crashera et qu'absolument tout le monde crèvera. Mais pourquoi fait-il ça? Est ce qu'il est vraiment à ce point contraint? Dans TDK, Rachel meurt, Dent meurt. Et Rachel qui meurt, malgré l'étendue de médiocrité de ses deux actrices, en terme de scénario, c'est un vrai pic dramatique.
Cela dit, à la décharge de WWZ, la violence est vraiment un facteur déterminant dans un film de zombie, c'est pour ça que je pense que réaliser un grand film de zombie en PG-13 est compliqué. Mais avec le script cinégénique et sans baisse de rythme dont dispose Foster, y avait la place de faire quelque chose d'au moins correct quoi, faut pas déconner. Mais bon après Quantum of Solace, le mec ne semble définitivement pas fait pour l'action, c'est du sous Greengrass quoi (et qui en plus ne fait même pas un effort pour supprimer chaque truc crétin de son histoire).
C'est certain qu'avec ce budget gargantuesque, on ne peut pas faire un film d'horreur pur et dur.
Faut que ce soit fait pour tout le monde, la masse pour rentabiliser. Si le film était R ou tout simplement ultra violent, il se biderait au BO. Faut être réaliste.
Mais un film de zombie sans sang, sans violence, faut avouer que c'est cocasse.
Je n'ai pas vu le film, mais bon tout cela ne m'étonne pas. En tout cas c'est intéressant.
J'aimerais bien voir un documentaire sur comment la censure marche aux états-unis et les gens qui la font, on serait surpris.
Je suis malgré tout rassurer quand je vois des médias alternatifs comme le jeu vidéo (last of us), les séries TV (Walking dead même si c'est pas parfait) qui eux proposent quelques chose de réellement adulte et sans concession. C'est l'avantage quand les créateurs ont suffisamment de libertés pour faire ce qu'ils veulent, ces médias peuvent le permettre même pour des "grosses" productions.
Last of us ça coûte cher à produire aussi, dans le domaine du jeu vidéo c'est aussi un gros blockbuster, et pourtant on ne pourra jamais voir quelque chose d'approchant au cinéma en terme de radicalité dans la violence à la fois physique et psychologique.
Cependant, est-ce que pour autant le PG-13 oblige vraiment Foster à faire de son film un "Brad Pitt contre le reste du monde", avec aucune intensité dramatique, que de l'édulcoré? C'est pour ça que je faisais le rapprochement avec TDK, lui aussi est PG-13, mais lui ne prend jamais de pincettes dans son histoire. Surtout que le film de Nolan et son succès monstrueux au box-office nous a prouvé que les gens sont prêts à accepter des oeuvres sombres, à les apprécier. Alors BORDEL, pourquoi est ce que Foster édulcore tout à ce point?
En plus de ça, les moyens putassiers de mettre en scène la censure m'ont personnellement sorti du film (les hors-champs de dernière seconde, etc). Bonne comparaison également de Daftway à TDK. Mais bon, on compare pas les dieux aux tâcherons ^^