L'art de la mise à mort

Et si Destination Finale était la plus grande saga de la décennie ?

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 31 août 2011 à 13h36

Cela fait déjà plus de dix ans que la franchise Destination Finale tue au cinéma, toujours avec la même décontraction, le même plaisir non dissimulé. Alors qu'un cinquième opus sort cette semaine en salles (encore une fois en 3D) revenons sur ces montagnes russes de l'horreur et de la torture, ce concept pourtant grotesque qui ne semble vouloir s'épuiser.

Véritable série-fleuve, les Destination Finale se succèdent sans relâche et de plus en plus régulièrement. Film concept abstrait, tour à tour exposition dans son premier volet, apogée du grotesque puis volute concentrée et sensible. Chemin faisant on croyait tout savoir de ce joujou simple et attachant : une vision intervient dans la vie de quelqu'un (de jeune) et l'empêche, lui et ses ami(e)s de mourir sous les coups d'une catastrophe de grande ampleur. La mort étant aussi joueuse qu'un spectateur, elle s'amusera ensuite à suivre scrupuleusement le déroulement de cet accident pour achever (de la façon la plus improbable et stratégique qui soit) les rescapés. Un programme bien établi, répétitif certes, mais de plus en plus délirant.

Bien loin des exactions perverses de Saw, ou des grands slashers des années 1980, toute la force évocatrice de Destination Finale repose dans le fait que les protagonistes affrontent un mal invisible, tapi dans le dispositif cinématographique lui-même. L'ennemi n'existe pas, il est la mort lui-même, inéluctable, impossible à arrêter. La défier revient à défier sa propre existence.


Mort brutale extrait de Destination finale

S'il y a une poésie qui s'exprime dans le carnage de cette saga, c'est vraisemblablement celle du highscore, de la performance. Destination Finale ne peut exister que dans le sillon de son époque : celle, parfois absurde, parfois vulgaire, de l'acharnement et de l'appétit jamais assouvi du spectateur, ou du joueur, qui veut toujours en voir plus. Un spectateur qui veut être capable de se dépasser lui-même par le prisme d'un médium qui n'apprend pas de ses erreurs, qui reprend toujours à zéro. Ce cinéma primal, c'est celui des premiers temps : un cinéma d'attraction, de fête foraine pourrait-on dire, débarrassé de tous ses oripeaux intellectualisants. Aller au cinéma revient à faire face à la technologie, parfait outil pour magnifier les peurs bassement humaines.

C'est aussi tout un pan du cinéma d'action américain, dont on accepte les codes et sa représentation de la mort depuis des décennies, qui est mis en avant dans Destination Finale. On y retrouve en quelque sorte les grands perdants de la loterie du cinéma d'horreur, ceux qui ne s'en sortent pas, qui décèdent malgré toute leur bonne volonté, ceux qu'on observe parfois à l'arrière-plan et dont on se moque avec courtoisie. Ce sont tous les seconds-rôles, extras et autres figurants qui tiennent le devant de la scène, et font ainsi la promesse d'offrir leurs fins successives et sanguinolentes au spectateur et à son bon plaisir. Sans grand relief psychologique donc, cette nouvelle génération de losers flamboyants, jamais héros, toujours perdants, accepte de ne pouvoir exprimer son talent artistique que dans une seule discipline : la mise à mort, sordide, brutale, facétieuse parfois, comme autant de performances qui hissent ces personnages au-dessus du commun des mortels. Ou au-dessous.


Mode silencieux extrait de Destination Finale 2

De plus en plus de place pour l'exécution, de moins en moins pour les personnages. Destination Finale 4 fait figure d'exemple ; là où les premiers films s'appesantissaient sur l'explication de tout ce toutim mystico-philosopho-mongol le quatrième nous nargue par ses choix volontaires d'exclure des versants entiers d'une conception de film solide : dialogues, progressions, charisme, propositions et envies de personnages, interactions intéressantes.

A peine nommés (ils sont d'ailleurs plutôt baptisés par leurs amis au début du film, comme des nouveaux-nés assistant à un spectacle automobile, s'empiffrant d'une bouffe indescriptible et se lovant dans leur propre ennui existentiel) ces « acteurs » interchangeables n'ont ni but ni passion ni avenir : gosses de riches, filles qui ne savent que parler de mode et rêvent d'aller à Paris, garçons qui aiment le golf et parlent de filles ; on atteint un constat décomplexé rare dans le domaine du stéréotype. On discute, on s'amuse, on baise et on ne sait jamais très bien si cela nous rapproche de la mort ou nous en écarte.


Les pigeons extrait de Destination Finale 2

Auteur et personnage s'enferment d'un même mouvement dans leur film et coexistent sans réellement savoir comment mettre cela en pratique : les ellipses existent mais les personnages y sont insensibles, la transmission d'information devient véritable acte de foi, l'édification même du scénario s'improvise au fur et à mesure des minutes. Les protagonistes se retrouvent d'un endroit à un autre de la ville en un instant comme si la téléportation était une règle physique désormais admise au cinéma : une coupe sépare deux plans et de l'un à l'autre le personnage est statique, il n'a rien appris, rien compris, il n'a pas existé, il a seulement été déplacé.

Enfermés mais sans jamais vraiment se débattre si ce n'est face à ce couperet sordide : allez, courez au plus vite à travers l'écran, débordez-en même grâce au nouveau dispositif de la 3D, car rester en place serait synonyme d'échec et de mort. Le temps se dilate totalement, se dédouble, devient vision prédicatrice, retour en arrière... C'est en coupant tous les ponts avec la vraisemblance pour les lieux et les temporalités que Destination Finale parvient à se regarder lui-même, se raccorder tout seul. La logique perd au profit d'une bande d'humains dégénérés qui font tout pour façonner leur propre destin. Ils racontent leurs histoires autant qu'ils en meurent.

On l'aura compris rien n'est réellement tangible dans l'univers de Destination Finale si ce n'est le piège (celui qui naîtra toujours d'un coup de vent, fera couler du gasoil ou poussera une fourchette en équilibre sur la table...). La mort devient achèvement esthétique, un état de plus parmi d'autres, ni très grave ni très préoccupant, seule solution dans le marasme d'une vie d'un totalitarisme de la bêtise. Mourir est ce qu'on pourra faire de plus beau et de plus juste. Le jeu de massacre d'une poignée de crétins n'a pourtant rien de cruel. Si ce n'était pas eux ce serait nous ou d'autres, peu importe au fond. La jouissance dans le combat quotidien de la mort pour l'emporter sur le vivant, pour privilégier la disparition.

C'est avec un sujet aussi sensible que le décès que Destination Finale nous mène sur une piste rare, privée d'affect et d'explication. L'accomplissement de la mort se fait principalement dans la performance, dans l'aboutissement artistique et gore. Mourir, c'est sûrement ce que ces personnages avaient de mieux à faire. Un pas vers l'insensé absolu, vers le jusqu'au-boutisme du divertissement, le cinéma qui écrase l'homme, qui écrase le spectateur, sans répit. C'est sûrement pour ça qu'on s'attache à cette série pourtant déjà désuète et crâneuse, parce que Destination Finale met toujours en avant une qualité de choix : la virtuosité dans son propre sabotage.

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