Père Scorsese, raconte moi uuuuune histoire

Les 4 raisons qui font qu'Hugo Cabret est bien un Scorsese

Dossier | Par Raphaël Clairefond | Le 16 décembre 2011 à 14h45

Sorti cette semaine, Hugo Cabret est l'adaptation d'un conte fantastique de Brian Selznik par Martin Scorsese qui signe là son premier film en 3D (dont il est maintenant très friand), mais aussi son premier film pour enfants. Un registre surprenant pour le maître du film de mafieux. On peut donc se poser la question : retrouve-t-on bien le "style Scorsese" dans Hugo Cabret ?

Notons pour l'anecdote que Cronenberg l'a gentiment moqué lors de l'avant-première parisienne d'A Dangerous Method en rappelant que le sien n'était peut-être pas en 3D mais qu'il comportait bien des dimensions. Et en effet, Hugo Cabret a beau être en relief, il s'agit sans doute du film le plus linéaire, le plus lisse, le plus limpide de son auteur. De là à affirmer qu'il nous aurait « trahis » (nous et son cinéma), il n'y a qu'un pas que nous ne franchirons pas.

Qu'aime-t-on habituellement dans les plus grands films de Marty ? On se laisse envoûter par sa manière de filmer la ville (en général New York) comme un lieu interlope, nocturne, où les chiens et les loups peuvent se livrer aux plus basses manoeuvres ; on reste fasciné par ses portraits de mafieux charismatiques, excessifs et un peu grande gueule ; on suit avec avidité ses histoires de péchés et de rédemption impossible, bref un cinéma d'homme, adulte, viril, sec, noir, désenchanté et sans concessions, riche en interrogations aussi existentielles que « Did you fuck my wife ? » et autre « You're talkin' to me ? »

Alors forcément, quand on a découvert la bande-annonce de ce conte qui relate l'histoire d'un jeune orphelin à Paris cherchant à percer le secret de l'automate que lui a laissé son papa et qui croise Méliès sur sa route, tout le monde s'est un peu demandé si Scorsese ne s'était pas découvert l'âme d'un Père Castor, d'un papi désireux de conter de merveilleuses fables à ses petits-enfants, en laissant de côté les brutes, les drogues et les jolies pépées.

Résultat des courses : oui, c'est une aventure, oui c'est très premier degré et il n'y a pas beaucoup de punchlines (à part peut-être « la vie m'a appris qu'il n'y a que dans les films que les histoires finissent bien » !), oui le film se place résolument du côté du merveilleux, oui, c'est sans doute la première fois que les enfants sont les héros d'un de ses films, mais oui, c'est quand même, encore, un film de Martin Scorsese.

Un bon nombre d'aspects marquants de sa filmographie se retrouvent dans ce nouvel opus :

1. La cinéphilie et l'envers du décor

Hugo Cabret, a travers le personnage de Méliès, se présente en effet comme un émouvant hommage à « l'usine à rêves » qu'est le cinéma. On le sait, Scorsese est, avec Tarantino, le cinéaste américain le plus ostensiblement cinéphile. Son Voyage à travers le cinéma américain est un modèle d'érudition et de pédagogie. Avec ce nouveau film, il rend hommage aux débuts du cinéma comme art forain et fait découvrir le travail d'un des premiers génies du cinéma à un grand public qui le connaît très peu. Scorsese déploie la magie du Septième Art avec la maestria qu'on lui connaît, et en expose conjointement la mécanique précaire. L'usage de la 3D prend tout son sens quand on contemple devant soi les spectateurs fuyant le train arrivant en Gare de la Ciotat ou quand les croquis de Melès s'animent dans les airs sous nos yeux :


Le coffre mystérieux extrait de Hugo Cabret

Il a su se servir de la technologie la plus moderne pour en célébrer les origines. En ce sens, le petit Hugo Cabret fait office d'ambassadeur, d'alter ego du spectateur, que Méliès prend par la main pour le faire pénétrer dans les coulisses. Il nous en fait partager l'excitation mais aussi les frustrations et l'amertume puisque Meliès au moment de la rencontre est oublié de tous (un peu comme aujourd'hui en fait).

Et puis, les dessous de l'industrie du spectacle, ça le connaît. On se souvient que le ton était déjà assez amer dans La Valse des pantins dans lequel un présentateur star de la TV se faisait enlever par un comique en mal de reconnaissance, sans parler du mythique Casino, chef-d'oeuvre absolu pour certains, qui voyait De Niro déchanter en patron de casino mafieux. Avec Scorsese, qui dit spectacle et divertissement dit aussi argent, pouvoir, ambition, trahisons...

2. Le goût de la fresque historique étincelante

De New-York, New-York au Temps de l'Innocence en passant par les « Di Caprio movies » (Aviator, Gangs of New-York, Shutter Island), Scorsese a toujours aimé les élégants mouvements de caméra à la grue, les décors fastueux et les costumes glamours dans des atmosphères enfumées. En bon cinéphile, il transpire de ses films une certaine nostalgie, une tendresse à l'égard de l'esthétique des grands studios, des années 50, etc.

Dans Hugo Cabret, il ne se gêne pas pour en rajouter dans l'ambiance carton-pâte, le pittoresque (ah le petits groupe de jazz dans le café !), c'est même au fondement de sa démarche. Son Paris des années 30 n'a jamais existé ailleurs qu'en studio, et tant mieux si les croissants sont beaucoup plus appétissants que dans la vraie vie ou si les lumières de la ville brillent de dix millions de feux.


Jeux de lumières dans Paris extrait de Hugo Cabret

3. Des destins extraordinaires

En bon américain, Marty aime les self-made-men, les destins singuliers, les pionniers, les pères fondateurs... Bref, les êtres au destin extraordinaire, mais sans jamais se priver de filmer la face cachée de l'American Dream, bien au contraire. Cinéaste de la démesure, il avait déjà dépeint les rêves de grandeur ruineux d'Howard Hughes, mythique producteur de cinéma et industriel chevronné, mais on peut aussi penser dans des registres différents à Raging Bull, à son documentaire sur Bob Dylan, voire même au Dalaï-Lama dans Kundun ou au Christ dans sa Dernière tentation.

Méliès vient donc s'ajouter à cette épatante et glorieuse galerie de portraits.

4. Sens de l'ellipse et sens de l'histoire

Enfin, s'il y a une chose que Scorsese maîtrise également à la perfection, c'est cette capacité à raconter et à mettre en image des histoires longues, étalées sur plusieurs années, voire la grande Histoire, en seulement quelques plans. Ce sens inné de l'ellipse permet de brosser à grands traits l'arrière-plan dans lequel vient s'inscrire le héros. On retrouve cette technique dans le récit rétrospectif de Méliès acceptant de revenir sur ses succès et sa déchéance (en raison de la Première Guerre mondiale notamment). Son beau studio en verre s'élève et retombe en friche en l'espace de quelques secondes, ce qui est un peu la trajectoire inverse de ce plan visualisant la construction et la modernisation de sa ville chérie dans Gangs of New-York :


Mutations d'une ville extrait de Gangs of New York

Si vous ne jurez que par les cabotinages de Robert de Niro, vous serez peut-être peu sensible à cette belle aventure de Noël. Mais gardez à l'esprit que ce faisant, Scorsese reste plus que jamais fidèle au cinéma qui l'a toujours fait rêver.

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Images : © Warner Bros. France / © Collection AlloCiné

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8 commentaires
  • zephsk
    commentaire modéré Le cinéma viril, sans e.
    C'est vrai quoi, c'est pas un truc de gonzesses, le cinéma.
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • bonnemort
    commentaire modéré Où tu vois un "e" ? il n'y a pas de "e" voyons. Tu es fou. Mouahahah.
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Mouais, ça sent la flibusterie tout ça.
    Je me rabats sur le mythe "des spectateurs fuyant le train arrivant en Gare de la Ciotat" qui n'est qu'un mythe, comme je l'ai déjà évoqué.
    Ainsi je maintiens intact mon statut de chieur congénital.
    De toute façon, Scorsese pourrait bien faire un film à la Jérôme Cornuau qu'on arriverait encore à y percevoir du génie.
    #Grincheux
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • IMtheRookie
    commentaire modéré Non vraiment @zephsk tu n'as jamais eu de moustache...
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • ElmerHunter
    commentaire modéré Je viens faire le maître Capello avec mon compère @zephsk qui semble perdre la boule, ça lui pendait au nez.
    Je ne l'ai pas encore vu mais d'après ce que je lis ici, Scorsese semble éviter consciencieusement le conflit qu'il y a eu entre Méliès et Edison et qui a joué pour beaucoup dans la faillite de Méliès. (Outre le fait que les Américains pensent encore que c'est Edison qui a inventé le cinéma.) Méliès avait déjà fait faillite en 1913 et la guerre n'y est pour rien. Edison avait racheté en douce une copie du "Voyage dans la Lune" à Londres, l'avait dupliquée et exploité le film aux USA sans jamais rien reverser à Méliès. Lui pensait rentrer dans ses frais en exploitant le film là-bas, il n'a jamais eu aucune compensation et sa boîte a coulé...
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré @IMtheRookie J'ai pas saisi le truc sur la moustache là.
    @ElmerHunter Ne te laisse pas endormir par ces fourbes qui modifient leurs pages pendant notre sommeil.
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • ElmerHunter
    commentaire modéré Je pense que c'est une référence au film La Moustache où Vincent Lindon part en vrille parce que personne ne se rend compte qu'il s'est rasé la moustache, en soutenant même qu'il n'a jamais eu de moustache. http://www.vodkaster.com/Films/La-Moustache
    Excellente idée mais film pas terrible.
    J'ai pigé l'embrouille de mise à jour, mais j'aime bien la vanne de prestidigitateur pervers.
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
  • zephsk
    commentaire modéré Ahh oui la moustache. Bien sûr.
    16 décembre 2011 Voir la discussion...
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