L'homme qui murmurait à l'oreille des costauds

Warrior : Les films de brutes ne s'adressent-ils qu'aux brutes ?

Dossier | Par Julien Di Giacomo | Le 14 septembre 2011 à 16h26
Tags : combat, sport

Pour préparer son rôle dans Warrior, Tom Hardy a dû manger pas mal de steaks et passer de longues heures en salle de musculation pour devenir l'impressionnante boule de muscles qu'il est à l'écran. Pourtant, à l'inverse d'un Randy Couture ou d'un Steve Austin, Hardy est avant tout un acteur, et on retient de sa prestation dans Warrior autant son physique que son incroyable jeu dramatique, qui le place aisément comme l'un des meilleurs acteurs de sa génération (rien que ça). Car au bout du compte, le film de Gavin O'Connor a moins pour sujet les arts martiaux mixtes que le déchirement familial, les affres de la rancoeur et l'épreuve du pardon.

Le culte du corps comme argument de vente

Si les brutes ont mauvaise réputation, c'est parce qu'elles sont l'équivalent masculin d'une potiche siliconée recrutée dans un film non pas parce qu'elle est bonne actrice, mais parce qu'elle est bonne tout court. Ainsi, Arnold Schwarzenegger décroche son premier rôle parce qu'il est bodybuilder, Jean-Claude Van Damme parce qu'il est capable de faire un grand écart facial (selon une célèbre anecdote qu'il se plaît lui-même à raconter), et le premier rôle officiel de Chuck Norris, offert par Bruce Lee, est celui d'un artiste martial, alors qu'il est réellement champion de karaté. Les affiches des Rambo, de Kickboxer, des Maîtres de l'Univers, de Commando ou de Predator font surtout au public la promesse de corps surréalistes bodybuildés au possible, mais de rien d'autre. Et, à l'exception du premier Rambo, ils n'ont effectivement que peu de sentiments et d'émotion à offrir, de toute manière.

Assez logiquement, et non sans un certain bon sens, les corps bodybuildés sont considérés comme un synonyme d'action décérébrée. Hélas, les temps ont changés, et il semblerait bel et bien que les pectoraux tendus comme des ballons de baudruche et les biceps aux veines outrageusement saillantes (on pourrait écrire des heures sur le fétichisme des veines viriles) ne fassent plus recette. Après un légèrement égarement sur Le Roi Scorpion, même un ancien catcheur aussi imposant que The Rock s'affiche en t-shirt et semble mettre un point d'honneur à mettre son physique au service de son jeu d'acteur plutôt qu'à n'être utilisé qu'en vertu de sa carrure. Preuve s'il en faut que l'ère où les stéroïdes sont bankables appartient au passé : The Expendables est qualifié de baroud d'honneur, Conan fait un énorme flop en tentant le revival, et les nouvelles stars du cinéma d'action (Jason Statham, Vin Diesel, Jet Li), bien qu'en grande forme physique, n'ont pas le gabarit de leurs ancêtres, et se mettent moins facilement torse-poil.


Il ne fait que passer extrait de Le Transporteur

Le contrepied par l'humour : alternative honorable ou inacceptable reniement ?

Dans certains cercles, et alors qu'il fut un temps glorifié en tant qu'idéal de virilité, le muscle peut être considéré comme honteux. De nos jours, la mode n'est plus au butch mais au métrosexuel, et le Joseph Gordon-Levitt gominé d'Inception remporte plus l'adhésion de ces demoiselles que le Tom Hardy en sueur de Warrior. Nous vivons une époque cinématographique dans laquelle, lorsque Vin Diesel et Dwayne Johnson se collent des baignes simiesques dans la face, ils ont l'extrême décence de le faire en t-shirt ! Ces corps incroyables, qu'ils passent des heures à sculpter et des années à entretenir à force d'abnégation ne méritent-ils donc pas d'être fièrement exhibés ? A force d'entretenir cette pression, la même qui fait passer les fiers guerriers virils de 300 pour des évadés de la gay-pride, la société semble avoir fini par transformer le muscle en objet de grotesque.

Ainsi, alors que Charlie Sheen a poussé de la fonte spécialement pour son rôle dans Hot Shots part deux, ne développant ses pectoraux, biceps et triceps que pour mieux s'en moquer par la suite, d'autres acteurs, et ils sont nombreux, ont fait le choix plus ou moins heureux de tenter l'alternance entre l'action et l'humour, comme pour ne pas risquer d'être mis au ban de la société en raison de l'agressivité suggérée par leurs formes ; Dolph Lundgren, coincé à vie dans son image de froide machine à tuer russe, n'en fit que trop les frais. Sylvester Stallone joua de son image de gros dur en se faisant volontairement martyriser par une senior dans Arrête ou ma mère va tirer, Dwayne Johnson en se transformant en fée, et Vin Diesel en jouant les baby-sitter. Tous tentèrent d'imiter l'exemple réussi de Schwarzenegger, sans comprendre qu'il n'avait du succès dans la comédie que parce que ses rôles sérieux étaient déjà drôles. Une brute qui rit de son corps et incite le public à faire de même se renie, et l'intégration par la victimisation (car c'est ce dont il s'agit) n'est pas ce qu'il y a de plus sain?


Une petite histoire avant de se coucher extrait de Baby-sittor

Le contraste, un puissant moteur émotionnel

Si les films présentant les brutes comme des objets de rire peuvent donc être considérés comme un concept malvenu, voire déplacé ou indélicat, il est indéniable que le décalage entre le moine et l'habit, quel que soit sa nature, laisse rarement indifférent. Le public attend assez logiquement d'une brute qu'elle soit ce qu'elle semble être, à savoir un être violent qui règle ses problèmes à coups de poings et possède le quotient intellectuel et émotionnel d'une huître de supermarché ; logiquement, lorsque la brute en question se révèle être un être humain sensible, quelque chose en nous se brise, et l'émotion, nous prenant au dépourvu, n'en est que plus forte. La fin de Rambo en est un exemple magnifique, car la surprise que nous éprouvons à découvrir que la machine à tuer a un coeur n'a d'égal que son propre désarroi (quasiment métafilmique) face à son impuissance à échapper aux étiquettes que la société - et son apparence - lui a attribuées.

Il en va de même pour Warrior, film magnifique où les corps débordant de testostérone sont moins des armes que des outils d'expression cathartique, qui ne jouent, au mieux, que le rôle d'épées de Damoclès lorsqu'ils sont utilisés pour l'attaque. Le mimétisme entre l'intériorité des personnages et le langage de leurs corps est poussé jusqu'à l'extrême, puisque même leur physionomie et leurs styles de combat respectifs reflètent l'essence même de ce qu'ils sont et leur histoire personnelle : Tom Hardy, courbé, balançant des coups agressifs qu'il veut fatals à tout bout de champ, est un être qui n'a trouvé comme seule réponse aux meurtrissures de la vie qu'une attaque plus violente encore contre tout ce qu'il pouvait atteindre, à défaut de pouvoir défouler sa rage sur le réel objet de sa rancoeur ; Joel Edgerton, à l'inverse, a une silhouette plus longiligne, ses corps sont puissants mais couverts de bleus, et il gagne ses combats non par KO, mais en immobilisant ses adversaires : il est celui qui résiste, le roc dans la tempête, le bambou qui plie mais ne rompt point.

Il n'y a rien de plus beau qu'une brute qui pleure. Contempler une énorme masse de muscles, invincible aux coups et aux éléments, qui finit par se fissurer lorsqu'elle est sapée de l'intérieur par des émotions aussi fortes qu'elles ont été longtemps refoulées, est un spectacle absolument incroyable d'un point de vue émotionnel. Bien sûr, les films de brutes sont violents, mais il faut pour les apprécier voir derrière les coups : pourquoi les brutes se battent-elles ? Quelles inavouables imperfections intérieures tentent-elles d'enfouir sous leurs muscles ? Quels rudes coups la vie a-t-elle bien pu leur porter pour qu'ils en viennent à considérer un nez cassé comme une broutille ? Plus encore : pour qui se battent-ils ? Pour leur amour-propre, pour leur famille, pour la société ? Lors de leur match final, lorsque les « frères » Tom Hardy et Joel Edgerton se font face, réunis dans le cloisonnement d'une cage en métal après des années de séparation, l'enjeu de leur affrontement n'est plus la somme d'argent promise au vainqueur, pas plus qu'elle n'est ce qui les motive à frapper l'homme en face d'eux. Et seul un grand sentimental avec un coeur d'or pourra comprendre en quoi l'issue du match représente en réalité une victoire pour les deux hommes. Le film de brutes est, bien souvent, aussi susceptible d'émouvoir les coeurs d'artichauts, que ceux-ci passent des heures en salles de muscu ou non.

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