Le loleur masqué

Avengers et l'avénement de la comédie super-héroïque

Dossier | Par Hugues Derolez | Le 25 avril 2012 à 16h33

Pour quelles raisons sont réunis Hulk, Captain America, Thor et Iron Man dans le dantesque Avengers ? Pour se mettre sur la gueule mais aussi pour se marrer. Bien loin de la nouvelle tendance plombante des franchises à succès DC, comme The Dark Knight, Marvel et Disney parient sur la décontraction, l'humour, les dialogues bien sentis. Et l'adhésion du public à la cause de ces super-héros n'en est que plus forte.

Le blues du super-héros

Si l'amélioration technique permet depuis le début des années 2000 de créer des images numériques probantes et efficaces, facilitant l'arrivée sur nos écrans de Spider-Man ou des X-Men, il faut aussi reconnaître que cette naissance de nouveaux super-héros s'est accompagnée de destins tragiques, d'une dramaturgie forte, et d'une ambiance qui prêtait rarement à sourire. DC a bien compris qu'il fallait qu'elle en fasse sa marque de fabrique : bien loin du gagesque Green Lantern, le terrible Dark Knight Rises et le Superman à venir ne feront pas dans la dentelle. On nous les promet sombres, alarmistes et tragiques, à l'image d'une société américaine et de son pendant, le cinéma d'angoisse, qui vacille sur ses standards depuis le 11 septembre 2001.

Mais la noirceur de notre époque n'explique pas tout. En des temps pas forcément plus réjouissants, les super-héros savaient être funs comme l'indique cette version de 1978 des Avengers :

Pourtant ces derniers temps, même côté Marvel, ce n'est pas la joie. La candeur du jeune Peter Parker était rapidement troublée par la perte successive de membres de sa famille et de ses amis, les adolescents libidineux des X-Men, ancienne et nouvelle génération, se taquinent un peu mais s'assassinent aussi à l'occasion, même le déprimant Daredevil n'a pas réussi à nous tirer plus qu'un sourire figé. Loin est le temps des John McClane et des Jack Slater, qui savaient nous amuser entre deux mandales bien distribuées. Le personnage de Tony Stark néanmoins, génie milliardaire, playboy et philanthrope, amenait l'adaptation de comics sur de nouvelles terres, lors de sa première apparition en 2008. D'un coup d'un seul le jeune fan de super-héros découvre l'envers du décor du fantastique : l'effrayant réel, ses guerres, ses terroristes, ses marchands d'armes. Mais aussi ceux qui veulent se battre pour changer les choses, en sirotant un verre et en balançant quelques blagues potaches. Tony Stark était le premier jalon de cette nouvelle race de super-héros cool, facétieux et hyper-connectés.

Si Stark est brillant et coquin, Thor est quand même bête comme une truie, obsédé par sa destinée et son lignage, une sorte de vieux con quoi. Hulk, un personnage au potentiel dramatique intense (mais utilisé dans Avengers comme rebondissement comique) est coincé dans la forêt depuis des années, à faire du yoga pour apprendre à se contrôler. Captain America, mignon petit garçon tantôt émerveillé tantôt inquiet, découvre le monde d'aujourd'hui. Lorsque l'arrivée de ce potpourri de super-héros nous a été annoncé, nous étions d'abord inquiets à l'idée de se retrouver face à un objet pontifiant et lénifiant, où la collision entre légendes nordiques, expérimentations scientifiques et super-espions serait traitée avec le plus grand des sérieux. Heureusement, Joss Whedon, fanboy taquin, s'est mêlé à l'affaire.


Elle attaque ses tortionnaires, extrait de Avengers

La bienfaisante rédemption comique

Tony Stark fait des blagues sur la sexualité de Loki, Hulk frappe tout ce qui bouge, Captain America est incomodé par l'agent Coulson, qui tient absolument à lui faire signer sa collection de cartes à collectionner à son effigie. Dès l'ouverture du film, un bâtiment du SHIELD qui s'effondre et laisse place à un cratère (dans un plan-miroir qui rappelle fortement la fin de Buffy) et le sérieux côtoie l'humour, le rire distancié, le premier degré et l'effronterie. L'addition de Joss Whedon a peut-être été, après la réussite Iron Man et l'ennuyeux Thor, le choix le plus judicieux de la part de Disney. Chantre mal-aimé de la télévision, depuis les annulations successives de Firefly et de Dollhouse, Whedon est fasciné par l'énergie des univers pop américains ; il a écrit Astonishing X-Men pendant un run de deux ans, a contribué à relancer la saga Buffy en comics, et a également participé à l'écriture de Toy Story et Alien 4. Dès qu'un univers le passionne il ne peut s'empêcher de participer à la réinterprétation de ces grandes oeuvres populaires, y injectant de ce fait ses propres inquiétudes (le cocon familial qui se fissure, la prise en main des destins individuels).

Thor tue...

Son premier long-métrage, Serenity, n'étant qu'une conclusion donnée à Firefly, on peut considérer Avengers comme son tout premier film. Et on sent qu'avec Avengers, Whedon veut montre patte blanche. Si Buffy était le récit d'une enfant devenant adulte, donc femme, riant pour contrer la mort et les forces démoniaques, Whedon préfère ici évacuer au plus vite tous les enjeux dramatiques du film. Les rebondissements, les destins brisés sont évoqués pour être, à peu d'exceptions près, au mieux tournés en dérision ou aussitôt oubliés. Le passé de la Veuve Noire, le déraciné Captain America, et surtout le colérique Hulk, chaque drame intime est traité là encore avec décontraction, rebondissement comique plutôt que dramatique, voire comme punchline, comme gimmick visant à intensifier un simple principe : la jouissance du spectateur. Au terme d'une première partie où Whedon se montre d'une joie communicative à manipuler ses héros comme les jouets de son enfance, à les mettre en place, à créer une tension dramatique, il l'évacue ensuite dans un maelstrom d'exultations et de rires. Là encore, quand le danger survient, on rit pour se prémunir de la mort. Mais, contrairement à son travail à la télévision, où le rire était la caractéristique d'un âge où on apprenait à déjouer les forces du mal comme on déjoue les angoisses du quotidien, il intervient ici comme un exutoire face à un premier degré débordant, au malaise de voir se rencontrer super-héros et divinités, bêtes mythologiques et révolutions technologiques. Ne pouvant s'astreindre à trop de sérieux, Whedon préfère s'en amuser, comme le fait le jeune lecteur de comics, hilare et survolté. Montrant alors des héros qui semblent eux-mêmes s'étonner de l'invraisemblable étrangeté dont se colore leur quotidien.


Discussion entre Loki et IronMan, extrait de Avengers

Un fanboy respectueux

Joss Whedon partage la place du spectateur de par ses aspirations de fan ultime, mettant alors ses personnages dans la même position que ses spectateurs, et ouvrant une réjouissante porte d'entrée métafilmique sur son film. Potentiellement, Avengers pourrait devenir le plus grand succès d'action comedy de tous les temps, un genre que nous avions un peu tendance à oublier. Une réussite prémonitoire sur l'avenir du genre super-héroïque, à l'heure où on nous serine avec sa chute prochaine ? Difficile à juger, tant une saga comme Batman (qui touche bientôt à sa fin, certes) contrebalance cet ordre établi par sa galvanisante vision politique, manichéenne, emphatique, les deux pieds bien ancrés dans son époque.

Les récentes déclarations du cinéaste sur l'avenir de la saga sont ambigües. Si les résultats sont au rendez-vous, et ils le seront, Whedon voudrait en effet tourner un second volet plus intimiste, plus sombre, avec moins de moyens. Il s'en réfère même au Parrain 2, expliquant qu'il s'agit de l'une des seules suites réussies, et qu'il faudrait de la même façon, si d'aventure il réalisait Avengers 2, se tourner vers le passé des héros pour mettre en perspective leur présent. « Plus petit, plus douloureux », Whedon remettrait-il donc sur la table ses préoccupations télévisuelles, celles de Buffy et consorts, choyant ses dialogues et ses huis-clos avec plus d'intérêt que ses scènes d'action ? Ne boudons pas notre plaisir : si tout n'est pas parfait dans Avengers, le film est émaillé de quelques belles réussites formelles. « Lent à démarrer », comme l'avoue lui-même Tony Stark en parlant de son équipe, ce premier épisode fait suite à une succession de films introductifs un peu limités. Mais la saga Avengers va elle-même grandir, s'extirper de l'ingénuité des premières rencontres, et son rire deviendra peut-être un refuge, un super pouvoir face aux peurs de l'intime, une façon de reprendre le dessus après les inévitables catastrophes à venir.

Images : © Disney

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1 commentaire
  • Vigane
    commentaire modéré lache ton kiki et prend juste ton pied comme ça, tu verras c'est pas mal aussi... c'est de l'humour héroïque ah ah !
    27 avril 2012 Voir la discussion...
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