Le cinéma érotique n'existe pas
Heureusement et n'en déplaise à certains, les kids d'aujourd'hui se sont mis au porno sans passer par la case du film érotique. Malgré eux, ils ont compris que le premier est une promesse de liberté, là ou le second n'est que radinerie et mensonge. La preuve.
Depuis ses débuts avec Le Vol du grand rapide qui donnera naissance au western, le cinéma n'a cessé plus ou moins de se définir autour des formules et des genres que lui soufflait la littérature, le théâtre, puis plus tard le monde et lui-même. Très vite, au temps encore du muet, sont ainsi nés des petits films montrés dans les maisons closes ou chez des amateurs. Coquins, pornographiques, parfois scénarisés et inspirés d'un imaginaire pictural ou littéraire, ils mettent alors en scène le plus souvent des prostitués et leurs clients, sans frémir de la censure quant à la représentation des fantasmes - qui viendra un peu plus tard et pour quelques décennies. A peine les frères Lumière ont-ils mis au point leur système que le cinéma filme la plus grande obsession de l'humanité. Et explicitement, sans passer par les parures d'Eros qui voudraient croire que dans la suggestion réside de plus grands pouvoirs. Tout le monde sait bien qui a gagné, depuis le début, depuis toujours, et plus encore avec le cinéma. Mais il va quand-même falloir faire semblant, au moins pour l'Histoire de la morale et ses conventions.
Emmanuelle 12
Le succès d'Emmanuelle, qu'il faut relativiser par l'époque et son interminable exploitation à l'heure où le magnétoscope n'est pas démocratisé, est à la hauteur de l'échec du cinéma érotique. Des années 70 aux années 80, on continue de produire des films distribués en salle partout même chez UGC. Ailleurs, comme au Japon avec ses pinku où Kiyoshi Kurasawa a fait ses armes (il faut voir Kandagawa Wars, l'un de ses premiers films, érotique et foutrement godardien), le genre perdura, mais c'est une autre histoire. La nôtre, quasi-universelle, voit rapidement le genre s'effondrer devant l'accroissement monstrueux de la vidéo. Mais la technique, la facilité et la discrétion (de visionnage) n'expliquent pas tout. Qui aujourd'hui voudrait voir un film érotique ? Surtout, pour quoi faire ? Les amateurs du genre diront pour sa (relative) subtilité, selon la théorie du moins on en voit, plus l'imaginaire turbine. Mais peut-on appliquer au cul ce qui fonctionne idéalement chez Tourneur pour le film d'horreur ? Ne veut-on pas justement voir exactement l'image que l'on a en tête, comme la matérialisation fabuleuse de nos plus grands dirty secrets ? Qu'est-ce que cette théorie de l'image cachée que, par ailleurs, l'amateur de cinéma des années 70 (ère d'explosion du porno) sort de sa manche à tout bout de champ ?
Désirs à 4000 pieds extrait de Emmanuelle
Blow (me) out
Le cinéma érotique n'existe pas. Il n'a été qu'un problème législatif au mieux défendu par quelques esthètes comme David Hamilton, qui pouvait ainsi pousser un peu plus loin son imaginaire adolescent sans craindre d'être mis sous les verrous. L'horizon du cinéma érotique a toujours été la pornographie. Puisqu'on peut montrer, pourquoi contourner encore une image par une autre ? Le problème de l'érotisme est qu'il barre l'accès des choses au moyen d'un discours vertueux de la retenue depuis longtemps théorisé, sinon politisé. Il fait croire que la représentation serait plus forte dans l'interdit de sa totalité, par la puissance N d'un invisible supposé nous troubler davantage que ce qui est vu à nu. Cette mystique a pris plus que jamais du sens dans les années 70. Mais, comme le montre le cinéma de De Palma par lequel on voudra bien faire un détour, cette conception du cache, de l'image manquante et obsédante, est fausse. Pour la raison qu'elle repose sur une interprétation refusant que l'image soit intégralement ce qu'elle est (alors que même ce qu'on ne voit pas est toujours par essence dans l'image). Dire que Blow Out, sur la foi de Blow-up, puise ainsi son sens dans la quête finalement érotique d'une absence, c'est ne pas voir que De Palma prouve exactement le contraire. Ce qui le range du côté des pornographes et des cinéastes classiques.
Parano ? extrait de Blow Out
Vers l'infini et au-delà
On sait que chaque image contient sa vérité. Même le mensonge du cinéma érotique dit ouvertement qu'il nous trompe, que les raisons soient morales ou esthétiques. La différence avec la pornographie, c'est qu'elle assume cette vérité de la fantaisie sexuelle à l'image pour l'enrichir sans cesse. Elle ne dit pas qu'on aurait à gagner de moins voir, mais au contraire de voir toujours plus, frénétiquement, infiniment. Les conditions du succès de l'un et de l'échec de l'autre se jouent dans ce registre des possibilités. L'érotisme est radin. Mesquin, il croit dans l'ascétisme là où la pornographie n'offre que libération et accroissement de notre imaginaire. Pour cette raison ramenant encore vers De Palma, cette dernière est bien davantage cinéphile. La multiplicité délirante des situations dans le porno, qui manie l'art du cross over comme nul autre, offre un catalogue d'images inépuisables avec lesquelles le spectateur peut s'amuser. La grandeur n'est donc pas dans la retenue et l'absence mais au contraire la promesse d'une abondance sans limites du visible. Chose beaucoup plus excitante que le jansénisme du cinéma érotique, décevant par essence en ce qu'il est l'énoncé de ce qu'on ne verra pas.
Image : © S.N Prodis & Parafrance Films