« Le film transfigure mon amour pour New York. »

Frances Ha : interview du réalisateur Noah Baumbach

Actualité | Par Julie Michard | Le 4 juillet 2013 à 16h30

Avec la sortie de Frances Ha dans les salles cette semaine, le nom de Greta Gerwig est sur toutes les lèvres, mais une autre personnalité a façonné Frances Ha : le talentueux réalisateur, Noah Baumbach.

Homme de l'ombre, le réalisateur n'est pas aussi connu que son actrice fétiche, avec qui il avait déjà travaillé sur Greenberg. Pourtant, si les deux personnalités ont co-signé le scénario, le film est à l'image de son réalisateur. Il suffit d'avoir vu ces films pour s'en rendre compte : Frances Ha est du Baumbach à l'état pur. Le cinéaste a pourtant fait du chemin depuis qu'il a commencé sa carrière à l'âge de 26 ans en réalisant Kicking and Screaming. Si ses débuts pouvaient sembler quelque peu maladroits, l'artiste a pris en maturité pour aujourd'hui pouvoir nous offrir ce film. De passage à Paris pour la promotion de son film, nous avons donc décidé de rencontrer le réalisateur de ce petit bijou.

Comment en êtes-vous venu à écrire ce scénario autour du personnage de Frances Ha ?

L'idée est apparue au cours d'une conversation que Greta et moi-même avons eu. On a alors commencé à se partager des idées par email : sur l'histoire, les personnages, mais aussi sur de plus petits détails. On se demandait par exemple : « peut-être que Frances est du genre à faire telle ou telle chose ». A force d'échanger des idées, le scénario a commencé à se clarifier. Ainsi, le personnage et le scénario se sont développés simultanément. Le personnage de Frances a forgé le script, tout comme le script a forgé le personnage.

Votre film n'est pas sans faire penser à GIRLS, la série télévisée crée par Lena Dunham. L'avez vous vu ?

J'ai vu la série depuis. Mais lorsque j'ai commencé à travailler sur le film, la série n'avait pas encore été diffusée à la télévision.

La comparaison est surtout surprenante dans votre façon de dépeindre la femme. Elle est très réaliste et s'oppose au cinéma hollywoodien où les femmes se retrouvent parfois caricaturés en femme parfaite.

Il y a un certain degré d'authenticité dans le film. Mais le film étant tourné en noir et blanc, on a tout de même essayé de rendre les gens beaux. On voulait faire quelque chose d'authentique, de romantique, et de stylisé. Cette balance entre ces éléments était importante pour le film.

Vos trois derniers films mettent en scène une femme comme personnage principale. Est ce que vous pensez qu'il n'y a pas assez de films faits sur les femmes ?

C'est même certain ! Mais je n'y pense pas vraiment quand je fais un film. Je ne me dis pas «maintenant, je vais faire un film avec une femme». C'est l'idée d'un personnage une histoire, ou même n'importe quel aspect d'un film qui m'attire en premier. Le fait que mon personnage soit féminin ou masculin m'importe sur le plan strictement anthropologique, mais ça s'arrête là. Mais bien évidemment, il n'y a pas assez de films faits sur des femmes !

En parlant de réalisme, vous avez ajouté des éléments personnels dans votre précédent film Les Berkman se séparent. Avez vous fait de même dans Frances Ha ?

Oui, je le fais tout le temps ! J'aime ajouté des éléments de ma vie personnelle, tant dans le script qu'au moment du tournage. Ca peut être par exemple des lieux. Dans Les Berkman se séparent, les stations de métro qui défilent pour montrer la distance qui séparent les deux maisons, c'est le exactement le même trajet que j'effectuais quand mes parents ont divorcé. Dans Frances Ha, l'université où retourne le personnage de Greta est celle où j'ai étudié. Les personnages présents lors de la scène du dîner sont des acteurs professionnels, mais je les connais avant tout car ce sont des amis. Un film est un bon espace créatif dans lequel on peut s'exposer. Cela ne veut pas dire que le film est autobiographique, mais il est intimement lié à ma personne.

Jeff Daniels et Laura Linney dans Les Berkman se séparent

En parlant de divorce, la dislocation de la cellule familiale est un sujet qui revient régulièrement dans vos films. Dans Frances Ha, le film repose sur les liens d'amitié, mais elle considère justement Sophie comme sa propre famille.

Ce qui m'intéresse, c'est la façon dont nous acceptons le changement. Les liens d'amitié, mais aussi familiaux, sont souvent la cause de ces changements dans nos vies. Dans Les Berkman se séparent, le film aborde le sujet du divorce, donc de la séparation des parents entre eux, mais aussi avec les enfants. Tout est une question de départ, de ce qui est familier et ne l'est pas. Dans Margot va au mariage, on retrouve particulièrement cette dimension de confort et de danger qui peut ressortir de l'unité familiale. Dans Frances Ha, l'amitié reprend le rôle de la famille, car à 27 ans, tout tourne autour de vos amis, de vos romances, de votre job. Quand nous travaillions sur le scénario, c'était cet aspect de l'histoire qui nous intéressaient. On avait écrit des histoires de romances avec le personnage de Frances, et des histoires qui impliquaient un peu plus la famille, mais au fur et à mesure que nous travaillions dessus, on s'est rendu compte que Sophie incarnait toutes ces choses à la fois.

L'histoire est d'ailleurs un peu triste. (SPOILER) Frances finit par ne plus être aussi proche de Sophie qu'auparavant. A cela s'ajoute le fait qu'elle finit par accepter un job qu'elle ne veut pas. Mais d'une certaine façon, vous semblez dire au public : «C'est triste, mais tout va bien aller».

Mais oui, tout va bien aller (rires) ! La fin n'est pas que triste ; il y a quelque chose d'héroïque dans ce que fait Frances. Elle décide d'accepter les limites que la vie lui impose pour trouver d'autres alternatives à la vie qu'elle veut avoir. Les épreuves qu'elles rencontrent dans le film sont bénéfiques pour elle, même si elle ne les voit que comme des mésaventures. Quand on lui propose ce boulot de secrétaire, elle refuse en premier lieu. Elle se sent insultée qu'on lui propose un tel boulot ! Mais quand Frances décide d'accepter ce travail, elle se crée de nouvelles opportunités, notamment en se lançant dans la chorégraphie. Et je pense que c'est à partir de ce moment là que Sophie et Frances vont pouvoir vraiment se rapprocher l'une de l'autre.

Quand Frances part pour Paris, on s'attend à ce qu'elle passe un bon moment et que tout se passe bien pour elle. Mais ce n'est pas du tout le cas.

Oui, on trouvait que c'était drôle. On voulait créer cette attente. Car dans un autre film, ça se serait passer comme vous venez de le dire ! Ca aurait été la parfaite opportunité qui arrive au bon moment. Alors qu'au final, elle s'endette encore plus en partant ! Elle n'était pas prête pour Paris. Ou Paris n'était pas prête pour elle.

Paris est une ville magnifique lorsqu'elle est filmée en noir et blanc. Pourquoi avoir choisi de tourner en noir et blanc ? Ce n'est pas un choix esthétique qui va de soi.

Parce que c'est beau (rires) ! C'était un des trois éléments sur lequel je voulais partir en faisant le film : Greta Gerwig, tourner en noir et blanc, et New-York. Le noir et blanc évoque les vieux films. Et pour le genre de film que nous voulions réaliser, le noir et blanc apporte du classicisme, de l'élégance et de la romance. Et en même temps, on filmait quelque chose de très contemporain et moderne. Le film joue donc sur cette ambiguïté : il paraît vieux et nouveau, peut donc paraître vieux et nouveau en même temps, passé et présent, joyeux et triste, toutes ces choses peuvent arriver simultanément et je pense que le noir et blanc aide à faire ressentir ces sentiments.

En parlant de vieux films, Frances Ha rappelle la nouvelle vague, et vous semblez être obsédée par le cinéma français. Il y a beaucoup de références dans vos films sur notre cinématographie nationale.

Oui, il y a plus particulièrement des références à Truffaut et Rohmer dans Frances Ha. Mais il y a clairement des influences dans tous les films que j'ai réalisé jusqu'à présent, mais cela est nettement perceptible dans Frances Ha. Tout d'abord parce que le film est tourné en noir et blanc, mais aussi parce que le film parle de la jeunesse. Ensuite, nombre des musiques que j'ai utilisé ont été composées par Georges Delerue, et sont également audibles dans des films de la nouvelle vague. L'influence est claire, et je savais avant de réaliser le film que cela allait être flagrant. Mais il n'y a pas une volonté de ma part d'en faire un hommage. L'idée est d'en capturer l'esprit.

Mais le fait que le film soit tourné en noir et blanc et que l'action se passe à New-York fait également penser à une autre influence, américaine cette fois-ci : Manhattan de Woody Allen. New-York est d'ailleurs une ville très présente dans votre filmographie. Alors, est-ce que, tout comme lui, vous donnez une importance à la ville dans vos films ?

C'est très important. New York était un des éléments sur lequel je partais en commençant à écrire le scénario. Le film transfigure mon amour pour New York : la ville y est célébrée pour sa beauté et son énergie. Néanmoins, le film est également nostalgique car il pleure une ville qui n'existe plus. Auparavant, les gens pouvaient venir habiter à New-York même s'ils avaient peu de moyens. Les gens avaient le temps de se trouver, de découvrir qui ils étaient et ce qu'ils voulaient faire, et ainsi se réinventer dans cette ville. C'est extrêmement difficile de vivre de cette manière de nos jours. C'est d'ailleurs une des difficultés que rencontre Frances dans le film. Mais le film démontre aussi qu'on peut toujours y vivre et se découvrir, et ce qui faisait l'attrait de New-York existe encore aujourd'hui.

Vous avez d'ailleurs structuré votre film autour de la ville, en intercalant les différentes adresses où Frances habite pour donner cette impression de chapitres.

J'ai pensé le film en terme de chapitres. C'était à mon avis le meilleur moyen pour raconter cette histoire. L'idée m'est venue lors de l'écriture du scénario, car ces lieux donnent une indication sur ce personnage qui déménage sans cesse. Et les lieux que nous avons choisi n'ont pas été anodins. Nous nous sommes demandés : « où pourrait-elle habiter avec Sophie ? » Brooklyn paraissait plus réaliste que Manhattan. Dans Les Berkman se séparent, il y avait aussi cette envie de rester réaliste. Le père déménage loin de chez ses enfants, et la distance qui les séparent se pose. Donc il était important de montrer combien de stations de métro séparaient le père de ses enfants. On aurait pu montrer cette distance en voiture, mais le fait de prendre le temps de montrer cette distance en métro était aussi une façon de documenter Brooklyn.


Afficher Frances Ha sur une carte plus grande

Les chapitres permettent de voir l'évolution de Frances. Mais plus généralement, vos films mettent en scène des personnages qui évoluent, qui grandissent. Avez vous le sentiment d'avoir grandi, vous aussi, en faisant ces films ?

Dans un certain degré, oui. J'ai néanmoins fait un break après mes trois premiers films, soit juste avant de réaliser Les Berkman se séparent. Et je pense que pendant cette période, j'ai grandi. En ne réalisant pas de films (rires) !

Il y a eu comme un tournant dans votre carrière après Les Berkman se séparent. On a l'impression que vous vous êtes trouvés, que vous avez trouvé votre style.

J'avais seulement 27 ans quand j'ai réalisé mon deuxième film Mr Jealousy, ce qui est ridiculement jeune pour avoir déjà réaliser deux films. J'avais pourtant l'impression de manquer de temps (rires) ! Je cherchais tellement à réaliser le prochain film.Quand je me suis rendu compte que j'avais du mal à le faire produire, j'en ai tiré une leçon : je devais d'abord régler certaines choses dans ma vie personnelle. Je pensais qu'en faisant un autre film, les choses iraient de mieux en mieux. Et c'est vrai, les choses vont de mieux en mieux. C'est une leçon que nous pouvons tous retiré dans nos vie, et c'est une leçon que mes personnages apprennent également. On se fait tous des petits scénarios dans notre tête sur ce qui va se passer, mais ça ne se passe jamais comme prévu. Peu importe le succès qu'une personne peut rencontrer, rien ne se passera comme prévu, et ça ne devrait pas d'ailleurs. Mais il faut tirer un sens de ces deux histoires : faire le tri entre ce qu'est réellement la vie, et ce que nous aimerions qu'elle soit. Et c'est ce que fait le personnage de Frances.

Il y a cependant une constante dans votre filmographie. Tous vos films sont réalisés à petit budget. Est ce qu'un jour vous pourriez être attiré de faire un film plus hollywoodien ?

Je ne qualifierais pas Frances Ha de film à petit budget. Le budget était orienté de façon à ce qu'on puisse travailler sur ce projet pendant une période assez longue. C'est vrai que, concrètement, le budget du film n'était pas différent des autres films que j'ai réalisé. Mais je ne pense pas un film en terme de budget. Je fais les films que j'ai envie de faire. Quand j'étais petit et que je voulais être réalisateur, les réalisateurs que j'admirais et les carrières que je voulais avoir, sont des personnes qui font des films drôles, tristes, dramatiques? Leurs personnalités se reflétaient dans leurs films, et ce sont ces réalisateurs là que j'aime, et c'est le genre de réalisateur que je suis. Je ne sais pas comment faire des films autrement. Je ne peux pas être excité à l'idée d'un film si je ne me sens pas personnellement investi. Si je ne ressens aucune connexion au film, il n'y a aucun intérêt pour moi de le réaliser. C'est pour ça que je fais des films, parce qu'ils ont un sens. Si je vivais en 1975, probablement que mes films auraient été produits par la Paramount. (rires) Mais les studios ne produisent plus aujourd'hui ce genre de films. Ils sont donc par définition indépendants. J'ai travaillé dur pour avoir la carrière que j'ai aujourd'hui, donc je n'abandonnerais pas tout ceci pour faire des films hollywoodiens de pacotille.

Dans votre film, vous parlez justement de la difficulté d'être un artiste à New-York. Mais plus généralement, il est difficile d'être un artiste dans l'industrie cinématographique.

Oui. Actuellement, dans le cinéma hollywoodien, il doit y avoir seulement dix réalisateurs auxquels je peux penser en terme d'artistes. Steven Spielberg par exemple, arrive à faire des films très personnels qui plaisent à un large public, comme par exemple E.T qui est un film que j'adore. Mais si ces films sont aussi bons, c'est parce qu'ils viennent clairement de lui-même. Si je pouvais réaliser des films qui arrivent à plaire à un public aussi large, ça serait génial.

Est ce que c'était dur de trouver les financements pour Frances Ha ?

La compagnie qui finance le film s'appelle RT, et j'ai été vraiment chanceux de les trouver. Car ce que je leur proposais n'était pas conventionnel. En gros, je leur disais : « Faites moi confiance, je vais réaliser un film en noir et blanc » (rires). Mais c'était les bonnes personnes qu'il me fallait pour faire ce film, et ils étaient partants ! Mais ça ne fonctionne pas toujours de cette façon.

Vous ne réalisez pas seulement des films ; vous écrivez également des scénarios. Vous avez notamment travailler pour Wes Anderson (ndlr, La vie aquatique et Fantastic Mister Fox). Y a t-il une différence pour vous entre le métier de réalisateur et de scénariste ?

Pour moi, réaliser et écrire font partie du même processus créatif. Le montage en fait également partie. C'est de cette façon que je réalise des films : si je n'ai pas un script qui a été écrit dans ce processus créatif là, je ne peux pas le réaliser. Un scénario n'est pas une oeuvre littéraire à part entière, c'est un élément d'un projet. Les scénarios que j'ai pu écrire pour Wes Anderson sont d'abord le fruit de l'amitié qui nous lie. Et c'était à une période où j'avais du mal à trouver des financements pour Les Bergman se séparent. J'avais donc du temps pour travailler et écrire, et j'ai adoré travailler sur ces films. Mais généralement, j'écris pour ensuite pouvoir réaliser.

Ça serait impossible pour vous de réaliser un film dont le scénario a été écrit par quelqu'un d'autre ?

Je ne dis pas que ça serait impossible. Je n'ai pour l'instant jamais lu un script que j'aurais eu envie de réaliser. Le processus d'écriture est important pour moi, c'est un processus de la réalisation dont je ne peux pas me passer. Mais il ne faut jamais dire jamais !

Combien de temps vous faut-il pour écrire un scénario ?

Certains scénarios viennent plus facilement que d'autres. Pour Frances Ha, c'est venu facilement. Principalement car Greta et moi-même n'avons pas travailler dans la même pièce. On s'échangeait surtout des emails, donc les choses se sont faites plus lentement que si on s'était assis dans une pièce en disant « c'est parti, écrivons ce scénario ! » On a ainsi dû mettre un an pour l'écrire. Mais je pense que l'écriture d'un scénario prend généralement de 6 mois à un an.

Est ce que vous travaillez actuellement sur d'autres scénarios ?

Je travaille actuellement sur un nouveau projet de film avec Greta. Mais avant tout, je commence le tournage de mon prochain film While we were young cet automne à New-York, avec Ben Stiller et Greta.

À ne pas rater...
Des choses à dire ? Réagissez en laissant un commentaire...
Les derniers articles
On en parle...
Listes populaires
Télérama © 2007-2024 - Tous droits réservés - web1 
Conditions Générales de Vente et d'Utilisation - Confidentialité - Paramétrer les cookies - FAQ (Foire Aux Questions) - Mentions légales -