Looper : interview du réalisateur Rian Johnson
Petit bonhomme à l'air sérieux, Rian Johnson réalise avec Looper son 3ème long-métrage. Il s'agit d'un ambitieux film de science-fiction mettant Joseph Gordon-Levitt face à son propre futur incarné par Bruce Willis. Le film sort demain (31 octobre) en France et nous avons pu rencontrer le cinéaste à cette occasion.
Excessivement poli (c'est pas toujours le cas, donc ça fait plaisir), Rian Johnson est à la fois très calme et particulièrement enthousiaste à l'idée de parler de son film. Il évoque Breaking Bad et Godard, ses méthodes d'écriture et l'évolution du cinéma indépendant ainsi que le tumblr du film qu'il tient lui-même...
La grande force de Looper est de ne jamais se satisfaire de son intrigue. Le film a comme point de départ une situation de science fiction très forte à base de voyage dans le temps, mais le récit va beaucoup plus loin. Ce qui fait qu'on est constamment surpris par les directions que prend l'histoire. L'évènement déclencheur principal arrive d'ailleurs assez tard dans le film. Comment avez-vous travaillé sur le script ?
Quand je vais voir un film aujourd'hui, c'est toujours ce que j'espère : voir quelque chose qui va me surprendre. Clairement à l'écriture on essaie de se surprendre et de faire quelque chose qui va surprendre le public. Ma manière d'écrire consiste à passer beaucoup de temps sur la phase d'ébauche. Si je passe un an et demi à écrire un scénario, je passe la première année à façonner mon histoire sur des carnet, simplement à concevoir la structure. Donc je pense que je dois avoir tout imaginé méticuleusement pour que l'ensemble ait un sens.
Quand tout l'édifice est assemblé dans ma tête je peux m'imaginer ce que va penser le public : se dire que l'histoire va avancer dans un sens et me dire qu'il serait plus intéressant d'aller dans le sens opposé.
Et l'important finalement est que tout se passe de manière « honnête » en quelque sorte.
Je ne sais pas si vous regardez la série Breaking Bad (NDLR : oui)... Je crois que j'ai appris quelque chose en regardant Breaking Bad : à un certain niveau, le récit est extrêmement surprenant, mais en fait quand on y repense, rétrospectivement, on se dit « Oui, c'est évident, c'est comme ça que le personnage devait agir ! ». Ce qui est intéressant, c'est que les personnages réagissent de manière « honnête » à ce qui leur arrive. Je veux dire, comme ils l'auraient fait dans la vraie vie et pas comme s'ils suivaient les structures narratives typiques d'Hollywood.
Voilà ce que je recherche quand j'écris mon histoire.
Quelle a été votre idée de départ concernant Looper ? Le voyage dans le temps ou autre chose ?
Non, non, mon idée de départ concernait bien le voyage dans le temps. Confronter un personnage à son propre futur. En fait j'avais imaginé ce début d'histoire pour un court-métrage il y a des années que je n'ai jamais tourné. Il n'y avait pas la ferme, il n'y avait pas Sara, il n'y avait pas Cid... c'était juste l'histoire de ces deux types. Ou plutôt de ce type confronté à son futur.
Vous aviez déjà travaillé avec Joseph Gordon Levitt, j'imagine donc que vous avez écrit le film avec son nom en tête ?
Tout à fait, je l'ai écrit pour lui.
Le cas de Bruce Willis est différent... d'abord ils ne se ressemblent pas du tout...
[Il rit] Pas du tout en effet !
En plus Bruce Willis est une sorte de spécialiste du genre. Ce n'est pas la première fois qu'on le confronte...
... à lui-même en plus jeune ! [Il rit, enthousiaste] Oui je sais ! L'Armée des 12 singes, Sale môme...
Vous y avez pensé ?
Non. Bon évidemment, je connaissais sa prestation dans L'Armée des 12 singes... Mais en fait, au delà de son talent d'acteur bien sûr, ce qui m'intéressait, ce n'était pas son expérience dans les films de voyage dans le temps, mais plutôt son expérience dans les films d'action. Le fait que quand Bruce Willis apparait à l'écran les gens se disent : « Ah voilà le type qui va régler son compte au méchant ! ». Et dans le contexte du film, c'est très intéressant, parce qu'il est là pour ça, mais... les conséquences morales liées à la personne qu'il doit tuer se retournent un peu contre lui et c'est très intéressant.
On arrive à se demander qui est le méchant...
Oui, j'ai toujours voulu qu'on se pose cette question. Que le film pose cette question morale : de quel côté est-on ? Le film fait basculer le spectateur d'un côté à l'autre d'un point de vue moral.
Le fait que les deux acteurs ne se ressemblent pas a du coup un intérêt...
Oui, vous avez raison. D'un point de vue narratif, ça a du sens, c'est intéressant. Au fond, c'est la même personne a 30 ans d'écart, mais ils sont si différents, leurs buts sont si différents... je me demande comment le public aurait vécu cette histoire si, par exemple Joe (NDLR : Joseph Gordon Levitt) avait joué les deux rôles... Je ne sais pas... C'est intéressant.
Ça aurait été différent.
Oui, très différent !
Vous l'avez envisagé à un moment ?
On en a un peu parlé oui. Mais j'étais très contre. Surtout parce que le coeur du film est d'avoir un jeune homme et un homme plus vieux qui se regardent dans les yeux. Et... Joe a beau être un très bon acteur... il y a quelque chose quand Bruce Willis vous regarde dans les yeux, avec toute son expérience, tout son charisme... quelque chose qu'on ne peut pas faire pour de faux.
Vous éditez un tumblr avec pas mal de choses autour de Looper. Ça vous intéresse cette manière de communiquer sur le film ?
Oui ! En fait j'avais déjà fait un blog pour Une arnaque presque parfaite, je suis très actif sur twitter aussi... D'ailleurs c'est moi également qui tiens le compte twitter du film. J'adore que ce soit ma voix qui accompagne le film. J'ai toujours été actif sur le web. C'est naturel pour moi.
On peut notamment y trouver un faux trailer que vous avez réalisé juste après l'écriture...
Oui ! C'est intéressant hein ? Ça se fait de plus en plus souvent à Hollywood. Ça s'appelle un clip-o-matic. C'est fait à partir d'extraits (clips en anglais) d'autres films. Là nous avons surtout pris des extraits de Seven, Star Trek et Blade Runner... on a mélangé tout ça et j'ai demandé à Joe de faire la voix off. Ça donne ce genre de fausse bande-annonce bizarre. Et ce qui est intéressant, c'est que si vous comparez cette vidéo à la vraie bande-annonce, c'est dingue comme elles se ressemblent.
Donc oui, ça me plait de pouvoir mettre ce genre de choses sur le tumblr. D'ailleurs je n'aurais jamais pu le mettre sur le DVD parce qu'il aurait fallu récupérer les autorisations de tout le monde. Là, c'est en ligne, c'est gratuit, tout le monde s'en moque... donc c'est cool.
On reconnait effectivement surtout Seven et Blade Runner. Ce sont des inspirations fortes de Looper ?
D'une certaine manière oui. Bon, clairement plus Blade Runner que Seven. Mais quand j'ai préparé le film visuellement, puis quand j'ai commencé le tournage, j'ai essayé de ne pas trop garder en tête des films comme Blade Runner. J'aime tellement ces films qu'il y aurait eu un vrai risque à ce que je m'en inspire trop. En fait, pendant le tournage, je regardais des films de Godard...
Ah oui ? Lesquels ?
J'ai vu Bande à part, j'ai revu A bout de souffle... Je cherchais l'anarchie, l'anarchie joyeuse de la jeunesse. Quand Joe fait le geste d'un flingue avec sa main allongé sur le lit, ça vient de cet esprit là. Mais tout ça pour dire que, de la même manière que pendant que je faisais Brick, commme je ne voulais pas voir de Films Noirs, j'ai revu des westerns spaghetti pour le style visuel. Je pense que ça aide de se plonger dans des choses très différentes de ce qu'on est en train de faire pour ne pas se noyer sous les références.
Les obsessions françaises du personnage de Joseph Gordon Levitt viennent peut-être de là en revanche ?
[Il rit] Oui ! C'est une des premières choses qu'on a partagé. Joe est également un fan de Godard, d'ailleurs il parle très bien français, moi pas du tout. En fait, après Brick on a fait un voyage à Paris tous les deux pour tourner un court-métrage en super 8.
Mise à jour du 4 novembre : Toujours sur son tumblr, Rian Johnson a mis en ligne le court-métrage en question. Le voici :
Vous avez fait Brick, votre premier long-métrage, avec un tout petit budget. Celui de Looper était bien supérieur, même si 30 millions de dollars ce n'est pas tant que ça pour un film de SF avec Bruce Willis... Mais pouvez-vous nous dire ce qui change quand on a plus d'argent pour faire un film ?
Vous savez, c'est intéressant : la principale différence c'est que vous avez plus de temps. Voilà la chose que l'argent achète : du temps. Ce qui est intéressant aussi c'est de voir que finalement c'est la même chose. Je veux dire, que vous fassiez un petit film avec votre iPhone ou que vous tourniez en 35 avec Bruce Willis, vous faites la même chose. Vous décidez où mettre la caméra et vous travaillez avec les acteurs pour que ça ait l'air réel. Quand vous travaillez, tout ce qui est autour disparait. La grosse équipe, le matériel, les camions... tout ça disparait et le boulot reste le même.
C'est devenu difficile à dire, mais diriez-vous que Looper est un film indépendant ?
Oui. En fait, le film est distribué par Sony aux Etats-Unis, mais il a été produit par un indépendant. Mais en fait l'étiquette du film indie correspond à un genre particulier. A ce niveau là, Looper est plutôt un film mainstream. Mais oui, la production a été indépendante.
Vous aviez le final cut ?
Oui oui !
Vous êtes diplômé d'USC qui aujourd'hui est une université très intégrée à Hollywood, qui reçoit beaucoup de financement des studios. Quel est votre regard sur l'industrie ? La différence entre les films de studio et le cinéma indépendant ? Peut-être que la notion de final cut en fait partie...
Oui, j'imagine. Le final cut oui. Mais à vrai dire je n'ai jamais fait de film de studio. Donc je ne sais pas. Je sais qu'il y a de grands cinéastes qui font de magnifiques films dans le système des studios. Christopher Nolan ou Guillermo Del Toro s'en sortent très bien. Donc on peut garder sa propre vision et travailler pour les studios. Mais pour ma part je n'ai jamais eu cette expérience.
Concernant USC. Oui, je sais que l'école est à L.A. et est bien intégrée dans le système hollywoodien. Mais au fond, ça m'a quand même pris 7 ans après mon diplôme pour faire Brick. En fait au moment où j'en suis sorti, l'intégration était moins forte.
En fait pour ce qui est de la distinction Indie vs. Hollywood, les lignes sont assez floues en ce moment. Et ça c'est intéressant. C'est cool en fait ! Le cas de Looper est à ce titre passionant. C'est un film qui dispose d'une très grosse sortie grâce à Sony et... regardez l'affiche, ça a l'air d'un gros film d'action hollywoodien. Et en même temps, comme on le disait au début de l'entretien, on peut développer une histoire riche avec des événements inattendus.
Le fait que quelque chose comme ça puisse arriver est passionant. Ça me fait penser par exemple à Chronicle. C'est un film très intéressant, très cool, qui a été vendu comme un gros film de super-héros et qui en fait un petit film indépendant, assez subversif en fait.
La manière dont les lignes entre l'indépendant et le mainstream se brouillent est très intéressante et ça nous mène à une période passionante dans l'histoire du cinéma.
PS : "on peut développer une histoire riche avec des événements innatendus. C'est un peu comme" Comme?
Pour ce qui est de l'accompagnement web par un réal, c'est effectivement intéressant quand c'est naturel et qu'il maitrise l'outil. Logiquement ça va être de plus en plus le cas. Et ça donne accès à des aspects vraiment cools du processus créatif.
Par contre, celui de la saison 5, je ne vois pas bien lequel c'est.