L'art délicat de l'affiche de cinéma
Dès le début des années 20, l'affiche de cinéma prend une importance toute singulière. Cette dernière est le premier biais publicitaire du film dont elle fait la promotion, ce sera seulement dans les années 50 que la photographie ajoutera son grain de sel. Retour sur une histoire du cinéma illustrative.
En France, une grande collection d'affiches se trouve à la Cinémathèque Française (plus de 30 000), mais elles sont aujourd'hui essentiellement conservées à la Bibliothèque du Film, ainsi qu'au service des Archives du film. Tout d'abord créée pour l'exploitation financière, l'affiche de cinéma deviendra progressivement un art au sens noble du terme (le sont-elles encore aujourd'hui ? c'est une question à laquelle nous tenterons de répondre). Des années 40 aux années 70, on ne compte pas les affiches qui ressemblent -et sont parfois, de réelles oeuvres d'art.
Il n'y a pas besoin de travailler dans le monde du cinéma ou d'être journaliste spécialisé pour réaliser à quel point l'utilisation et le format de diffusion des affiches de cinéma ont changé depuis les balbutiements du septième art. Au cours de trois dossiers sur l'affiche de cinéma et son évolution, nous tenterons de mettre en lumière toutes les métamorphoses que ces dernières ont subies.
Par nos différentes rencontres avec les spécialistes du sujet, mais aussi grâce à de nombreuses recherches, nous avons pu découvrir beaucoup de choses sur cette fameuse affiche, que l'on voit partout, tout le temps, de sa naissance à son heure de gloire jusqu'à sa chute et sa possible renaissance.
Il était une fois
Au fil des années, l'art de l'affiche a progressivement disparu. Bien sûr, elles restent un outil de promotion indispensable pour les films. Cependant, leur production est devenue complètement formatée et industrielle. L'originalité se fait rare, l'affiche de cinéma ressemble dans le fond à son support, elle est produite en quantité industrielle jusqu'à en perdre sa singularité. Toutefois, ne soyons pas alarmistes. Il ne faut certainement pas s'arrêter à l'aspect négatif de cette évolution (et il est important de souligner qu'avant aussi, la composition d'une affiche obéissait à certains codes), il y a, parmi toute cette masse d'images préfabriquées, quelques exceptions. La génération photoshop n'est donc pas complètement perdue.
L'affiche de cinéma est indissociable du film qu'elle promeut. Elle marque les esprits et forge l'empreinte visuelle qu'on lui associe. Son format original est de 120 x 160 (en référence à l'affiche du cinématographe des frères Lumières datant de 1896). Née en même temps que le cinéma, elle en est un des piliers publicitaires (et il s'agit certainement de son aspect principal, à 85%). Cet art devenu indépendant, était exploité par des sociétés comme Gaumont et Pathé aux débuts du septième art, qui éditaient eux-mêmes leurs propres affiches en faisant appels à de véritables artistes ou à des ateliers de création. A partir des années 90, l'affichiste est devenu obsolète. On passe de la lithographie à l'offset (qui permet la production de masse et de qualité pour un revenu raisonnable) et on imagine tous ces artistes maudits, tristement installés devant leurs toiles, le pinceau accablé et fatigué. De nos jours, les hommes derrières les affiches sont en réalité les distributeurs. Au fil des années, l'affiche de cinéma, et donc la profession qui la produit, perdront leur indépendance.
C'est après la Seconde Guerre Mondiale que le mouvement de modernisation survient véritablement. Dans les années 60, le photomontage prend le dessus sur les anciens procédés. Pourtant, on fait tout de même travailler les artistes, chaque pays produit sa propre affiche par film et la génération VHS aura son heure de gloire (on peut déjà mentionner Laurent Melki, à qui on doit les affiches de Freddy, La Baie Sanglante ou même Videodrome). Progressivement, l'affichiste devient donc maquettiste. Ce passage d'un support à un autre, avec pour étendard le cinéma comme art populaire, contaminera finalement l'affiche, premier vecteur d'information au public. On la veut directe, compréhensible et simple. René Ferracci parlait de diktat du "Canigou publicitaire". Jadis, l'affiche faisait appel aux mouvements artistiques dans son processus du création, aujourd'hui nous sommes entrés dans un gouffre créatif presque total.
Pourtant, quand bien même on donne à l'affiche d'autrefois une qualité artistique supérieure à celle d'aujourd'hui (non pas par ses moyens de fabrication mais par sa variété et sa recherche), l'auteur n'en était pas forcément reconnu. L'anonymat était aussi de mise, et ce n'est qu'à la sortie de la guerre que l'on vit apparaître une section consacrée au cinéma au sein du Syndicat des affichistes publicitaires. Vous retrouverez l'historique complet de l'affiche française sur le site de la Bibliothèque du film.
Voici quelques noms importants de l'histoire de l'affiche de cinéma :
- Roger Soubie (1898-1984) : Ben Hur de William Wyler, Lolita de Stanley Kubrick, Le carrefour de la mort de Henry Hathaway, La corde d'Alfred Hitchcock, Autant en emporte le vent de Victor Fleming...
- Boris Bilinsky (1900-1948) : Metropolis de Fritz Lang, La Proie du vent de René Clair, La passion de Jeanne d'Arc de Carl-Theodor Dreyer...
- Constantin Belinsky (1904-1999) : La Fiancée de Frankenstein de James Whale, Scarface de Howard Hawks, La Dame de Shanghai d'Orson Welles...
- Boris Grinsson (1907-2000) : Hiroshima mon amour d'Alain Resnais, Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, Rebecca d'Alfred Hitchcock...
- Jean-Denis Malclès (1912-2002) : Le Belle et la Bête de Jean Cocteau, Juliette ou la clef des songes de Marcel Carné, Clérambard de Yves Robert...
- Saul Bass (1920-1996) : Vertigo d'Alfred Hitchcock, Shining de Stanley Kubrick... Il est aussi le créateur de nombreux génériques comme ceux de La Mort aux trousses, Psychose, Les Affranchis, West Side Story...
- Jean Mascii (1926-2003) : Napoléon de Sacha Guitry, 20000 lieues sous les mers de Richard Fleischer, Spartacus de Stanley Kubrick...
- René Ferracci (1927-1982) : Belle du jour de Luis Buñuel, La mariée était en noir de François Truffaut...
- Frank Frazetta (1928-2010) : Le Bal des vampires de Roman Polanski, Quoi de neuf, Pussycat ? de Clive Donner...
- Michel Landi (né en 1932) : Bullitt de Peter Yates, Duel de Steven Spielberg...
- Drew Struzan (né en 1947) : The Thing de John Carpenter, Rambo de Ted Kotcheff, Blade Runner de Ridley Scott, Star Wars, épisode VI : Le Retour du Jedi de George Lucas...
- Laurent Melki (né en 1960) : La nuit des morts-vivants de George Romero, La baie sanglante de Mario Bava...
La question de l'appauvrissement de notre époque, culturellement, est omniprésente. On évoque souvent cette "mise au pas des images par l'industrie culturelle du cinéma" (Serge Cardinal) qui est essentielle pour l'histoire de l'affiche.
Analyse d'une affiche de cinéma
(Le Belle et la Bête de Jean Cocteau, 1946)
Quand on parle d'artistes complets, un nom peut facilement venir à l'esprit. Jean Cocteau est connu pour son oeuvre littéraire mais aussi pour son travail et sa contribution inestimable au monde du cinéma. Pourtant, jamais limité par des cases et des catégories, on connait aussi son talent de graphiste, de dramaturge, de rêveur, ou même de dessinateur (certaines de ses oeuvres étaient exposées à la Maison Rouge dans le cadre de l'exposition "Sous influences , arts plastiques et psychotropes" qui avait lieu jusqu'au 19 mai 2013). Le poète du cinéma et de l'esprit, toujours en avance sur son temps, est le réalisateur de nombreux films aux doux airs de chef-d'oeuvres : Le Sang d'un Poète, Les Parents terribles, Orphée et son Testament mais aussi (et surtout) sa version de La Belle et la Bête en 1946. Si le film démontre à lui seul le génie de Cocteau, on doit son univers visuel au scénographe Christian Bérard. Pourtant, encore aujourd'hui, c'est une autre empreinte graphique que l'ancienne comme la nouvelle génération garde en tête : les deux sublimes affiches de Jean-Denis Malclès.
La deuxième affiche sera celle de notre étude. L'adaptation du conte de Madame Le Prince de Beaumont est une idée de Jean Marais. Lorsqu'il l'a proposée à Jean Cocteau, celui-ci fut tout de suite très enthousiaste. La beauté étrange qui respire tout au long du film rappelle les gravures de Gustave Doré (une référence complètement assumée). Des éléments issus d'un monde parfaitement onirique, comme les bras qui tiennent les chandeliers, les cariatides aux yeux mobiles, ou même la fumée qui se propage dans l'air, qui rappellent un Surréalisme digne d'André Breton. D'ailleurs, dans L'Amour Fou, ce dernier écrivait qu'il n'y avait que "dans les contes qu'il est impossible au doute de s'insinuer", et cela, Monsieur Cocteau nous le confirme. Tout fait sens.
L'affiche de Jean-Denis Malclès reflète parfaitement ces volutes de bizarreries naturelles qui parcourent le film. Malgré sa couleur (que le film n'a pas), le noir vient engloutir les personnages et les confondre avec le reste du décor. Le choix de ne pas représenter des acteurs comme Josette Day (1) et Jean Marais (3) de façon plus frontale est assez osé pour l'époque (certainement impensable aujourd'hui). La Belle est représentée en position de soumission par rapport à la Bête, ses yeux fermés ne la voient pas. Elle semble sans corps et endormie, comme en attente. La Bête, elle, est dans l'ombre, tout comme dans le film. Telle une créature apeurée, elle se terre. Ses yeux regardent au loin. Lui non plus ne voit pas la Belle. On note plus particulièrement son talisman enchanté (3) pendu à son cou. Il fait presque le lien avec la Belle grâce à la construction pyramidale de l'affiche qui fait converger notre regard sur cette Bête bien peu terrifiante. Une main (4) sortant de la table vient rappeler le film et cette imagerie si singulière. On jongle ici avec les symboles comme on jonglerait avec des mots. Même la colorimétrie rappelle le côté troublant du conte (jaune, vert, rouge, noir). En haut, sur la gauche, on peut voir la signature emblématique de Jean Cocteau (5). Un choix qu'on ne peut estimer comme hasardeux, l'artiste signe littéralement son oeuvre. Enfin, en bas de l'affiche on peut voir le casting, l'équipe technique. Mais surtout, on peut relever le choix de cette formule : "d'après le conte de Madame Le Prince de Beaumont illustré par Christian Bérard". Ce film est au-delà de son format, c'est une oeuvre visuelle mouvante illustrant une oeuvre littéraire.
Publicité et cinéma, liaison passionnelle
La genèse du cinéma publicitaire apparaît presque simultanément à l'invention du cinématographe. En 1897, deux ans après les premières projections de leurs oeuvres au Grand café de Paris, parmi lesquelles Le Jardinier, La Voltige et la Pêche aux poissons rouges, Louis et Auguste Lumière réalisent le tout premier film publicitaire pour la marque de savon Sunlight. Une courte vidéo au doux charme d'antan :
Les laveuses - Première publicité - 1897 Sunlight par muzyke
De cette première collaboration naît une relation fructueuse, qui contribue grandement à la promotion de l'art cinématographique auprès du grand public. Le "rideau-réclame", simple toile aux cases peintes, vante les mérites des artisans locaux et investit les écrans des salles obscures dès les années 20. Aussi les marques se mettent à financer des publicités filmées autour de leurs produits phares ou de leurs usines, des courts se voulant digne du spectacle offert par les longs-métrages qu'elles accompagnent. A cet effet, elles portent la signature de leur réalisateur et s'entourent de figures reconnues du 7ème art. Les exemples sont légions et de toutes époques : Romy Schneider et Michèle Morgan pour le savon Lux, Louis de Funès et la brillantine Cadoricin, le trio Wes Anderson-Roman Coppola-Léa Seydoux pour le parfum Prada Candy, et même George Méliès et la moutarde Bornibus !
On peut considérer le "star system" comme l'entre deux mondes de ces deux disciplines, un espace où l'acteur, l'artiste, se mue en valeur marchande au regard de l'industrie du cinéma. La dénomination est associée au producteur indépendant Carl Laemmle, qui dès 1911, prit des chemins détournés pour s'affranchir du contrôle strict opéré par le paternas Thomas Edison. Pour promouvoir l'un de ses films, le bonhomme eut par exemple l'audacieuse idée de lancer la rumeur selon laquelle l'actrice Florence Lawrence, sa tête d'affiche, serait morte dans un accident de voiture à New York. Repris par les médias locaux, la nouvelle assura au film un succès retentissant. Hollywood, jusque là plus enclin à masquer le nom des interprètes, comprit alors l'intérêt d'entretenir l'image de ses grandes vedettes et la circulation d'informations autour de leurs personnes. La star devient garantie d'exploitation.
L'affiche au cinéma et l'affiche publicitaire entretiennent alors un but commun : véhiculer un message limpide et précis autour de la « star » (produit ou personne) capable de s'imprimer sur les rétines du spectateur d'un seul coup d'oeil. Des couleurs vives et chatoyantes à la typographie tapageuse, sans omettre la théâtralisation et la représentation scénique, les codes du graphisme de l'affiche sont les mêmes, qu'importe son domaine.
On reconnaîtra à ce titre l'importance de la figure emblématique de la pin-up dans l'imaginaire collectif. Héroïne photographique aux courbes divines, la gente demoiselle est baptisée pin-up girl en 1941, la fille punaisée. Dessinée sur les affiches, paquets de cigarettes, en unes des magazines ou peintes sur les carlingues des avions, elle décline son pouvoir de séduction sur tous les supports. Son ambiguïté lui permet d'accrocher tous les coeurs de cible ; elle offre une image moderne de la femme à laquelle ces dames s'identifient et devient le fantasme des hommes. Si les publicités et les marques comme Coca-Cola, Lucky Strike et d'autres en raffolent, le cinéma n'échappe pas au phénomène. Elles s'appellent Marilyn Monroe, Betty Grable, Jessica Rabbits (Qui veut la peau de Roger Rabbit ?) ou Rita Hayworth et bientôt, elles grignotent l'espace des affiches de leur touche érotique... et sacralisent l'étroit lien entre publicité et cinéma.
Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-il aujourd'hui de cet art graphique tombé dans les limbes ? Son design, ses codes graphiques, culturels et intellectuels témoignent de l'évolution du 7ème Art tout comme du spectateur lui-même. L'affiche n'est plus une image fixe produite sur du papier, placardée à l'entrée des salles de cinéma. C'est une créature protéiforme, brassant une multitude de support image, son, vidéo. L'ère est au numérique et à l'uniformisation.
Exit les dessinateurs freelance au pinceau inspiré, les studios pratiquent aujourd'hui l'art du pixel au sein de leurs propres pôles créatifs, pour un rendu bien trop souvent dénué de poésie et de supplément d'âme. La résurrection de l'affiche artistique, au sens noble du terme, surgit-elle alors des abysses de la toile, où des illustres inconnus concourent ensemble à l'émergence d'une sous-culture ?
Jean-Michel Folon et la cultissime affiche de Stalker, celle de La rose pourpre du Caire, September, et plus ici: http://www.vodkaster...ms/Jean-Michel-Folon.
Il y a aussi Jean Colin (un peu oublié j'ai l'impression) qui a vraiment fait des affiches magnifiques (je trouve)! http://www.vodkaster...-de-films/Jean-Colin
Clément Hurel était également important: A bout de souffle, Il était une fois en Amérique, Le bal des vampires ...
Merci
Attention dans le paragraphe sur l'eaffiche de "La belle et la bête", dans le texte, la mention (3) devrait correspondre à la bête / Jean Marais et non à Jean Cocteau
Toujours concernant cette affiche :
au-delà de sa "position de soumission", j'aurais également souligné sa pose sensuelle et lumineuse par rapport au reste de l'affiche... car c'est le sujet du film : la belle n'a pas peur de la bête, au contraire, elle la bouscule avec sa fraicheur, sa lumière et sa sensualité
...
http://www.vodkaster...-affiches-m-as-tu-vu de @Taochess
http://www.vodkaster.../Affiches-similaires par @viadd
http://www.vodkaster.../ROUGE-NOIR-ET-BLANC
http://www.vodkaster.com/Listes-de-films/ORANGE
http://www.vodkaster...e-films/PLEINE-LUNE2
http://www.vodkaster...s/NE-TE-RETOURNE-PAS
http://www.vodkaster.../Lettres-et-le-neant par @huitetdemi
http://www.vodkaster...-aux-lunettes-noires par @huitedemi
@Naginie Le graphiste français d'aujourd'hui souffre d’un statut exécutant ou d’infographiste. Et ce n'est pas qu'il soit incompétent dans sa création, mais la relation clientèle et les conditions de travail sont devenues assez délicates.
Alors qu'ailleurs (la Hollande par exemple) les rues vivent d’affiches incroyables. Il n’y a pas si longtemps (4 ans) la communication du Festival de Cannes avait de quoi faire pleurer les bons graphistes, avant que le studio H5 lutte de toute leur force pour nous offrir une vraie affiche à la mesure du Festival. Et c’était très loin d’être gagné.
Ainsi les français non plus la culture de l’affiche de celle d’antan … (celle du livre reste quasi intact).
Le plus drôle c’est que le Festival International de l’Affiche et du Graphisme a lieu en France (à Chaumont). Et je viens de me rendre compte de n’avoir jamais croisé une affiche de film au festival…