Parodie ou minimalisme : le triomphe des affiches de films détournées
Après une approche historique de l'affiche de cinéma, intéressons-nous au phénomène très actuel de son détournement. Nous prendrons ici le terme "détournement" au sens large pour évoquer aussi bien l'affiche minimaliste ou mondo, que la tendance rétro et la parodie.
En marge de la production professionnelle d'affiches de cinéma, un courant d'affichistes amateurs s'est développé au fil des années. Le phénomène a d'ailleurs pris beaucoup d'ampleur avec l'émergence du web puis des réseaux sociaux qui permettent à ces graphistes passionnés de partager leur travail. L'affiche est un objet incontournable de la pop culture et sa place dans l'imaginaire collectif est donc propice au détournement.
Le détournement de l'affiche
Lorsque Nathanaël Mikles (voir ses oeuvres) nous reçoit dans son atelier d'artistes, rue Keller à Paris, le décor est tout de suite posé. Musique sympa, café et chocolats, feuilles de dessin, esquisses, tout dans l'atelier nous donne envie de rester pour une durée indéterminée. Nathanaël est un dessinateur indépendant, membre actif du collectif Ensaders à Paris, et semble prendre à coeur cette rencontre. C'est une occasion pour lui de partager avec nous. Comme il nous l'explique, tout ce qui compose sa démarche artistique tient à la sensibilité, il travaille lui-même pour des ateliers d'art pour les enfants à ses heures perdues. On le sent, pour cet artiste complet, tout cela ne tient qu'à l'affect. Il s'adonne par ailleurs à des activités variées, de FluideG aux dessins d'actualité pour la presse, en passant, bien sûr, par ses travaux faits pour le plaisir (différentes expositions sont organisées pour Ensaders) et n'hésitez surtout pas à aller sur leur blog).
Le travail de Nathanaël c'est donc comme il le dit lui-même "une démarche personnelle". Dans ses influences : le cinéma d'horreur, le cinéma de genre, Mad Movies, l'esthétique des choses improbables, l'existence folle de ce qui ne devrait pas exister mais surtout : Godzilla. Quand on interroge le jeune homme sur son envie de bosser pour le cinéma, la réponse est tout de suite très enthousiaste, mais aussi un peu idéaliste : «Dans la rue je préfère avoir une belle image qu'une image qui serve à avoir de l'impact.». Comme beaucoup d'artistes de sa génération, il prône un art décomplexé et populaire. Son amour pour les affiches va si loin qu'il a même écrit un mémoire sur le style et les affiches psychédéliques il y a cinq ans. Pour lui, la seule limite est l'imagination.
Le mouvement minimaliste : Less is more
Un des phénomènes les plus importants de la sous-culture internet reste celui des affiches minimalistes. L'affiche teasing du Nymphomaniac de Lars Von Trier a donné un nouvel exemple de cette influence minimaliste (née avec Saul Bass) même chez les professionnels :
Deux des stars de l'affiche minimaliste ont accepté de répondre à nos questions. Tout d'abord Ibraheem Youssef, le créateur de nombreux posters qui ont fait sensation sur Internet. Les plus grands films sont passés sur son Photoshop : Akira, Reservoir Dogs, Jackie Brown, Scarface... L'artiste d'origine égyptienne vit au Canada et nous a décrit son obsession pour les couleurs, les formes et la volonté de passer tout cela dans une «communication visuelle intelligente». Son travail a pu se retrouver dans des magazines comme The Guardian ou même Empire Magazine.
«Malheureusement, l'affiche a un but beaucoup plus commercial de nos jours. C'est pour cela que je fais ce que je fais, mes affiches sont pour les gens qui ont déjà vu le film. Je n'essaye pas de les « vendre », de les promouvoir, il s'agit plus simplement d'une récompense pour avoir vu le film.» déclare-t-il .
Selon Ibraheem Youssef : « L'idée de revenir aux sources et de simplifier tout cela est très tentante, c'est pour ça que beaucoup de gens s'y retrouvent. Quoi qu'il en soit, le côté négatif c'est que beaucoup de gens se sont mis au minimalisme par paresse en supposant que c'était un art facile. Mais il n'y a pas toujours d'idée véritable ou de concept derrière leurs productions. Je pense qu'à cause de cela, nous arrivons aujourd'hui à une forme de minimalisme qui va vers le maximalisme. Ce qui au premier coup d'oeil semble simple est caché sous plusieurs couches complexes, c'est dans ces conditions que le savoir-faire est indispensable. »
Rowan Stocks-Moore le rejoint en argumentant à son tour sur la dérive aisée d'un art que l'on pourrait faire rimer avec facilité. Le designer vit à Liverpool, et vous avez certainement déjà vu ses affiches minimalistes Disney qui ont fait le tour des réseaux sociaux.
«J'ai toujours aimé le minimalisme et sa capacité à raconter une histoire en n'utilisant rien d'autre que les éléments utiles. Saul Bass était un dessinateur et je suis devenu un grand admirateur de son travail dès que je suis entrée dans cet univers. Son influence se retrouve encore dans mon travail et celui de nombreux designers aujourd'hui. Il a popularisé le minimalisme avec son travail sur des films comme Vertigo ou The Man With The Golden Arm. Je le vois comme le père de l'affiche de film minimaliste.»
Et en effet, tant Ibraheem Youssef que d'autres citent Bass comme référence. Le papa du minimalisme donc, est l'auteur de nombreuses affiches ainsi que d'une quantité impressionnante de générique de films, vous n'oublierez certainement pas celui de West Side Story de si tôt :
L'autre point commun entre ces jeunes artistes : leur amour pour les films sur lesquels ils travaillent. Rowan nous explique qu'il pense que «Les affiches de films n'ont qu'un but publicitaire et commercial. L'affiche doit attirer l'attention, et inclure les noms et les visages des acteurs du film, ou du réalisateur bien connu, en conséquence, il ne reste plus beaucoup de place pour la créativité. Aussi, les studios ont tendance à sous-estimer l'intellect de leurs spectateurs, et croient que n'importe quel poster un peu trop artistique sera ignoré par un public lambda.»
La place de l'artiste
Quelle que soit l'originalité d'un film, la créativité est souvent hors propos quand il s'agit de son affiche. Cette dernière est réduite ici à un simple but informatif : donner les informations nécessaires pour faire venir le spectateur dans les salles. Cela passe donc par les noms des acteurs (en gros caractère s'ils sont connus, illisibles si méconnus), du réalisateur, les éventuels prix reçus, et parfois des adjectifs flatteurs picorés dans les critiques de la presse. L'aspect visuel de l'affiche perd donc de sa superbe et est aujourd'hui soumis à un certain formatage. Résultat : toutes les affiches finissent par se ressembler. Ces ressemblances, le distributeur Christophe Courtois (SND) s'amuse à les répertorier :
Et si le salut venait du web ? Dernièrement, Quentin Tarantino a demandé à ses producteurs d'acheter le design d'un internaute italien qui avait imaginé une affiche fictive de Django Unchained pour l'utiliser dans l'affiche teaser. Rian Johnson n'a quant à lui pas hésité à demander à son cousin, artiste peintre, de créer une affiche pour Looper qui fut ensuite révélée sur la toile. Quand les affiches sont belles, décalées et/ou originales elles sont donc vues sur le web plus que sur les colonnes Morris.
La télévision a par ailleurs déjà utilisé à son avantage cette interactivité artistique avec les internautes. AMC a ainsi mis en place un Tumblr regroupant différents fan arts de la série Breaking Bad. Dans le même esprit, les distributeurs français de Spring Breakers avaient demandé à quelques artistes de réaliser des affiches alternatives. Autre exemple, les Oscars ont demandé à de jeunes artistes de créer des affiches pour les films nommés dans la catégorie Meilleur film. L'affiche artistique - et parfois minimaliste est en vogue, et certains ont bien senti le filon.
A voir sur le web...
Mondo Posters
Olly Moss
Rowan Stocks-Moore
Design Belle Lurette, afiches minimalistes
Peter Sults
L'art et l'argent...