Faut-il avoir l’âge de Christian Clavier pour rire devant Les Visiteurs – La Révolution ?
« OKAAAY », « Pas avec votre poncho, monsieur Ouille ! », « Dis donc, quand tu te mouches, t’as pas l’impression de serrer la main à un pote ? », « Et on lui pélera le jonc ! », etc. : ces répliques des Visiteurs, les plus de trente ans les connaissent, ils les ont même criées dans la cour de l’école, du collège, devant la machine à café, au resto. Si elles vous saoulent, rassurez-vous, vous n’aurez pas à endurer leur come-back et encore moins à subir l’avènement d’une nouvelle génération de bons mots. Les Visiteurs – La Révolution parle du passé, mais d’un passé qui paraît plus lointain que n’importe quel autre : pas celui de la France, celui de la comédie en France.
Le 6 mai prochain, Christian Clavier fêtera ses 64 ans. C’est presque l’âge que semble avoir Les Visiteurs – La Révolution quand, dix minutes avant sa fin, il laisse tomber sa relativement jeune génération d’acteurs (Alex Lutz, Ary Abittan) pour renouer avec l’humour de Papy fait de la résistance ou, encore plus loin de nous, de Mais où donc passée la 7ème compagnie ?, le film culte de Robert Lamoureux (la tenaille, le saucisson à l'ail : toute une époque), sorti en 1973. Ce Visiteurs 3.5, suite directe du 2 alors que nous savons tous qu’il existe déjà un 3, vieillit sous nos yeux pendant 1h50. Il a le bon sens d’en faire l’aveu à travers ses personnages : Jacquouille et Godefroy prennent dix ans dans la tronche pour chaque semaine passée hors de leur époque. Cette petite astuce scénaristique justifie le vieillissement inévitable de leurs interprètes entre Les Couloirs du temps, bientôt 20 ans, et La Révolution. Clavier a grossi, mais il garde une grosse patate (probablement parce qu’il a calqué depuis vingt ans toutes ses interprétations sur son Jacquouille). C’est plus difficile pour Jean Reno, fatigué d’être là, fatigué tout court.
Progéria, quand tu nous tiens
Le plus étrange est de voir le vieillissement accéléré des personnages tordre l’humour du film, comme si ce dernier était atteint de progéria, comme s’il n’y avait plus que les grands-pères et les grands-mères pour rire à la fin. Etrange parce que Clavier n’est pas seulement l’acteur du film, il en est le coscénariste et le producteur, et à ce titre, une personne particulièrement avisée, consciente que le succès des nouveaux Visiteurs tient à la nostalgie des millions de spectateurs du 1 et du 2, mais aussi à sa capacité à attirer une génération qui n’en a rien à cirer, des teenagers dont Cyprien, Norman et Kev Adams sont les étalons comiques, et certainement pas deux vieux anachronismes. Clavier a compris, à l’instar de Riad Sattouf pour Jacky au royaume des filles, qu’il y a tout à gagner à mélanger les générations d’humour. Elles étaient trois chez Sattouf avec Anémone (le Splendid), Didier Bourdon (Les Inconnus) et Vincent Lacoste (Les Beaux gosses, même si ce n’est pas une troupe). Artistiquement, ce mélange contribuait à la belle bizarrerie du film. Economiquement, ça n'a pas été la recette du succès...
Les Visiteurs 3, lui, appréhende apparemment ce type de casting par le seul angle économique. En bon coach, Clavier a pris des restes de casting de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (Abitan donc, Frédérique Bel et Pascal N'Zonzi, dont le nom ne figure pas sur l’affiche, ce qui a indigné les réseaux), Catherine ou Liliane du Petit Journal (Alex Lutz), une Karin Viard sortie de La Famille Bélier (impériale, elle était le seul intérêt du Grand partage, elle est en état de grâce en ce moment et peut tout jouer) et Franck « Patrick » Dubosc. C’est comme si Clavier et Gaumont, producteur et distributeur, espéraient qu’additionner un 5ème du casting de Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, un demi Catherine et Liliane, et un tiers de celui de La Famille Bélier promettait d'obtenir un box-office additionnant le 5ème des entrées du 1er film cité, la moitié de l’audience du Petit Journal, le tiers des chiffres de La Famille Bélier et tout le public de Camping. On ne voit que l'aspect mercantile parce que jamais ces acteurs ne sont utilisés pour ce qu'ils apportent avec eux, d'histoire, de savoir-faire, d'identité, comme c'était le cas dans Jacky au royaume des filles. Ils ne sont là que pour faire le nombre.
Pour les teens qui kiffent le Métronome
Et pour la jeunesse ? Une pointe de Lorant Deutsch. Oui, vous avez bien lu. Son rôle est petit mais il est symbolique. Les Ripoux en avaient fait leur héritier et ça ne leur avait pas porté chance (le 3ème épisode des Ripoux ou des Bronzés ne sont pas très bons, c’est le moins que l’on puisse dire ; Camping devrait se méfier). C’est donc un jeune espoir de la comédie populaire qui est là – dans un tout petit rôle, OKAAAAAYYY, mais bien là tout de même – un jeune espoir d’il y a 13 ans, qui a depuis viré historien, royaliste et agent RATP.
Où est Kev Adams ? Comment se fait-il que Clavier, pourtant de la bande des Profs, le plus gros succès français de 2013, ne l’ait pas obtenu, pensé à lui, convaincu, etc. ? N’y avait-il pas de rôle pour Kev ? De la même manière qu’il n’y avait pas de place pour le nom de Pascal N'Zonzi sur l’affiche du film ? La pénible polémique conséquente à cette absence est bien révélatrice d’une chose, évidente maintenant que le film est là : le décalage fou entre celui-ci et le public d’aujourd’hui qui, non seulement ne considère pas Pascal N'Zonzi comme un anonyme depuis son rôle dans Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?, mais qui, en plus, ne se focalise plus sur Clavier, Chazel ou autre et remarque donc ce qui passait autrefois comme une lettre à la Poste. Et qui passe d’autant moins en 2016, 18 ans après la France black-blanc-beur de 1998, maintenant que l’expression « nos ancêtres les Gaulois » a encore moins de sens au sein de la population française.
Les Visiteurs – La Révolution ne pouvait pas sortir dans la foulée du 2. La série s’essoufflait déjà, le 2ème épisode avait fait moitié moins d’entrées que le 1er (plus de 7 millions, tout de même) et sa dernière demi-heure, en roue libre, n’était guère excitante. Il y a eu le détour par l’Amérique, un bide monumental, preuve que l’humour des Visiteurs ne passait pas l’Atlantique. Il y a aujourd’hui la perplexité légitime face aux Visiteurs 3, preuve que l’humour de Jacquouille et Godefroy ne passe pas la barrière du temps, ce qui pour une histoire de voyage dans le temps est d’une ironie cruelle. D'ailleurs, ne cherchez pas de paradoxes temporels dans ce 3ème volet ; nous ne sommes pas dans la trilogie Retour vers le futur et c’est bien dommage, car rien n’empêchait Clavier et Poiré d’avoir de l’ambitieux au niveau du scénario. A part l’absence d’inspiration…
Hourra is not the new Okay
Et Kev Adams dans tout ça ? Quel aurait été son rôle ? Tout au long des Visiteurs 3, Clavier s’époumone à crier « Hourra, c’est plus laïque ! », LA phrase culte désignée, pour finir par lâcher un triomphant « OKAAAAY ! », l’ultime mot du film, comme s’il finissait lui-même par comprendre qu'il ne servait à rien de répéter cette réplique, que jamais celle-ci ne deviendrait aussi fameuse que son OKAAAAY, que jamais on ne l'entendrai dans les cours d’écoles. Voilà pourquoi Kev Adams manque aux Visiteurs 3 : lui, il fait la sortie des écoles, quand Clavier joue encore avec ses pogs, sans qu’aucun gamin ne s’approche de lui.
Et Jean-Marie Poiré, à quoi joue-t-il ? Dans la scène post-générique – oui, il y a une scène post-générique, on se croirait chez Marvel et vous n’êtes pas au bout de vos surprises – on le voit fermer la porte de son appartement. Pour retourner à sa vie d’ermite, lui qui n’avait plus tourné depuis 14 ans ? Il a supervisé le montage final des Visiteurs 3, mais cela n’est visible qu’au début et à la fin du film. Vous le connaissez le style Poiré : des gros plans tellement près des visages qu’ils les déforment, des contre-plongées à chaque fois que le sol est suffisamment bas, un montage tout en heurts qui fait que chaque ligne de dialogue retentit avant l’apparition à l’image du personnage, des bouts d'impros gardés en dépit du bon sens (Sylvie Joly et Jacques François dans le 2, un régal). De cette agitation, de cette belle agitation devrait-on dire, car elle reste à jamais associée à la franchouillardise attachante des Visiteurs ou des Anges gardiens, il ne reste que des bouts, agitant parfois Les Visiteurs 3 d'un geste parkinsonien émouvant. Une émotion que les moins de vingt ans ne pourront pas connaître.
-
hugo7 avril 2016 Voir la discussion...
-
PinkLemon7 avril 2016 Voir la discussion...
-
FeydRautha7 avril 2016 Voir la discussion...
-
Gotrek7 avril 2016 Voir la discussion...
-
ChrisBeney8 avril 2016 Voir la discussion...
-
ChrisBeney8 avril 2016 Voir la discussion...
-
ProfilSupprime10 avril 2016 Voir la discussion...
-
ThibaultSan12 avril 2016 Voir la discussion...
-
ProfilSupprime12 avril 2016 Voir la discussion...
-
TaoChess16 avril 2016 Voir la discussion...