La nuit du hunter

L'étonnante relation entre Johnny Depp et le père du journalisme gonzo

Dossier | Par Julien Di Giacomo | Le 1 décembre 2011 à 16h34

Dans Rhum Express, sorti hier en salles, Johnny Depp joue le rôle de Paul Kemp, un journaliste souffrant de problèmes de boisson qui pourrait bien être le cousin de celui qu'il incarnait déjà dans Las Vegas parano il y a maintenant plus de 10 ans. Et pour cause : les deux films sont des adaptations du défunt Hunter S. Thompson, inénarrable père du journalisme gonzo, personnalité rebelle et charismatique, et grand ami de Johnny Depp, qui ne cesse de souligner à quel point il était important pour lui de porter enfin à l'écran Rhum Express, le film étant l'aboutissement de sa relation avec l'auteur, décédé en 2005.

D'abord une belle rencontre...

Tout commence à l'hiver 1994, dans le Colorado, où Johnny Depp passe Noël. Un de ses amis propose de le présenter à Hunter S. Thompson, dont il est une connaissance, et qui habite justement dans le même État. Depp est fan de l'auteur depuis qu'il a lu, dans son adolescence, Las Vegas parano et probablement ses nombreux articles politiques, culturels ou sportifs, qui constituent à eux seuls une pierre fondamentale de l'histoire du journalisme. Bien entendu, il saute sur l'occasion et obtient un rendez-vous dans un bar bondé où Thompson se pointe en se frayant un chemin dans la foule à coups de bâton électrique et de Taser. Quelques heures plus tard, ils se retrouvent tous les deux dans la maison du journaliste, enfin seuls et loin du tumulte de la foule... Au calme, dans une ambiance plus propice à batifoler de longues heures durant en parlant littérature, ils évoquent le fait qu'ils ont tous les deux grandis dans le Kentucky à une trentaine d'années d'écart et tirent des coups de feu dans la nuit. C'est le début d'une belle amitié basée sur un goût commun pour l'excentricité et une foi indéfectible en l'importance de l'intégrité artistique.

Elle est évoquée ici par Johnny Depp :

Wino Forever

Johnny Depp a un tatouage le proclamant « Wino Forever ». Même s'il s'agit en fait d'un effacement partiel de la dédicace « Winona Forever » (mais c'est une autre histoire), il est connu pour être un grand amateur de vins. Il a déjà déclaré avoir commencé à tirer sur « des trucs » dès l'âge de 5 ans, et a commencé par tenter de faire carrière dans la musique avant de devenir acteur. Or, outre l'écriture, Thompson est réputé pour son goût très prononcé pour les armes à feu, la musique, l'alcool et les drogues en général. Cette aura éthylique entourant le journaliste continua d'ailleurs d'exercer son influence même par-delà sa mort puisque le réalisateur de Rhum Express, Bruce Robinson, qui avait arrêté de boire depuis 6 ans, dut se remettre à consommer de l'alcool pour vaincre l'angoisse de la page blanche qui le terrassait au moment où il devait s'atteler à l'écriture du scénario. Il se remit également à boire pendant le tournage du film, et déclara « je redevins sobre lorsque je fus sorti de l'environnement de Johnny », attribuant ainsi visiblement son ébriété à Depp, qui apparaît alors plus que jamais comme un alter ego de Thompson. Pas étonnant que les deux personnages, qui partagent un sens bien connu de l'excentricité, aient été copains comme cochons. Au passage, il est amusant de noter que Johnny Depp nie les beuveries de tournage évoquées par Robinson...


La distillation extrait de Rhum Express

Une amitié créative

Cette amitié prend évidemment un tournant nouveau en 1998, lorsque Johnny Depp, non content d'être fan de Thompson et de le côtoyer régulièrement, va avoir l'occasion de jouer son rôle dans Las Vegas parano. Pour mieux s'imprégner de la gestuelle, de l'attitude et de la manière de parler de son personnage, il s'installe dans sa cave (logique, non ?). Là, dans une malle, Depp découvre un manuscrit inédit, écrit par Thompson au début des années 60 et refusé par de nombreuses maisons d'édition : The Rum Diary. Et alors qu'ils sont là, assis en tailleur sur le sol de la cave, se produit une étonnante inversion de rôles : Johnny Depp convainc Thompson de ré-essayer de faire publier le texte, et Thompson convainc Johnny Depp d'en produire l'adaptation. Si le livre sort bel et bien la même année (en France sous le titre Rhum Express), la production d'un film peut parfois être un processus lent et compliqué, et il faudra donc 13 ans avant que Rhum Express n'arrive enfin sur nos écrans. En cours de route, Hunter S. Thompson se sera suicidé, laissant son ami finir seul la tâche à laquelle ils s'étaient pourtant attelés ensemble.

La politique de la chaise vide

Tous les jours sur le tournage du film, une chaise était réservée au nom de Thompson, à côté de laquelle Depp déposait un cendrier et un verre d'alcool. Un des producteurs de Rhum Express déclara à propos de lui : « C'était quelque chose qui lui tenait à coeur. Ce n'était pas un show. Il ne voyait pas ça comme du travail ». On ne doute pas que le succès mainstream de l'acteur dans la franchise Pirates des Caraïbes aura grandement aidé le projet à sortir du development hell auquel il semblait voué dans ses débuts, et ce geste par lequel Depp utilisa (sciemment ou non) sa notoriété pour appuyer une cause profondément personnelle n'est pas dénué d'un certain charme romantique. Mais sa collaboration avec Hunter S. Thompson est-elle seulement finie ? Pas sûr : il a récemment déclaré son intention de porter à l'écran trois autres oeuvres de l'auteur, et de jouer encore le rôle de « ce vieil ami qui [lui] manque terriblement ». Alors que Rhum Express est un flop et un échec critique, gageons que Depp devra faire peser son statut de star de tout son poids dans la balance pour mener à bien ses desseins...

Sources : Le Monde, Movieline, The Huffington Post

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