Interview de Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm pour La Guerre est déclarée
La Guerre est déclarée sort ce mercredi 31 aout, l'occasion de plonger au coeur de cette bataille que mènent Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm contre la maladie dans le film mais aussi dans la réalité.
La rencontre se fait à Paris, dans l'ancien bureau de François Truffaut. L'endroit est inespéré pour rencontrer cette jeune cinéaste et son ex-compagnon également acteur et co-auteur du film. A l'image de leur film, Valérie Donzelli et Jérémie Elkaim parlent franchement, sans chichis et abordent de façon décomplexée les liens qui unissent leur ancienne vie amoureuse au couple qu'ils incarnent dans le film. Après deux mois d'intense promotion, les deux partenaires accusent le coup mais la passion reprend vite le dessus.
Votre film est souvent qualifié de décomplexé notamment par le traitement sous forme légère de la maladie. Quelle est la frontière entre votre histoire et la fiction portée à l'écran?
Valérie Donzelli : Un des éléments vraiment arrivé est l'épisode de la rencontre avec la cacahuète même si le contexte était différent puisque nous nous connaissions déjà. Après le but était tout de même de faire un film, donc de raconter une histoire, avec des rebondissements palpitants. Par exemple dans les choses vraies, quand on a eu notre enfant ça a été un désordre au sein du couple. Dans la première mouture du film, cette partie était beaucoup plus développée, mais il a fallu accélérer au montage, sinon le film donnait l'impression de mettre du temps à démarrer. Il y avait un rythme à trouver. L'élément le plus documenté, donc le plus proche de la réalité, reste tout de même celui du milieu médical.
Jérémie Elkaïm : Mais ce qui nous intéressait ce n'était pas l'aspect traitements médicaux, plutôt le rapport aux médecins, nous voulions vraiment être du côté des parents.
V.D : Et puis la vraie vie c'était que nous n'étions pas tout le temps accablés, on continuait à vivre, à rire. Malgré les événements tristes, malgré la fatigue, la vie continue. Nous voulions raconter ce mélange bizarre qui se passe à ce moment là. Nos personnages sont dans une pulsion de vie et pas dans une angoisse de la mort.
J.E : Et puis notre film parle aussi d'une génération qui n'est pas préparée à la guerre. On est assez protégé, en Occident, dans des pays comme la France, on ne se fédère plus autour d'idéaux, je parle politiquement parlant, tout ça fait qu'il n'y a pas de combat. Or, eux, ils sont dans un combat. Ils ont un ennemi bien défini, ils savent contre quoi ils se battent et ils se rendent compte que c'est une chose plus ambivalente, car ce qui les accable les rend aussi plus fort. Être dans un combat épanouis aussi, donne paradoxalement de l'énergie.
Roméo et Juliette sont-il des modèles ?
V.D : C'est dur de parler de modèles puisque c'est nous... Nous ne considérons pas comme des modèles mais nous assumons ce côté parfois indigne des parents. L'éducation n'est pas sacrificielle, il faut trouver un équilibre, pour penser à soi, être épanoui, et pouvoir au mieux s'occuper de ses enfants.
?J.E : Les personnages qui assument leur faiblesse ou leur médiocrité sont toujours des personnages auxquels on s'attache malgré tout parce qu'ils ont cette part imparfaite. Nous avons découvert que pour bien s'occuper d'un enfant il faut aussi bien s'occuper de soi. Ces personnages veulent être un modèle d'épanouissement pour leur enfant plutôt que de s'oublier. Dans les générations passées, les femmes notamment n'étaient plus des femmes, mais juste des mères. Ici tout est changé.
V.D : J'aimais bien d'ailleurs montrer l'image de l'homme aujourd'hui, montrer le personnage de Roméo qui passe la serpillère pendant qu'elle va travailler. Il y avait un souci d'être dans quelque chose d'assez contemporain, d'observer notre génération. Roméo est une nouvelle image du père.
Pourquoi avoir arrêté l'histoire du combat contre la maladie par la séparation du couple?
J.E : En sous texte il y a la séparation du couple, mais juste en voix off. On trouvait ça joli que Roméo le dise, pour exprimer que le couple de façon conventionnelle n'existe plus, sortir de la vision conformiste. Mais ce qu'ils ont vécu, ce qu'ils ont traversé a produit une entente supérieure entre eux, comme un pacte. C'est leur vision du monde, et la nôtre aussi, puisque nous continuons à travailler ensemble. On n'est pas déchiré parce qu'on est séparé, au contraire, tout ce que l'on fait nous fédère, nous avons mis en quelque sorte l'énergie de l'amour dans le travail. Lorsque nous avons cessé d'être un couple nous avons commencé à faire les films que nous avions envie de faire et notre regard mutuel sur notre travail compte beaucoup pour nous deux.
V.D : Et puis, j'avais déjà traité de la rupture amoureuse dans La Reine des Pommes. Dans La guerre est déclarée c'est compliqué de traiter cette partie propre au couple. C'est pratiquement un film en soi, différent. Je trouvais que d'en parler en une phrase, vu tout ce qu'on avait vu, c'était redonner au spectateur son pouvoir d'imagination. Et puis l'idée du film était de raconter une histoire d'amour du début jusqu'à la fin !
J.E : C'est aussi pour dire que cette séparation c'est presque un détail au fond. On perd quelque chose, il y a un dommage collatéral à cette aventure dont on ne sort pas indemne mais ce n'était pas l'objet du film. Ils ont réussi cette épreuve, c'est le plus important.
La facture du film permet de rentrer plus facilement dans l'histoire, de mieux s'identifier. Le budget faisait-il partie de l'écriture ?
V.D : Non, le projet était écrit comme ça. On aurait eu 5 millions le film aurait été pareil, on aurait juste été mieux payés (rires). Il n'y avait pas de côté spectaculaire. Même le fait de filmer avec l'appareil photo était un choix esthétique décidé avec le chef opérateur (Sébastien Buchmann) qui a travaillé l'image et les couleurs du film. On fait du cinéma par le commencement du cinéma : par une mise en scène et l'argent ne rentre pas en compte dans ce processus. De plus, le film n'a pas manqué de moyens : il a couté 1,2 millions d'euros ! Pour comparaison, La Reine des Pommes avait couté 7000 euros ! On était huit pour faire le film, mais c'était un choix. Du coup tout le monde est polyvalent, tout le monde met la main à la pâte, les gens ne viennent pas sur un tournage, ils viennent faire un film. Nous avons travaillé avec des gens qui ont la même vision que nous du cinéma : le cinéma c'est raconter des histoires, le cinéma c'est politique, c'est ça qui nous anime et c'est pour ça que l'on part à l'assaut !!
Les projets pour l'avenir vont-ils toujours être ensemble ?
V.D : Ça dépend, Jérémie à un projet de film sans moi, en tant qu'acteur. Prochainement nous allons retravailler ensemble, dans un film pour lequel Jérémie se prépare en prenant des cours de danse. C'est un projet qui naît d'un désir, celui de diriger Jérémie et d'écrire pour Valérie Lemercier et de les mettre ensemble dans un duo romantique.
Entretien réalisé avec la complicité des blogueurs Laimelecinema et Toujoursraison.