Kill List : Interview du réalisateur Ben Wheatley
Les spectateurs français sont un peu passés à côtés du phénomène Ben Wheatley, reconnu comme un réalisateur plus que prometteur depuis son premier film Down Terrace, invisible dans les salles de l'hexagone. Alors que son troisième film, Touristes, a été projeté cette année à Cannes, c'est pour la promotion de son deuxième long-métrage, Kill List, au cinéma le 11 juillet, que nous l'avons rencontré.
Avec sa barbe à la Peter Jackson ou à la Kubrick, l'image que donne Ben Wheatley est celle d'un réalisateur à l'ancienne, venu d'une époque où le cinéma était fait par une bande de potes cinéphiles et où le système D était roi. La première impression n'est pas si loin de la réalité. Ben Wheatley est avant tout un artisan, un technicien amoureux de la caméra mais il appartient à une nouvelle génération : celle qui a fait ses armes grâce à internet. Ben Wheatley avoue sans problème qu'il ne serait pas arrivé où il en est sans le web. Il a obtenu la reconnaissance et une audience fidèle grâce à ses clips viraux, et une expérience qui lui sert aujourd'hui. « Les clips viraux sont très utiles, la publicité aussi pour compresser des idées dans un tout petit espace. Vous devez dire ce que vous voulez très rapidement, raconter une histoire en très peu de temps. »
Film d'horreur social
Ben Wheatley définit Kill List comme « un film d'horreur réaliste et social ». Il rigole lui-même de cette définition, expliquant qu'il n'est pas sûr qu'elle donne envie aux gens d'aller voir le film. On pourrait également le définir comme un film réaliste sur une société horrible. Car Kill List peut être vu sous un angle un tantinet politique : Jay est un ancien soldat, un peu traumatisé par la guerre en Irak, qui est devenu tueur à gages. Après une mission à Kiev qui a mal tourné, il n'accepte un nouveau contrat que sous la pression de sa femme et de Gal, son meilleur ami et partenaire. Mais cette mission va faire ressortir le plus sombre de lui-même et le faire basculer dans l'horreur. Ben Wheatley explique qu'il voulait montrer le quotidien d'un tueur à gage, la réalité du métier et non le côté ?cool? mis en avant par des films comme Pulp Fiction ou Hitman. Le passé militaire de son personnage, lui permet d'explorer l'hypocrisie qui consiste à cautionner des crimes lorsque l'on se bat pour son pays, et à condamner ceux de terroristes ou de tueurs à gages. Mais Kill List n'est pas un film politique ni polémique : il reste un bon film de genre efficace, auquel le réalisme de l'histoire confère une touche originale, une patte qu'a développée Wheatley dans ses deux autres longs-métrages, Down Terrace et Touristes (Sightseers), présenté à Cannes cette année.
Ressentir la peur
Ben Wheatley s'occupe lui-même du montage de ses films. Le rythme qu'il a choisi de donner à Kill List est lent, pesant et en même temps prenant. Le peu d'effets visuels disséminés ça et là fonctionnent plus comme un rythme, un refrain à l'histoire contrebalancé par des sons sourds et menaçants qui vont et viennent parfois de façon anarchique. « Avec le 5.1, l'idée était de faire bouger le son de chaque côté, c'est comme de la 3D. Vous ressentez ces sons physiquement. » Le montage est intelligent mais pas agressif, dans le sens où le stress ne vient pas d'effets de cut ou de gros plans très visibles, mais bien du scénario et de l'ambiance générale. « Si on ne dramatise pas, on donne l'impression que ce qu'on voit est réel. C'est bien plus horrible et effrayant. Ce que j'ai appris en faisant Down Terrace, mon premier film, c'est que la violence psychologique est souvent plus violente et plus efficace que la violence physique. »
Un vrai cauchemar
Vous êtes prévenus, Ben Wheatley n'est pas partisan de la violence à tout prix et il ne fait pas sursauter le spectateur toutes les 30 secondes histoire de s'assurer un terrain favorable. En fait, il préfère jouer sur les peurs des gens, et pour cela, il utilise les siennes : une des scènes les plus intenses de Kill List est basée sur un cauchemar qu'il a lui même fait. ?Je sentais que si c'était un cauchemar personnel, primal, il parlerait à d'autres gens, qu'ils comprendraient cette peur?. Et le résultat est là : ce sont des spectateurs complètement silencieux qui quittent la salle après la projection de Kill List, le nez sur leurs chaussures ou jetant des regards discrets à leurs voisins, comme pressés de s'en aller.
Mélange des genres
Kill List, c'est surtout un cinéma sans artifice, avec une base très réaliste à laquelle viennent se greffer des éléments de genres différents. Un mélange que Wheatley assume parfaitement, expliquant qu'il y a des éléments de The Wicker Man dans son film, mais que ses influences s'étendent à John Cassavetes ou Alan Clarke. « Depuis ses débuts, le cinéma est un ?mashup?. On ne se dit pas consciemment qu'on va mélanger tel ou tel genre, on les utilise en fonction de l'histoire que l'on veut raconter. » Dans Kill List, il y a une touche de fantastique, une touche de gore, et aussi une pincée d'horreur et une note de thriller. Une sorte de mix entre Ken Loach et John Carpenter, sur lequel planerait l'ombre de David Lynch. Car personne n'est vraiment sûr d'avoir bien compris le fin mot de l'histoire... Chacun peut trouver ses éléments de compréhension, mais sans certitude. D'où une impression tenace de bizarrerie assez dérangeante, qui ajoute beaucoup à l'angoisse du film.
Kill List est ainsi fait, il mélange les genres avec l'honnêteté et la simplicité qui caractérise son réalisateur. La bonne volonté de Ben Wheatley se ressent dans chaque plan, parfaitement servi par un trio d'acteurs tout simplement parfaits. A la fois sérieux et outrancier, à la fois réaliste et fantastique, Kill List nous propose quelque chose que l'on a pas l'habitude de voir. Et ça, c'est une excellente raison pour aller le découvrir en salles le 11 juillet.
Le contrat, extrait de Kill List
Images : Wilde Side Films / Le Pacte
- Interview réalisée avec Cyrille Falisse le 20 juin 2012.
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Cladthom13 juillet 2012 Voir la discussion...