«Racontez vos petites histoires, mais soyez mignonnes»

Les comédies féminines doivent-elles surtout se faire aimer des hommes ?

Dossier | Par Carole Thébaud | Le 23 juillet 2014 à 15h03

La dernière édition du Festival Paris Cinéma a mis à l’honneur une naissance récente, celle d’une French Touch dans la comédie au féminin. Genre à part entière, effet de mode ou évolution : on sait ce que veulent les réalisatrices, mais comment peuvent-elles l’obtenir alors que le cinéma est aux mains d’hommes qui les ignorent et de femmes qui préfèrent les réalisateurs au réalisatrices ? Scénaristes des Gazelles ou actrice-documentariste, quelques-unes des principales concernées nous aident à savoir si elles sont toujours condamnées à devoir plaire aux hommes, au bout du compte.

« Faîtes des films entre vous, racontez vos petites histoires, mais soyez mignonnes : restez un objet de désir pour l'homme ». Cette remarque, Mona Achache et Camille Chamoux disent l’avoir beaucoup entendu en écrivant Les Gazelles, l’histoire d’une trentenaire soudain étouffée par sa vie rasoir avec son compagnon. Et elles n’ont pas été les seules. Réalisatrices, scénaristes, actrices : toutes se heurtent au même tabou entourant les femmes dans la comédie. « On ne veut pas savoir ce que fait la femme dans son intimité » revendiquent certains décideurs. Pas de pot, pour Les Gazelles, Camille Chamoux et Mona Achache ont essayé de coller au plus proche de ce qu'elles estiment être la réalité féminine. Elles ont relevé le défi de créer une héroïne prête à faire des expériences et elles n'ont pas eu peur d'aller dans le trash, mais sans forcer le trait.

Il leur a fallu imposer leurs choix aux producteurs – que des hommes – notamment concernant la fin, réécrite maintes fois, afin d’éviter le happy end conventionnel voulu par les distributeurs : la rencontre de l’héroïne avec son âme sœur. Le personnage de Camille Chamoux dans le film mène une quête solitaire et s’émancipe, mais visiblement, devenir une femme libre ne fait pas encore partie des fins considérées comme heureuses et qui se suffisent à elles-mêmes. « Finira-t-elle en couple ou pas ? Avec une femme ou un homme ? On n'en sait rien. Et on n'a pas envie de demander aux hommes l'autorisation de montrer certaines choses ou non. C’est notre vie, notre intimité et on veut en parler » explique Mona Achache. Alors, scoop : les femmes boivent et font la fête. Elles ne sont pas toujours maquillées et apprêtées. Elles peuvent même s'épiler en vitesse avant un coup d'un soir. Ou cas extrême, avoir du sperme dans les cheveux, tant que c’est aussi drôle que dans Mary à tout prix.

Mary et son gel au sperme

Jacques Dutronc = Nathalie Baye

Des personnages féminins drôles parce qu’ils sont aussi trash que des hommes ? Inverser les rôles, c’est aussi simple que ça ? « L’idéal serait de partir d’un scénario neutre, de construire une histoire sans définir le genre du personnage principal » propose Guillemette Odicino, journaliste à Télérama. « Peu importerait d’avoir un homme ou une femme dans le rôle principal, l’histoire fonctionnerait ». Xavier Beauvois est passé par là, involontairement, avec Le petit lieutenant. La femme commissaire jouée par Nathalie Baye était à l'origine UN commissaire, rôle écrit pour Jacques Dutronc (pour l'anecdote, tous deux partageaient des scènes de Sauve qui peut (la vie) de Godard). Le chanteur et acteur indisponible, Beauvois a revu son angle et proposé le rôle à Nathalie Baye. À l'exception de ce changement de sexe, le scénario est resté le même.

Difficile toutefois de partir d'un scénario neutre quand le but d’une réalisatrice est de faire une comédie inspirée de son vécu… La femme peut faire les mêmes choses que l’homme, c'est socialement admis. Si dans les faits, ce n’est pas toujours visible, au cinéma, c’est encore pire et les clichés sexistes persistent. « À l'écran, une femme qui va baiser et boire n’est pas perçue de la même manière qu'un homme qui va baiser et boire. Ce n'est pas considéré de la même manière » déplore Mona Achache. « L’homme reste un Don Juan, mais pour une femme, c'est considéré comme sale ». Pour l’un, c’est accepté, pour l’autre, non. Toutes qualités artistiques mises à part, un point semble mettre réalisatrices et actrices d’accord, même s’il peut être sujet à discussion : si on compare la perception par le public d’un homme névrosé chez Woody Allen avec celle d’une femme névrosée chez Valeria Bruni Tedeschi, on n’a pas le même retour. Le personnage type de Woody Allen fait rire. Il a beau être un pauvre homme, c'est drôle de suivre ses déboires avec les femmes. Concernant le même type de personnage dans Un Château en Italie, mais féminin – celui interprété par Bruni Tedeschi – le risque est grand de le voir très vite qualifié d’hystérique et de pathétique.

Misogynie, mais pas seulement

Julie Gayet a coréalisé avec Mathieu Busson Cinéast(e)s, un documentaire consacré aux femmes du cinéma, dans lequel sont notamment interviewées Mona Achache, Agnès Varda, Nicole Garcia et Valérie Donzelli (notre photo). Elles constituent 27 % des réalisateurs en France. C’est loin d’être énorme et pourtant, cela place notre pays à la première place dans ce domaine, devant les 9 % des pays anglophones et les 3% du reste du monde…

On pourrait croire à un sursaut américain maintenant qu’une majorité de femmes se trouve dans l’exécutif des studios, sauf qu’elles sont les premières à confier des films à des réalisateurs, et pas à des réalisatrices. Les femmes sont en plus tenues à l’écart de certains genres de cinéma. Adieu films d'action, thrillers, SF : pour elles, ce sont les films dits d’auteur, à petit budget. Aux yeux des deux réalisateurs de Cinéast(e)s, Nora Ephron, décédée en 2012, était la seule à s’imposer aux Etats-Unis dans la comédie (romantique, mais comédie quand même), grâce au scénario de Quand Harry rencontre Sally et à la réalisation de Nuits blanches à Seattle ou Vous avez un message.


« Un film réalisé par un homme, c'est un film. Un film réalisé par une femme, c'est un film de femme » a déclaré un jour la cinéaste Mia Hansen-Love... En France, il est probablement plus facile pour une femme de réaliser en ce moment, maintenant que les films de filles tournent au phénomène de mode, que Les Gazelles et Sous les jupes des filles marchent auprès de la critique ou du public. Les producteurs voient le potentiel de cette comédie au féminin, mais ils la cantonnent à des produits "girly" et en font la promotion dans ce sens. Et à ratage égal, une comédie féminine semble faire l’objet de davantage de moqueries de la part de la critique, qu’une comédie masculine. Il en reste donc des films à faire pour que les comédie de femmes soient avant tout considérées comme des comédies.

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17 commentaires
  • hendicaise
    commentaire modéré Mais les succès critique et public des "Gazelles" et de "Sous les jupes..." sont peut-être pas si comparables : le premier a fait 300 000 et le second 1 300 000 (avec un chouille de copies en plus pour les Jupes).
    Et le premier a été mieux accueilli dans la presse que le second. A voir ce que la différence de traitement indique par rapport à cet écart de succès entre les 2. Je ne les ai pas vu, mais je crains que la réponse ne soit pas flatteuse pour le public français...
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • hendicaise
    commentaire modéré @FilmsdeLover Oui, oui. Potentiellement, le portrait d'homme existe autant que celui de femme, mais je disais juste qu'aucune pub, aucun titre de critique ne choisit d'utiliser cette expression...
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré @hendiike Ce qui a joué entre les deux, c'est la différence du casting je pense, pas l'accueil critique qui lui n'a aucune utilité, sauf dans des cas trèèèèèèès rares.
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • hendicaise
    commentaire modéré @FilmsdeLover Je ne pense pas non plus que la critique ait pu avoir un impact sur ces 2 films. Je disais seulement que les succès, et critiques, et publics, ne sont pas comparables.
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • FilmsdeLover
    commentaire modéré Rien n'est comparable. [Gif animé de Jason Robards qui se casse dans l'ascenseur dans "Les hommes du président" et utilisé dans "La classe américaine"]
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • Nienor
    commentaire modéré @hendiike Oui, c'est le problème. On sous-entend que le portrait d'un homme s'adresse à tous, quand celui d'une femme ne parlera qu'aux femmes. Donc une promo centrée sur cet état de fait.
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • hendicaise
    commentaire modéré C'est ça :/
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • ChrisBeney
    commentaire modéré @hendiike "Un très beau portrait de femme". Que je déteste cette expression toute faite...
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • ChrisBeney
    commentaire modéré @neniorChan Exactement
    23 juillet 2014 Voir la discussion...
  • Sleeper
    commentaire modéré Les tourments de "la femme" (bon sang que je deteste ce singulier) occidentale hetero du XXIeme siecle
    8 novembre 2015 Voir la discussion...
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