Fast Times at Ridgemont High d'Amy Heckerling, une étude sociologique
Bienvenue en Californie, où les garçons sont défoncés et les filles sont faciles.
Adapté d'un livre du même nom publié un an plus tôt, Fast times at Ridgemont High se veut une exploration de l'intérieur des moeurs de lycéens californiens. Cameron Crowe travaillait comme journaliste pour Rolling Stone quand il a décidé de se lancer dans l'écriture d'un livre. Il choisit de se faire passer pour un lycéen dans le lycée de Clairemont à San Diego. Il a 22 ans, l'air d'un gamin (oh ! mais ne serait-ce pas le paradigme de tous les castings de teen movies depuis les années 80 ?), et n'a jamais vraiment eu d'expérience lycéenne aboutie, en bon surdoué précoce qu'il était (il a gradué à 15 ans sans même faire sa senior year). Le voilà qui prend sa revanche en infiltrant dans une senior class, en se faisant des copains et en publiant. C'est un peu comme si Crowe était un personnage de 21 Jump Street, sauf qu'au lieu d'être flic en planque, il est journaliste en planque. On raconte que le proviseur du lycée de Clairemont n'aurait accepté que parce que Crowe avait rencontré Kris Kristofferson dont il était fan. A l'issue de cette année, Fast Times at Ridgemont High : A True Story en 1981. Le film tiré du livre est tourné dans la foulée et sort en 1982.
Crowe, comme je l'avais dit à propos de Say Anything, est moins un story-teller qu'un zeitgeister : son truc à lui, c'est de capter l'air du temps. Il en résulte un film où la trame narrative est relativement lâche. Ce qui compte, c'est la caractérisation des personnages et l'impression d'immersion dans un quotidien somme toute assez banale. Le film se voulait un instantané de l'adolescence de 1982 (en Californie, certes). Certaines scènes sont ainsi douloureusement réalistes - notamment la perte de pucelage de Jennifer Jason Leigh, une espèce d'instant silencieux et statique qui dure 6 minutes, dans un espace public de la ville, après une cour d'environ 7 minutes 30 par son prétendant. Notons par ailleurs que quand j'étais en première, un gars d'une autre classe aussi avait commandé une pizza pendant un cours d'Anglais (le prof était cool, il avait dit de manger sans faire trop de bruit, un big-up à vous, M. Dumas).
Prêt pour les cours extrait de Ça chauffe au lycée Ridgemont
Le film est moins centré sur une intrigue que sur des caractères, façon La Bruyère. Ainsi, s'il fallait résumer Fast Times at Ridgemont High, on commencerait par lister les types, les caractères qu'on y trouve, à savoir : l'innocente, une jeune lycéenne de première année (Jennifer Jason Leigh), son frère ainé-populaire-parce-qu'il-a-un-job (Judge Reinhold), un nerd timide (Brian Backer), un surfer cool (Sean Penn), une princesse un peu pétasse (Phoebe Cates), un dur qui roule des mécaniques (Robert Romanus), un jock star du foot (Forest Whitaker). Ces types sont tellement réalistes qu'en vérité, les noms des personnages ne sont pas si loin des noms de leurs modèles de la vraie vie. Ainsi, le personnage du nerd timide, Mark ?Rat' Ratner, est basé sur Andy ?Rat' Rathbone, qui par ailleurs n'a pas trop apprécié le portrait fait de lui à l'écran. Qu'à cela ne tienne, Rathbone a depuis pris sa revanche en faisant fortune par la création des livres « Pour les Nuls ».
Ce qui compte c'est l'attitude extrait de Fast times at Ridgemont High
L'histoire ? C'est simple : on voit cette jeunesse? vivre. On y découvre que l'adolescence ne se vit pas seulement au lycée, mais également au centre commercial, au cinéma, au fast-food, au stade, hauts lieux de sociabilités, mais aussi de premiers jobs pour cette génération qui apprend à devenir autonome. Cette jeunesse est sexuellement active, c'est même au coeur du film (l'entrée de Jason Leigh dans l'adolescence passe par son initiation sexuelle), et les discours à ce sujet ne sont pas forcément politiquement corrects (peu de comédies adolescentes parlent d'éjaculation précoce et d'avortement, après tout) mais le film ne se limite pas à cela. On y découvre une culture adolescente qui, bien au contraire, n'est pas seulement fixée sur le sexe. Le sexe y apparaît comme un passage obligé, une pression sociale dont on préfère se débarrasser aussi vite que possible. A côté de cela, les petits boulots, le rock, le surf (et la weed) - c'est toute une culture émergente qui est décrite.
Le film sort la même année que Porky's et est perçu par ses détracteurs (Roger Ebert, vous ici ?) comme une énième comédie graveleuse sur des adolescents obsédés par le sexe. Viennent appuyer cette théorie des scènes désopilantes, comme ce moment où Phoebe Cates initie Jennifer Jason Leigh à l'art de la fellation au réfectoire, en la faisant s'entraîner sur des carottes sous les yeux ébahis de morts de faim qui ont la trique de leur vie en les voyant faire. Ainsi, plusieurs scènes ont été tournées en version « tous publics » pour les diffusions télé.
Pourtant, le scénario de Crowe fournit bien plus que cela ; cette scène-même est d'ailleurs d'une subtilité incroyable dans ce qu'elle dit en vrai de la relation de pouvoir qui s'installe entre Cates et Jason Leigh, et entre hommes et femmes. Le réalisme du film ouvre pour l'une des première fois les yeux du public sur le mode de vie d'une génération (en 1982, le film fait figure de précurseur).
Réalisé avec un budget restreint, et porté par une équipe à peine sortie de l'adolescence elle-même (Amy Heckerling a 26 ans quand elle le réalise, Crowe avait 23 ans quand il l'a écrit, le casting a en moyenne 21 ans), le film a avant tout fonctionné par le bouche-à-oreille. Il est aujourd'hui considéré comme un des meilleurs films de lycée (classé numéro 2 sur la liste des 50 meilleurs High-school Movies d'Entertainment Weekly), il est aussi régulièrement classé parmi les films les plus drôles de l'histoire du cinéma (il est notamment dans le Top 100 réalisé par l'American Film Institute)?
On ne va pas se mentir, cependant : la vraie raison pour voir ce film est totalement rétrospective et s'appelle Sean Penn. Le casting, composé à l'époque d'inconnus, est l'occasion de voir les premières apparitions à l'écran de Nicolas Coppola (sic), Jennifer Jason Leigh, Eric Stoltz, Forest Whitaker, mais vraiment Sean Penn. Comment dire ?
Awesome! extrait de Ça chauffe au lycée Ridgemont
Sean Penn en Spicoli est dans un de ses meilleurs rôles, un surfer « défoncé depuis le CM1 », complètement en paix avec lui-même, Vans aux pieds, cheveux blonds décolorés. Le voir ainsi à la lumière de ses Oscars, de ses rôles sulfureux et sombres, de ses accès de rage, de ses liaisons tumultueuses et de ses engagements politiques est absolument jouissif.
Jeff Spicoli était censé n'être qu'un rôle assez secondaire. Il n'est pas vraiment inclus dans les intrigues qui construisent le film (en l'occurrence, les parcours respectifs de Jennifer Jason Leigh et de son frère), ses apparitions sont surtout vouées à détendre l'atmosphère et à faire rire la galerie, à la faveur des nombreuses improvisations de Penn. Pourtant, au milieu de ces portraits adolescents désespérément réalistes, son rôle est vraiment le personnage cinématographique du film, pourvoyeur de running gags relatifs à sa décontraction et à son intoxication à la marijuana.
Spicoli extrait de Ça chauffe au lycée Ridgemont
Rappelons que Sean Penn était très method à l'époque - le tournage de ce film devait être bigrement détendu, si vous voulez mon avis. Spicoli rythme et traverse le film perché, enchaînant les affronts à l'autorité : il vient en cours en retard et en maillot de bain, il détruit la bagnole de l'armoire à glace du lycée, il se commande une pizza en cours et j'en passe. Il ne semble pas partager les problèmes de ses camarades : il ne va pas en cours, il ne travaille et ses projets de vie sont relativement simples et sans problèmes - « Tout ce dont j'ai besoin: des bonnes vagues, un bon joint, et tout va bien » (« All I need are some tasty waves, a cool buzz, and I'm fine »). Spicoli est l'ingrédient qui manquait à ce décor californien. C'est un peu un Ferris Bueller avant l'heure, l'adolescent hédoniste, quelque chose d'impossible en soi (tous les adolescents sont bourrés d'angoisses, c'est un fait), mais dont l'existence quelque part sur une pellicule suffit à rasséréner l'ensemble d'une génération. Lors des crédits finaux, on nous annonce que Spicoli a sauvé Brooke Shields de la noyade, et qu'avec l'argent de la récompense, il a embauché Van Halen pour sa soirée d'anniversaire. Cet homme devrait être notre gourou à tous. Au final, c'est lui que l'on retiendra essentiellement, à tel point que lorsqu'une série est tirée du film dans les années 80, ce personnage de Spicoli en devient le héros (même si Sean Penn l'a depuis déserté).
Pour finir, je resterai sur cette maxime de vie qui prouve, s'il en était besoin, à quel point la perception du monde par Cameron Crowe est juste : « quand il s'agit d'emballer une fille, si possible, mets la face A de Led Zeppelin IV » (« When it comes down to making out, whenever possible put on side one of Led Zeppelin IV. ») - le gredin installe Stairway to Heaven comme aimant à filles.
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Cinepharyngite13 août 2012 Voir la discussion...
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cineflo22 novembre 2013 Voir la discussion...