Les films de genre français peuvent-ils s'émanciper de leurs illustres modèles ?
La Traque, d'Antoine Blossier (qui sort demain, mercredi 13 juillet), bien qu'honnête et valeureux, est tout à fait symptomatique de l'inertie, de la stagnation, de la plupart des films de genre français qui fleurissent depuis quelques années. Totalement inhibés par l'influence fondamentale mais étouffante des classiques cultes de l'horreur, les réalisateurs francophones semblent dans leur globalité incapables de s'en émanciper, et de se risquer à des formes d'innovation pourtant vitales.
Avec La Traque, Antoine Blossier convoque ainsi de manière plus ou moins appuyée les inévitables Les Dents de la mer (la manière de suggérer la terreur par la suggestion) ou Predator (se camoufler avec les moyens du bord, la relation chasseur/chassé), mais se nourrit également de métrages moins connus, à l'image de Relic (le plan du chien à moitié dévoré remonté à la corde) ou de Dog Soldiers (des animaux mutants assaillent un cabanon).
Cette liste non-exhaustive n'est pas problématique en soi, puisqu'il est évident que l'appropritation de techniques ou de thèmes déjà exploités devient inévitable, et peut en outre accoucher d'oeuvres originales et passionnantes. Le fait que ces ressources constituent l'atout premier d'un nombre conséquent de films de genre francophones récents est en revanche très gênant, et soulève un questionnement fondamental, plus large : de quelle manière l'héritage classique est-il ingéré par la majorité de ces réalisateurs, et comment est-il possible de s'en extraire pour, potentiellement, proposer quelque chose de novateur ?
Un extrait de La Traque, lorsque les chasseurs n'étaient pas encore chassés :
A la chasse extrait de La Traque
Un travestissement du discours ?
Il est tout d'abord frappant de constater que le film de genre a connu une évolution structurelle, qui modifie l'essence de sa démarche, entre les années 70 et le début du XXIe siècle. D'un point de vue tendanciel, les classiques de l'horreur (qui n'avaient rien de classique à l'époque, d'ailleurs) sont en effet mûs par une visée sociale, une indignation politique qui s'exprime par le détour fertile du film de genre. Massacre à la tronçonneuse (Tobe Hooper, 1974) peut par exemple être appréhendé par le prisme de la critique d'une technologie dévorante, et la famille de Leatherface est souvent considérée comme une victime du capitalisme industriel. Tobe Hooper déclare d'ailleurs à ce sujet que "le film est devenu une métaphore cinématographique de la conjoncture de l'époque".
De la même manière, La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972) émane directement de la volonté de Craven de retranscrire sur les écrans de cinéma la violence inhérente à la guerre du Vietnam, qu'il trouvait absente de la culture populaire, comme rejetée, confinée au néant par un désir d'aseptisation irresponsable et obscurantiste. Ces deux films étendards d'une époque en pleine mutation sont donc représentatifs d'une certaine tendance propre aux années 70, qui consiste à faire du film de genre le vecteur d'un malaise sociétal profond, le miroir d'un collectif disloqué et déliquescent.
Leatherface, l'homme qui hante encore plusieurs générations :
Danse avec la tronçonneuse extrait de Massacre à la tronçonneuse
Les films d'horreur francophones récents, qui découlent donc directement de ces oeuvres cultes et sont imprégnés de leur héritage purement formel, ont en revanche dans leur globalité littéralement abandonné, voire perverti leur portée politique. Lorsqu'il y a 40 ans, les confrontations sanglantes entre les différentes strates de la société accouchaient d'une contestation virulente et de la mise en lumière de ces fractures, elles ne sont aujourd'hui, dans la majorité des cas, plus qu'un prétexte opportuniste. Dans Calvaire, en 2004, le Belge Fabrice Du Welz génère l'horreur en propulsant le civilisé Laurent Lucas au beau milieu de la campagne profonde, entre les mains de consanguins sanguinaires qui tiennent plus du bovin que de l'humain. En jouant sur la peur de l'inconnu et les archétypes, Du Welz ne questionne plus les divisions mais les implémente, et s'en sert comme d'un simple socle, un outil pour construire ses effets de manche.
Dans Frontière(s) (Xavier Gens, 2008), des jeunes de banlieues commettent un braquage qui tourne mal et se réfugient dans une auberge de l'Est de la France, qui s'avère être gérée par des tortionnaires nazis. Encore une fois, le film de genre s'accompagne en creux d'un discours qui fractionne, et oppose des jeunes finalement pas si dangereux à une France profonde intrinsèquement malade et viciée. Au mieux, il s'agit d'un prétexte ; au pire, d'un discours politique irresponsable et sans intérêt qui ne se rapproche à aucun instant de l'intelligence, de la virulence de ses prédécesseurs.
La vision de l'horreur dans Calvaire. Chacun jugera :
Crescendo dans la folie extrait de Calvaire
Il ne s'agit bien sûr que de quelques exemples, mais qui illustrent parfaitement une tendance globale propre aux films d'horreur francophones, qui se réclament de glorieux aînés en les imitant d'un point de vue formel mais occultent, ou pervertissent, leur puissance politique sous-jacente. Il ne s'agit pas d'appliquer à une époque et un lieu différents un discours similaire à celui des années 70, bien sûr, mais plutôt de s'inspirer d'une démarche, et non pas seulement de plans, pour accoucher d'idées novatrices.
Un nécessaire renouvellement d'idées
L'innovation est en effet ce qui, aujourd'hui, fait avant tout défaut aux films de genre francophones. La Traque, par exemple, ne présente pas de discours social et n'en souffre en aucun cas, au contraire. Le film d'Antoine Blossier est en revanche littéralement sclérosé par une somme d'influences enchevêtrées, peu digérées, et qui n'accordent que peu d'espace de liberté à la créativité du cinéaste. Le film est donc armé d'intentions très louables et le projet mérite d'être salué, mais il ne se démarque à aucun instant de ses congénères et ne fait pas particulièrement preuve d'inventivité. A contrario, quelques exemples récents ne considèrent plus leurs aînés comme des sommets inatteignables qu'il s'agirait de singer, mais choisissent de les mettre en perspective et de les transcender par des biais divers et variés.
En France, A l'intérieur (Alexandre Bustillo et Julien Maury, 2006) fait preuve d'une radicalité extrême et brise, frontalement, quelques tabous jusqu'alors inamovibles. En sus de ce plongeon sans précédent dans les entrailles de l'horreur, Bustillo et Maury convoquent tout autant le cinéma, que les comics ou les jeux vidéos, et livrent un objet hybride et difficilement définissable qui acquiert de fait une identité très singulière. A une moindre échelle, Martyrs (Pascal Laugier, 2008) présente des caractéristiques similaires, les deux films ayant notamment en commun de s'attaquer avec fureur à la puissance protectrice du foyer familial, et de le faire voler en éclats tout en déconstruisant son mythe.
Un petit aperçu de A l'intérieur, très soft mais évocateur :
L'inconnue extrait de A l'intérieur
Il semble néanmoins que les idées les plus foisonnantes, vis-à-vis du film d'horreur, se trouvent de nos jours en Grande-Bretagne. Depuis quelques années déjà, Neil Marshall est par exemple l'un des réalisateurs les plus féconds du genre. Si Dog Soldiers, en 2002, se limitait à une réactualisation très sympathique de la créature du loup-garou, la sortie en 2005 de The Descent fut une véritable bombe. Marshall y met en scène un incroyable cauchemar claustrophobique composé uniquement, c'est assez rare pour être signalé, de femmes. Mais la grande force de l'Anglais est d'avoir su coupler à cet excellent survival une tragédie intime sur fond de deuil impossible, et de faire de ces grottes une véritable allégorie d'une âme seule et désespérée. En mêlant ces deux sphères, et en subordonnant l'horreur à la perte d'un enfant, Marshall s'impose et place un nouveau jalon dans l'histoire du cinéma de genre.
De manière un peu plus anecdotique mais toujours très inventive, Creep (Christopher Smith, 2004) se déroule intégralement au sein du métro et oppose une jeune femme à une créature sous-terraine. Le choix du lieu est ici particulièrement prédominant, et confère au film une atmosphère assez puissante et inédite. Dans Eden Lake (James Watkins, 2008), ce n'est pas le lieu qui est inédit, mais la source du danger : un couple passe un week-end en forêt, et est pourchassé par une bande d'enfants on ne peut plus anodine qui souhaite simplement organiser une chasse à l'homme à taille réelle. Cette menace existait certes déjà en 1976 dans Les révoltés de l'an 2000, de Narciso Ibanez Serrador, mais elle était alors traitée de manière peu réaliste et les enfants constituaient une masse indistincte. Dans Eden Lake, et c'est ce qui prodigue au film son aura, ils sont approfondis, individualisés et donc terrifiants.
Dans Eden Lake, l'horreur découle de l'anecdote et du banal :
Des chavs à la plage extrait de Eden Lake
Il est donc encore possible, en 2011, de réaliser des films de genre novateurs et étonnants. Il ne s'agit pas d'occulter l'importance des classiques de l'horreur et de se prémunir de leur influence, mais simplement de les digérer pour pouvoir s'en émanciper, et creuser son propre sillon au sein d'un genre qui en a fondamentalement besoin. De fait, si l'adoption ou non d'un discours socio-politique, à l'image des classiques des années 70, n'est ici pas déterminant, il est en revanche absolument crucial de renouveler certains éléments intrinsèquement cinématographiques (les lieux, les personnages et surtout les enjeux dramatiques intimes). La tendance est pourtant aujourd'hui à la sécurité, à l'application de recettes ayant autrefois fonctionné et permettant à une oeuvre d'être globalement solide, ce qui ne semble pas être en phrase avec un cinéma de genre qui devrait se nourrir de cran et de témérité.