Abraham Lincoln, chasseur de vampires : le président US, un bon héros de cinéma ?
Abraham Lincoln, chasseur de vampires ? Pour ceux qui ne connaitraient pas le roman de Seth Grahame-Smith, best-seller mondial depuis sa sortie en 2010, le titre du film de Timur Bekmambetov sonne comme un énorme WTF. Pourquoi pas Napoléon Exorciste, ou Fidel Castro, zombies nazis killer ?
Les Américains donnent une nouvelle fois l'impression de repousser les limites de la connerie, mais le cinéma hollywoodien a préparé le terrain depuis des années pour ce genre de loufoqueries. Car, qu'ils soient de vrais héros ou de beaux salauds, le ciné US a toujours réservé un statut hors-norme à ses personnages de présidents. Et avec Abraham Lincoln, chasseur de vampires, cerise sur le gâteau, c'est un réalisateur russe qui se joue des codes du patriotisme américain... pour notre plus grand plaisir ?
Contrairement à bon nombre de blockbusters mettant en scène des présidents yankees en authentiques hommes d'action, Abraham Lincoln ne doit surtout pas être pris au premier degré. La dimension patriotique de ce genre de films est tournée en dérision : ce Lincoln-là ressemble plus à un super-héros qu'à un ancien combattant du Viêt-Nam. Il manie la hâche comme Thor fait tourner son marteau, et rivalise d'agilité pour botter les fesses de créatures fantastiques et légendaires.
Porté par une 3D plutôt efficace, le style visuel du film contribue à faire de ce personnage historique un héros quasi-surnaturel. Lincoln a un petit air de Hugh Jackman dans Van Helsing, aussi improbable que ses ennemis, et parfois aussi peu crédible... Il se situe dans la droite ligne des présidents ?héroïsés?, tout en jouant avec les codes établis du film de vampire.
Les présidents-héros : sauveurs de l'humanité
Le président Whitemore, d'Independance Day, représente à merveille ces présidents américains de cinéma tels qu'on les connait, prêts à tout pour sauver leur patrie (voire carrément la planète). Un président capable de prendre les commandes d'un avion de chasse pour aller dézinguer des aliens aux côtés de ses compatriotes américains, le jour de la fête nationale (tant qu'à faire).
L'image d'un chef d'Etat qui n'aurait rien à envier à un Schwarzy en colère est également le concept moteur d'Air Force One, de Wolfgang Petersen. Souvenez-vous, le président James Marshall (Harrison Ford, mi-Indiana Jones, mi-Han Solo) sauve sa famille tout seul, fait la peau des terroristes tout seul, et rentre fièrement au pays droit dans ses bottes.
Président contre terroriste, extrait de Air Force One
Dans ces deux films d'action cultes, les présidents étaient déjà de parfaits héros de fiction, des personnages romancés. En revanche, Lincoln (en attendant le biopic certainement plus académique de Spielberg) est le premier président réel à qui le cinéma confère un statut d'action-man dans un film fantastique. En espérant que le pauvre Abraham ne se retourne pas dans sa tombe...
Les présidents ?bad boy? : armes fatales de la satire politique
Même lorsque les présidents américains ont le mauvais rôle, ils sont encore au-dessus du lot. Dans Les Pleins pouvoirs, film engagé et très sérieux sur les travers de la démocratie US, Clint Eastwood dénonce la toute puissance et le statut du président. Il met en scène Gene Hackman dans le rôle d'un beau salaud, et pose la question du statut intouchable de la fonction présidentielle. C'est un film politique, plutôt réaliste, à cent lieues de l'image du président héroïque et intègre.
Même noirceur, mais beaucoup plus délirante, dans Mars Attacks ! Même si le président James Dale (Jack Nicholson), se rattrape un peu à la fin du film en improvisant un discours politicien à souhait, il se révèle incapable de prendre une décision ou même d'écouter le bon conseiller durant tout le film. A la différence de Bill Pullman dans Independance Day, il fuit derrière ses gardes du corps, et apparait même dans un certain nombre de postures pour le moins désavantageuses, notamment en pyjama, couvert de sang extra-terrestre.
Un discours émouvant, extrait de Mars Attacks!
En jouant clairement sur le registre de la comédie bouffonne, Burton arrose au vitriol les postures guerrières des présidents successifs, leaders arrogants et agressifs d'une Amérique soit-disant toute puissante.
Les présidents historiques : postiche academy
Un peu moins amusants, les biopics sur d'anciens présidents sont également légion. Citons JFK, axé sur l'assassinat de Kennedy, Nixon, Frost-Nixon ou encore Les Hommes du président autour de l'affaire du Watergate. Dans ces films, c'est une partie de l'Histoire américaine avec un grand H qui est explorée, et la puissance des événements, liée au statut du protagoniste principal est souvent retranscrite avec le plus de réalisme possible.
Dans Abraham Lincoln, chasseur de vampires, ce n'est évidemment pas le réalisme qui prime, mais il aurait pu en être autrement. En effet, le roman original de Seth Grahame-Smith est réputé extrêmement fidèle aux événements de la guerre de Sécession, rendant ainsi les éléments de fiction d'autant plus crédibles. Mais dans le film de Timur Bekmambetov, les détails historiques passent au second plan. La précision du livre est jetée aux orties réduisant la guerre à un vague décor permettant d'articuler la lutte personnelle du président et son dévouement à la nation.
Abraham Lincoln, chasseur de vampires et sa dégaine de film d'action gothique et outrancier se rapproche de la fable politique satirique à la Mars Attacks !, en jouant avec le cliché du président américain héroïque. Du reste, est-ce un hasard si l'on retrouve Tim Burton à la production du film ? Mais Bekmambetov ne verse dans la satire qu'à petites doses et préfère s'amuser comme un gosse en transformant Lincoln en machine à découper du vampire. Le film perd toute portée polémique un tant soit peu intelligente au profit d'un plaisir néanmoins très communicatif.
Et comme les films à grand spectacle décomplexés sont un plaisir coupable de cinéphile, on peut préférer une biographie non-officielle et tapageuse comme celle de Bekmambetov aux biopics poussiéreux et académiques qui ne manqueront pas de lui succéder. D'autant plus que les leçons d'Histoire pour les nuls en 2 heures sont légions sur nos écrans depuis quelques temps. Au moins, ce genre de blockbusters foutraques, remplis de vampires assoiffés décimés par un type portant le chapeau haut de forme avec une certaine classe, ça ne court pas les salles.
Images : © Twentieth Century Fox France