2012, l’heure du bilan pour le cinéma français
En dépit d'une légère baisse, l'industrie du cinéma a connu une « excellente année » selon les experts du CNC, qui viennent d'établir une estimation provisoire des chiffres de fréquentation des salles obscures françaises en 2012. Une annonce qui intervient au moment où le 7ème art navigue en pleine tempête, après la violente tribune de Vincent Maraval, producteur chez Wild Bunch, sur le financement du cinéma français.
Avant de reléguer définitivement 2012 aux oubliettes, les comptables de l'industrie cinématographique vivent avec l'épée de Damoclès des résultats officiels de l'année écoulée. Le CNC a coupé court au suspense en divulguant les chiffres tant attendus. Soulagement : le cinéma français est au dessus des 200 millions d'entrées, avec 204,26 millions de tickets vendus. Après une année 2011 record, boostée notamment par le succès démentiel d'Intouchables, la fréquentation des salles a baissé de 5,9%, mais reste nettement au dessus du niveau moyen de la décennie (193 millions).
La part de marché des films français reste stable et élevée avec 40,2% contre 45,3% de films américains. A titre d'exemple, en 2003, les productions US croquaient 52,2% de parts de marché...
Petite satisfaction par rapport à 2011. Le nombre de long-métrages ayant dépassé 3 millions d'entrée est en hausse, avec 12 films (dont 4 français) contre 9 l'an passé.
La communication de ces résultats encourageants par le CNC offre une bouffée d'oxygène dans le microcosme audiovisuel, foudroyée par le Depardieugate (dont nous revenons ici plus en détails) et la bombe à retardement lancée par Vincent Maraval.
Rappel des faits. Le 29 décembre, le fondateur de la société de production et de distribution Wild Bunch se fend d'une tribune assassine dans les colonnes du Monde, ulcéré par le tourbillon médiatique que provoque l'exil fiscal de Gégé Depardieu, cache-sexe selon lui de la véritable épine du cinéma français : le financement du 7ème art. De but en blanc, il dénonce des films « trop chers » et des acteurs français « trop payés » par rapport à la rentabilité des films auxquels ils participent.
Pour étayer son propos, le producteur (qui a un CV long comme la queue du Marsupilami) apporte son lot d'exemples concrets. Marilou Berry dans Croisière touche trois fois plus que Joaquin Phoenix dans Nightingale, le prochain James Gray. Tout le monde en prend pour son grade : « Dany Boon, ce chantre de la France profonde qui vit à Los Angeles, obtient des sommes qui laissent un Gérard Depardieu sur le carreau, ratatiné. 3,5 millions d'euros pour Un Plan parfait, dont les entrées ne seront pas suffisantes pour payer son salaire ! ». Quand on sait que le même comédien a joué dans le récent Astérix au service de sa majesté, produit et même distribué en France par Wild Bunch (qui vient donc l'air de rien de prendre un joyeux bouillon en salle avec 3,7 M d'entrées "seulement" alors que son seuil de rentabilité était estimé à 6M... soit une perte sèche d'environ 5 millions d'euros pour le distributeur. Il y a de quoi être contrarié, par Toutatis)
Autre paradoxe, Vincent Cassel tourne dans Black Swan (226 millions d'euros de recettes monde) pour 226 000 euros de salaire, et dans Mesrine (22,6 millions d'euros de recettes monde) pour 1,5 million d'euros. « Dix fois moins de recettes, cinq fois plus de salaire, telle est l'économie du cinéma français » martèle Maraval, qui déplore une économie faisant la part belle aux subventions publiques et à un cadre réglementaire dévoyé par les chaînes de télévision en particulier (obligées d'investir 3,2% de leur chiffre d'affaire dans le préachat de films sur scénario... et cherchant donc des casting de prime-time).
On ajoutera que c'est aussi ce financement "contraint" de la part des chaînes de télévision qui a fait surgir des humoristes du petit écran sur le grand, pour le meilleur et parfois le pire : Omar Sy, Jean Dujardin, Kad Merad, José Garcia, J-M Bigard, Mickael Youn, Louise Bourgoin,...
Au final, Vincent Maraval formule une proposition qui en a dans le slip : "limitons à 400 000 euros par acteur - et peut-être un peu plus pour un réalisateur -, assorti d'un intéressement obligatoire sur le succès du film, le montant des cachets qui qualifient un film dans les obligations légales d'investissement des chaînes de télévision."
Cette petite bombe à fragmentation n'a bien sûr pas tardé à provoquer une avalanche de réactions agitées. Serge Toubiana, directeur général de la Cinémathèque Française, a qualifié la diatribe de Maraval de « facile, presque trop payante », lui reprochant de n'évoquer que le cas des comédiens. « Le raisonnement curieusement est court, limité. ? S'il y a inflation des prix, elle se répartit logiquement sur tous les postes de production des films » écrit-il dans un billet sur son blog.
Romain Lévy, réalisateur et scénariste de Radiostars, salue sur Twitter la prise de risque du distributeur. « Je suis pour les acteurs surpayés une fois que le film a surmarché ! C'est sain. Si j'étais un interlocuteur crédible j'aurais ajouté qu'il faut indexer le minimum garanti des scénaristes sur les budgets des films. »
Le quotidien Le Monde a publié ce matin une contre tribune de Jérôme Clément, ancien président d'Arte et du CNC, dans lequel il s'évertue à démonter point par point les arguments de Vincent Maraval. « Non, les acteurs français ne sont pas riches de l'argent public : ce n'est certainement pas FTV et Arte qui pèsent financièrement sur le "star system" mais plutôt TF1, Canal+ et M6 qui exigent les fameux acteurs têtes d'affiche, les si bien nommés "bankable", dans les films qu'ils coproduisent. ». Quand à l' « exception culturelle » vivement critiqué par le producteur, Jérôme Clément la défend. « Non, il n'y a pas de scandale, ni d'omerta, il y a juste la fierté d'appartenir à un système, certes perfectible, mais qui a permis à notre cinématographie de ne pas connaître le sort funeste des cinémas espagnol ou italien. »
La ministre de la Culture Aurélie Filippetti est elle aussi venue défendre l'exception française sur l'antenne d'Europe 1. « On jette des pierres aux arbres qui portent des fruits. Je suis heureuse, satisfaite, des succès du cinéma français dans son ensemble. On est l'un des seuls cinémas au monde - si ce n'est le seul - à résister à l'omniprésence du cinéma américain. En France, les gens vont à 40% voir des films français. C'est unique au monde. »
La position attendue sur cette délicate question était celle du CNC. Son président, Eric Garandeau, s'est finalement exprimé sur les ondes de France Inter.
« L'argent public est là pour éviter les excès. Le CNC récupère de l'argent sur les entrées (10,7% du prix du ticket), qu'il redistribue aux producteurs de manière dégressive. On récompense les succès et on mutualise les risques. C'est un système qui a permis l'émergence de nouveaux talents, comme Maïwenn (Polisse), Valérie Donzelli (La guerre est déclarée et le récent Main dans la main) ou Michel Hazanavicius (The Artist). »
La dénonciation de Vincent Maraval aura eu le mérite de souligner le paradoxe du cinéma français : il s'exporte mal (surtout les comédies, et à part l'exception Intouchables) et sur son territoire national, ses champions au box office le sont souvent à perte. Ainsi sur le top 10 des films français ayant cumulé le plus d'entrées en salle en 2012, seul Le Prénom fut rentabilisé dès son exploitation en salle. Pour les autres, il faudra attendre l'exploitation en DVD, VoD, puis les diffusions TV pour voir s'approcher ce fameux point d'équilibre - le point G du cinéma. Malheureusement, la salle étant ce qu'on appelle le "marché directeur" d'un film, dont le succès conditionne celui de toutes ses exploitations ultérieures, une chose est déjà sûre : pour la franche rentabilité, c'est grillé.
Et vous, défendez-vous sa position ?
En ce qui concerne l'"exportation" (oui, c'est une industrie) du cinéma français, elle est très en dessous des USA, évidemment, mais largement au dessus du reste du monde, à une confortable seconde place, ce qui n'est pas si mal.
Les producteurs sont donc obligés d'allonger la monnaie pour avoir la possibilité de sortir leur film.
Des salaires plafonnés et des intéressements sur les recettes me semblent être de bonnes solution, même si elle me semble difficile à mettre en place.
Cette lettre ouverte devrait permettre de mettre un bon coup de pied dans la fourmilière et permettre une prise de conscience des écarts de salaires acteurs / techniciens beaucoup trop importantes.
(rajouté dans l'article)