La VO au ciné : un truc de parisiens ? De riches ? De snobs ?
Vous vivez à Paris ? Enfilez votre jogging et marchez à la recherche d’un cinéma qui propose des films doublés en français... C'est pas gagné. En régions par contre, c'est une toute autre histoire. Partant de ce constat, nous avons interrogé plusieurs exploitants de salles de notre belle capitale et d'ailleurs, afin de comprendre les raisons de ce grand schisme VO/VF entre la ville du PSG et le reste de la France et, au passage, en profiter pour mettre à mal quelques idées reçues.
En 2009, les gars de La chanson du dimanche entonnaient cet air : « Ne pas savoir parler anglais... c’est être français ! ». Etant donné que, plus tard dans le morceau, ils affirmaient aussi que « manger plein de spaghetti, c’est être italien », on pouvait donc leur faire confiance question stéréotypes... Les Français ne sont effectivement pas doués pour les langues étrangères, notamment en anglais où le pays est classé 24ème sur 27 en Europe. C’est peut-être en premier lieu pour cette raison que le spectateur français boude toujours majoritairement les séances de cinéma en version originale sous-titrée. Sauf qu'un village, un gros, résiste encore et toujours à la VF : Paris. Parmi ses plusieurs dizaines de salles, la capitale n'en possède que deux proposant une majorité de séances en VF : le Gaumont Aquaboulevard (15ème arrondissement) et le Pathé Wepler (18ème).
Il y a un indéniable clivage Paris/Reste de la France, mais attention, la programmation parisienne n'est pas un négatif de celle des autres grandes villes du pays. Dans leur centre, ces dernières ont aussi fait de la VO une norme, que ce soit avec les multiplexes ou les salles indépendantes. Pour ces villes, les cinémas privilégiant la VF restent nombreux, mais ils sont systématiquement situés à leur périphérie.
La VO, un truc de centristes
Patrick Troudet, directeur du cinéma Utopia de Bordeaux, salle Art et Essai 100% VO, a assisté à l'installation de la VO au coeur de nos grandes villes. Pour lui, la première explication est d'abord technique : « La VO a énormément progressé en province. Il y a 15 ou 20 ans, il était très difficile de programmer en VO autre chose que des petits films, car il fallait attendre que les copies VO des gros films, destinées à Paris, soient disponibles. Le numérique a révolutionné ce système, raconte Patrick Troudet. Même les multiplexes de périphérie ont aujourd’hui quelques séances en VO en semaine. Cette souplesse tient à la présence des versions française et originale sous-titrée sur la même DCP ». Le grignotage opéré par la VO vers l’intérieur des villes pourrait presque être assimilé à une forme de gentrification. Les spectateurs qui veulent de la VF doivent quitter le centre-ville : « En 2005, Trois enterrements de Tommy Lee Jones n’était diffusé qu’en VO dans les trois multiplexes du centre de Toulouse, se souvient Patrick Troudet. Depuis, certaines salles locales ont fait marche arrière sous la pression des distributeurs, en raison des résultats financiers médiocres des diffusions VO ».
La VF, un truc de beauf ? De frontiste ?!
L’opposition entre VO et VF ne serait pas qu'une opposition Paris/Régions. Avec la capitale comme avec les autres grandes villes de France, on observe une présence grandissante de la VF par cercles concentriques à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains, à mesure que la densité de population diminue. Oh, vous nous voyez venir... Aux dernières élections régionales, c’est ce constat qui avait été tiré concernant le vote en faveur du Front National : moins la zone de vote est peuplée, plus le vote FN gagne du terrain. Alors, les aficionados de la VF sont-ils tous des frontistes ? Bien sûr que non, ne serait-ce que parce que la part de la population préférant la VF excède assurément les six millions de sympathisants FN... Tout juste peut-on se risquer à remarquer deux facteurs en commun : l'isolement géographique et l'importance de la télévision. Le premier ne favorise pas la perméabilité aux autres cultures et langues ; la seconde ne fait que dans la VF, laissant depuis peu le choix des langues aux téléspectateurs, mais au détriment des diffusions exclusives en VO qui ont pratiquement disparu (impossible de tomber sur un film en VO et d'être obligé de le regarder ainsi, par exemple).
Proposer la VO pour des raisons pas toujours avouables
Le doublage français peut être boudé par les puristes mais, comme l’a rappelé l’Association des Traducteurs et Adaptateurs de l’Audiovisuel (ATAA) lors du micro-scandale de la VF expédiée de Dumbbells sur Netflix, il est rarement sujet à moquerie tant le travail des comédiens est généralement convaincant. La VF est souvent de bonne qualité et elle a ses défenseurs, ceux qui vous diront que Fargo des frères Coen est mieux en VF qu’en VO, ceux qui ne peuvent pas supporter d’entendre les véritables voix de Marty McFly et Doc Brown dans Retour vers le futur. Malgré cela, quand on va au cinéma, le choix de la VF est souvent celui du consensus entre spectateurs. Avec ses amis, par exemple, le militant de la VO ne va pas pousser pour regarder le film dans ces conditions, au contraire de ses opposants : parce qu’il se sent minoritaire, mais aussi parce qu’il ne peut pas risquer de mettre mal à l’aise le partisan de la VF qui peut l’être pour des raisons difficiles à ignorer. Patrick Troudet a beau rester fidèle à la VO, comme les spectateurs de ses salles, il concède un intérêt objectif à l’autre pratique : « Le seul avantage de la VF, à mes yeux, est qu’elle rend accessible des films aux spectateurs ne sachant pas ou ayant des difficultés à lire ». Imparable. David Obadia, responsable gestion et programmation pour Cinépoque et le Luminor Hôtel de Ville de Paris, pense aussi à ce public spécifique : « Certaines catégories de spectateurs n'ont pas d'autre choix que de voir les films en VF, notamment les seniors qui ont plus de mal à lire et à suivre le sous-titrage que les spectateurs plus jeunes ».
Mais les raisons pour lesquelles les exploitants choisissent la VF ou la VO ne sont pas toujours aussi vertueuses. David Obadia les connaît et les dépeint sans langue de bois : « La grande majorité des cinémas de la capitale ne proposent pas de VF alors que certains parisiens préfèreraient voir les films ainsi. Pourquoi ? Parce que si elles optent pour la VF, certaines salles craignent d'attirer un nouveau type de spectateurs qu'elles n'ont pas envie de voir : celui qui vient de la banlieue ». Et comme le chantaient Thierry Roland et Jean-Michel Larqué, « il suffit d’un ou deux excités » pour qu’un ensemble de spectateurs soient pénalisés. En l’occurrence, la minorité nuisible, c'est celle qui fait preuve de violence dans les salles, voire qui les saccage, comme cela a pu arriver lors des projections VF de Conjuring ou Sinister. C’est très rare, mais ça fait parler et certains exploitants, afin d'éloigner les spectateurs supposés à la fois nuisibles et pas vraiment riches, en profitent pour augmenter leurs tarifs... Le passage de la VF à la VO de multiplexes parisiens situés non loin des gares ferroviaires obéirait à cette même logique : inciter les jeunes qui prennent les trains de banlieue pour rejoindre la capitale à passer leur chemin parce que, suppose-t-on du côté de ces cinémas, ceux-ci n'apprécieraient guère la VO...
La VO, une question d'image
Le maintien de la VO à Paris répondrait aussi à des exigences de standing. « Les cinémas parisiens qui décideraient d’abandonner la VO perdraient par la même occasion une forme d'élitisme et de noblesse vis-à-vis des spectateurs locaux mais aussi de la profession » déclare David Obadia. Jean Roy, directeur du Megarama d’Ecole Valentin, à Besançon, qui diffuse tout en VF, veut bien l’admettre : « Il y a parfois une forme de snobisme. Mais plus généralement, la culture de l'anglais n'est pas encore assez forte en France. Cela viendra peut-être d’ici 20 ou 30 ans et ce sera comme dans les pays nordiques, où tous les films américains sortent en VOST ». « Les « puristes », eux, sont peu nombreux en France par rapport à l’immense majorité plus sensible à la VF, poursuit Jean Roy, même si elle consent à faire une entorse à sa ligne de conduite, quand elle sent un intérêt particulier à voir un film avec ses voix originales, comme c'est le cas avec les Woody Allen ». La programmation des cinémas doit donc faire preuve de flexibilité. Certaines salles alternent VF et VO en fonction des heures de projection, notamment avec les films d'animation, ou choisissent en fonction du public visé. La semaine du 27 janvier, le Gaumont Wilson de Toulouse, majoritairement VO, proposait Creed en VF, alors qu'à Montpellier, le Gaumont Multiplexe, majoritairement VF, avait Carol en VO. « On programme les films que l’on prend plaisir à voir et que l’on a envie de montrer. Et on les montre tels que l’on a envie de les voir, revendique Patrick Troudet. Chez nous, à l'Utopia de Bordeaux, la programmation VO se fait instinctivement et en général le public suit. J’espère que les exploitants qui ne proposent que de la VF préfèrent eux-mêmes regarder les films ainsi, et qu’il ne s’agit pas seulement d’un choix mercantile ».
Les stratèges
A la dichotomie VO/VF, Patrick Troudet superpose un autre face-à-face : celui qui oppose deux réseaux de salles. « Aujourd’hui, UGC cherche à concurrencer EuroPalaces, qui regroupe les Gaumont et les Pathé. UGC fait de la VO au risque d’amoindrir ses scores, de perdre des entrées, mais renforce sa notoriété et se pose comme un concurrent. Lucy, par exemple, n’était projeté qu’en VO à l’UGC Ciné Cité de Bordeaux. Ce dernier a sans doute perdu au moins 10 000 entrées en faisant ce choix, mais c’était bon pour son image, soutient le directeur d'Utopia Bordeaux. UGC a mis en place une forte stratégie d’occupation du terrain par la VO. On peut avoir du mal à la comprendre, parce qu’elle repose sur le long terme et qu'elle peut se retourner contre eux en éloignant une partie de la clientèle, et pas seulement des films étrangers. Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ? n’a pas si bien marché chez eux, moins que chez Megarama ou Mega CGR en tous cas ». Youen Bernard, ancien directeur du Megarama de Bordeaux et aujourd’hui à la tête de l’Artec (15 salles de proximité en Gironde), abonde en ce sens : « Les Mega CGR ont une stratégie à plus court terme : ils ne se lancent pas dans la VO parce qu’ils savent que cela prendrait des années pour habituer leur public à voir les films de cette façon ».
Au coeur de toutes ces stratégies, il y a un décideur de poids : le distributeur du film. « L’ayant-droit reste celui qui définit la stratégie de diffusion VF/VO, affirme Youen Bernard. Quand un film est visible en VO dans plusieurs cinémas d’une même ville ou d’un même quartier, le distributeur peut décider de leur donner l'exclusivité et de refuser la VO à d'autres réseaux de salles, et ce même à l’époque du numérique ». Un point de vue que Jean Roy partage, au regard de son expérience personnelle : « Notre Megarama d’Ecole Valentin ne propose quasiment jamais de VO, parce que nous n'avons pas le public pour. Notre clientèle est très familiale, rurale et retraitée, annonce-t-il. De toutes façons, les distributeurs destinent très peu de copies VO aux villes de taille moyenne. On peut demander à bénéficier d'une exception, mais ça ne marche qu'une fois sur mille, surtout dans le cas d'un multiplexe en périphérie comme le nôtre ».
Penser que la VO est l'apanage de Paris serait-il une erreur ? Voir une forme d’élitisme dans la concentration des salles VO dans les gros centre-villes, serait-ce une perception erronée de la situation ? N'avons-nous pas pris le problème à l'envers ? En réalité, la VF n'est pas reléguée à la périphérie des villes : elle est largement majoritaire en France. C'est la VO qui est contenue dans quelques multiplexes intra-muros, sans espoir de sortie, et demeure une pratique marginale. Au début de cette enquête, parisiannistes que nous sommes, nous redoutions de devoir marcher des heures dans Paris avant de trouver un cinéma VF, alors que c'est en recherchant la VO aux abords de n'importe quelle grande ville qu'on risque le plus l'épuisement et la crise cardiaque.
Les illustrations sous-titrées viennent de l'excellent Tumblr Les Sous-titres de la honte.
Sans même parler de la médiocrité consternante de la majorité des VF, même si cette dernière est réussie elle dénature forcément le travail d'une oeuvre qu'on apprécie pas comme elle a été produite.
De plus, comme la majorité des films sont en anglais cela peut aider à terme à une meilleur compréhension de la langue. Il y a beaucoup de points positifs.