After Earth : N'enterrons pas trop vite M. Night Shyamalan
La hate est-elle proportionnelle à la hype ? M. Night Shyamalan est-il aujourd'hui détesté, surtout aux Etats-Unis, et surtout par la presse américaine, au prorata de l'enthousiasme qu'il provoqua en 2000 grâce à Sixième sens et Incassable ? Depuis La Jeune fille de l'eau (2006), le réalisateur semble payer pour avoir «trahi» nombre de ses adorateurs. Comme si, a posteriori, ils se sentaient coupables d'avoir tant aimé ses premiers films. L'accueil glacial réservé à After Earth, son nouveau film en salles ce 5 juin, descendu en flèche par la critique et déjà boudé par le public américain, semble le confirmer : Shyamalan est devenu le bouc émissaire d'Hollywood.C'est l'occasion de revenir sur cet acharnement critique, accessoirement d'arguer que celui-ci est injuste et de voir dans quelle mesure Shyamalan a trouvé la meilleure personne pour se défendre : lui-même.
Il y a une dizaine d'années, Newsweek consacrait sa couverture à M. Night Shyamalan : on pouvait y lire «Le prochain Spielberg», en toutes lettres, en gras, sans même un point d'interrogation. Depuis plusieurs années, et de nouveau avec la sortie d'After Earth, la presse américaine ne peut s'empêcher d'y faire référence. Pour Richard Roeper du Chicago Sun-Times, par exemple, le film est «un thriller de SF involontairement drôle, réalisé sans imagination par le réalisateur jadis considéré comme le nouveau Spielberg». Il est amusant de remarquer que plus le rejet est fort, plus l'engouement pour ses premiers succès s'affiche avec excès. Cette petite mécanique sert de parade pour les critiques accusés de s'acharner aveuglément sur son cas. Avant de sortir les armes, ils rappellent leur affection pour ses premiers films et le tour est joué. C'est un peu facile. Une récente vidéo de Screen Junkies (émission web responsable des «Honest Trailers») fonctionne sur ce principe. Les trois chroniqueurs s'amusent à élire à tour de rôle le «pire film de Shyamalan» : pour ce faire, ils les passent en revue chronologiquement et se montrent de plus en plus sévère. Du "chef d'oeuvre" Sixième sens jusqu'au "nanar" Le Dernier maître de l'air (2010).
Sous-pire
Cette vidéo de Screen Junkies met parfaitement en relief une autre constante du «Shyamalan bashing» : toujours préciser que le dernier-né est encore plus mauvais que le précédent. L'exemple le plus parlant jusqu'alors était la fameuse courbe de RottenTomatoes.com, chute sans fin de l'appréciation de ses films, calculée à partir d'un système de notes binaire attribuée par un panel de critiques américains. Une dévaluation programmée qui pose un problème fondamental. Ses détracteurs les plus farouches vont commencer à s'en émouvoir avec la sortie d'After Earth : comment faire encore plus bas, quand on est déjà au plus bas ? Il fallait y penser avant. Si les journalistes américains avaient pour ambition de continuer à rabaisser Shyamalan le plus longtemps possible, ils auraient dû nuancer leurs propos plus longtemps. Seulement, dès La jeune fille de l'eau (2006), la presse est déjà d'une violence inouïe à son égard. Dans Time Out, Trevor Johnson se fait prophète : «Le film n'est pas seulement crétin, il est alarmant pour la suite de sa carrière» annonce-t-il. M. Night Shyamalan l'a bien cherché pourraient répondre Johnson et ses camarades : le réalisateur les ayant ouvertement taquiné quand il écrit le personnage de M. Farber (Bob Balaban), un critique de cinéma sans coeur, finalement dévoré vivant par le monstre du film. La presse française, elle, est plus partagée. Si certains parlent de «tout à l'égo», d'autres le défendent plus que jamais. Pour les Cahiers du Cinéma, La jeune fille de l'eau est un grand film et se retrouve même dans leur Top 10 de l'année 2006. Une distinction qu'a connu Le Village deux ans plus tôt, lui aussi élu dans les dix meilleurs films de l'année par la revue, en deuxième position derrière Tropical Malady d'Apichatpong Weerasethakul. Une proximité a priori anecdotique, jusqu'en 2010 quand le réalisateur thaïlandais, tout juste lauréat de la Palme d'or pour Oncle Boonmee, déclare aux Inrockuptibles que Shyamalan est l'un de ses cinéastes contemporaines préférés.
Pour autant, la défense de son cinéma par quelques uns de ses pairs et une poignée de critiques dispersés permet-elle d'espérer un retour en grâce ? Faut-il au contraire écouter les sceptiques et ne plus rien attendre de Shyamalan, voire suivre ceux qui le méprisent déraisonnablement et tout jeter rétrospectivement, y compris ses premieres films ? Comme les plus malveillants sont souvent les plus bruyants, mieux vaut tâcher de retrouver calme et raison. A l'image de la règle de survie inculquée par Will Smith à son fils dans After Earth («Take a knee») faisons le vide et tâchons de pointer l'origine de la haine.
A qui mieux mieux
La cabale anti-Shyamalan prend parfois des allures de compétition. Récemment, dans le Metro Times, Jeff Meyers commence sa tribune en ces termes : «A-t-on connu une implosion de carrière plus satisfaisante que celle de M. Night Shyamalan ?». Avant de pondérer ses propos, non sans une certaine couardise : «Loin de moi l'idée de souhaiter la déchéance à qui que ce soit, mais le cinéaste n'a fait qu'inciter mes confrères à le faire, quand il déblatérait sur son génie, quand il massacrait un critique arrogant dans La jeune fille de l'eau, quand il s'octroyait le rôle d'un auteur capable d'apporter la Paix dans le monde». On y revient toujours : La jeune fille de l'eau, l'origine des maux. Les patrons de Disney, juste après avoir refusé de le produire en 2004, étaient les premiers à l'avoir alerté sur les conséquences qu'auraient un tel film : «Tu laisses un critique se faire attaquer ? Ils vont t'assassiner pour avoir fait ça...» Depuis, à chaque sortie, la lutte pour trouver le mot le plus dur à l'encontre de Shyamalan est devenu un sport journalistique national. Cette année, le match est serré entre quelques plumes empoisonnées : Jason Gorber de Twitch.com dit d'After Earth qu'il est «apocalyptiquement mauvais», Richard Roeper n'attend pas la fin de l'année pour en faire «l'un des pires films de 2013» et le Wall Street Journal se demande s'il ne s'agirait pas carrément du «pire film de tous les temps», (avant de répondre que «non» mais c'est sympa d'avoir posé la question). La Palme du WTF revenant au blogueur Mike McGranaghan pour avoir déclaré qu'After Earth était «l'équivalent cinématographique du clip Friday de Rebecca Black». Alors, qui dit mieux ? Personne ?
Parler dans le vide
Le plus extraordinaire parmi tout ce qui s'entend sur les films de Shyamalan - qu'il s'agisse là de critiques, de blogueurs ou de cinéphiles qui réagissent à des articles - c'est le fait que beaucoup s'expriment sans connaître son cinéma. En soi, ce n'est pas un problème : tous les critiques, ou apprentis, ne peuvent pas connaître par coeur l'oeuvre de chaque auteur. Le problème étant qu'ils le revendiquent avec fierté. La première personne a réagir à l'article de Roeper sur le site du journal le fait ainsi : «Je dois bien admettre que ses films chutent de plus de plus bas depuis La jeune fille de l'eau, qui reste le dernier que j'ai vu». Une déclaration qui n'a donc aucun sens, mais qui traduit néanmoins un sentiment général. Considérer sa filmographie comme périclitante depuis 2006 serait presque un fait acquis, une évidence, nul besoin de voir ses films pour en attester. D'ailleurs, Jason Gorber de Twitch débute son papier par un aveu comparable : «J'ai volontairement raté Signes, Le Village et La Jeune fille de l'eau, chacun ayant des notes moyennes de plus en plus faibles selon Imdb.com». Qu'il les évite s'il le souhaite, mais pourquoi ne pas être plus discret. Quel intérêt ce critique trouve-t-il à se vanter d'avoir boudé les précédents films d'un réalisateur dont il chronique, dans la même colonne, le nouveau film ? C'est une confession embrassante. Alors forcément, en comparaison, le spectateur qui aime After Earth, qui n'a rien raté de l'auteur et qui, justement, estime d'autant plus naturel de défendre son dernier film au regard de ses précédents, se retrouve immanquablement en position de force.
«On n'est jamais mieux servi...»
Car c'est seulement en convoquant l'ensemble de l'oeuvre de M. Night Shyamalan qu'After Earth prend toute son envergure. Loin de le penser, Scott Foundas dans Variety décrit l'investissement du cinéaste sur le projet comme «clairement celui d'un exécutant, au désintérêt palpable du premier au dernier plan». Il y a de quoi s'arracher les cheveux avec les dents. Le réalisateur ne dépasse pas seulement ici le simple rôle de yes man, il inscrit son dernier film dans la continuité de son travail et, plus encore, il discoure sur la place que peut avoir ce film dans son oeuvre. Le futur tel que le décrit Shyamalan dans After Earth n'est pas notre futur, c'est celui des personnages de ses films précédents. Les habitants de Nova Prime, la planète où vivent Cypher et Kitai Raige (Will et Jaden Smith) au début du film, seraient les descendants des héros de Signes (2002), du Village, de La Jeune fille de l'eau, etc. Shyamalan égrène les détails, références et auto-citations, pour étayer cette suggestion. Le babyphone de Signes, moyen primitif de communication extraterrestre, s'est transformé en un objet standardisé, ici utilisé par Kitai Raige pour une communication extraterrestre. Quant au signal capté par l'objet dans le film, il est désormais audible, décuplé, un millénaire plus tard dans After Earth, aux confins de l'espace. Même le «grand Eatlon», aigle mythique et bienfaiteur de La Jeune fille de l'eau, fait son retour dans une séquence de son dernier film, de nouveau pour sauver un adolescent en mission. Et lorsque Kitai se débarrasse d'un ennemi en le faisant chuter dans une crevasse dissimulée, comme le faisait Ivy Walker dans Le Village, s'invite l'éventualité que le garçon ait été élevé et sensibilisé aux exploits de cette autre héroïne parcourant des kilomètres, à l'aveugle, pour sauver un être cher. Sur Terre, puis sur Nova Prime, les contes de Shyamalan semblent avoir été assimilés depuis mille ans. On repense aussi au personnage de prophète de La Jeune fille de l'eau : sans doute, Vick Ran a dû jouer un rôle dans l'évolution du monde au dernier millénaire. On songe à la nature, à sa révolte à l'encontre des humains dans Phénomènes (2008), ce premier avertissement que les terriens n'ont visiblement pas pris au sérieux. Au point d'avoir dû abandonner la planète bleue.
Seul, abandonné, par tous ou presque, M. Night Shyamalan en est venu à se sauver tout seul. Plutôt que d'attendre que le temps ne lui donne raison, il a bondi de mille années dans le futur pour parler d'un monde où ses films seraient enfin appréciés à leur juste valeur, et même devenus paroles d'Evangile. Il faut se souvenir de cette phrase qu'aurait prononcé Beethoven, vers la fin de sa vie, face à la réception frileuse d'une de ses dernières compositions : «Ca leur plaira bien un jour». Détracteurs et fans du réalisateur peuvent au moins s'accorder sur ce point : voilà une déclaration qui siérait bien à M. Night Shyamalan.
Mise à jour du 6 juin 2013 : Preuve que le ressentiment «critique» n'est pas circonscrit aux territoire américain, cette vidéo de Canal Plus reproduit fidèlement le schéma de Screen Junkies cité plus haut en ajoutant un soupçon du racisme ordinaire évoqué dans les commentaires ci-dessous et une erreur factuelle qui donne une idée du soin avec laquelle la chronique a été préparée (le film n'a pas été produit par la Fox, mais par Sony/Columbia).
Image © Columbia Pictures, Warner, Universal Pictures
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SadbutSad7 juin 2013 Voir la discussion...
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IMtheRookie7 juin 2013 Voir la discussion...
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ProfilSupprime16 janvier 2019 Voir la discussion...
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zephsk8 juin 2013 Voir la discussion...
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bargeot18 juin 2013 Voir la discussion...
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kio22 juin 2013 Voir la discussion...
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zephsk22 juin 2013 Voir la discussion...
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JoChapeau23 juin 2013 Voir la discussion...
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IMtheRookie22 juillet 2013 Voir la discussion...
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itachi21 janvier 2014 Voir la discussion...