Et Marvel inventa le héros “super-normal”
La nouvelle vedette de l’écurie cinématographique Marvel n’est pas un surhomme. Ni sérum surpuissant, ni rayons gamma ou marteau magique à l’horizon. Quant à son équipement, n’importe quel autre truand pourrait se le procurer. Star-Lord, le protagoniste des Gardiens de la galaxie, est bien un héros, mais un héros “super-normal”, à l’image de son interprète Chris Pratt, type que les unes voudraient avoir pour petit copain et les uns pour copain (ou inversement), alors qu’il ne fait rien de spécial pour cela.
Il y a d’emblée un contraste évident entre Les Gardiens de la galaxie et son personnage principal, seul être humain au sein d’une équipe notamment composée d’un raton-laveur qui parle et d’une femme alien verte. Dès l’ouverture du film, quand notre héros débarque sur une planète inconnue, visiblement à la recherche de quelque chose. Nous se savons pas qui il est, et nous ne voyons pas son visage, masqué. L’atmosphère est mystérieuse, inquiétante, quand soudain, le personnage retire son casque badass, revêt les écouteurs de son walkman, lance Come and get your love des Redbone et dézingue à coup de pompes les petites bêtes bizarres autour de lui, en suivant la musique. Ce castagneur qui a le sens du rythme, c’est Peter Quill, et sa chanson nous informe avant tout qu’il est un être humain, comme nous, et né dans les années 1980. Son modèle, c’est le Kevin Bacon rebelle de Footloose. Sa culture et son comportement sont celles d’un homme ordinaire, n’appartenant pas à l’univers SF du film, sans nous en sortir pour autant. Et si ce parti-pris fonctionne, c’est essentiellement grâce à son acteur : Chris Pratt.
Dans l’espace, un Pratt vaut mieux qu’un Matt
Pour détailler cette réussite de casting et d’interprétation, prenons un parfait contre-exemple : Perdus dans l’espace, réalisé en 1998 par Stephen Hopkins, d’après la série TV du même nom, diffusée dans les années 1960. Ne tirons pas sur l’ambulance, comparons simplement le recours de chaque film à un acteur comique comme personnage principal. Concernant Perdus dans l’espace, l’utilisation de Matt LeBlanc s’est avérée assez limitée. Surfant sur le succès international de Friends, LeBlanc est connu uniquement pour son jeu comique, grâce à son personnage de simplet attachant et balourd. Perdus dans l’espace s’essaie au grand écart, jouant sur un LeBlanc sûr de lui, un brin hautain et caricatural. Bilan : le film donne l’impression d’être une fausse série B mettant en vedette Joey Tribbiani, l’acteur approximatif dont il joue le rôle dans Friends.
James Gunn, réalisateur des Gardiens de la galaxie, n’emploie pas Chris Pratt à contre-pied. Malgré sa discrète carrière, Pratt a plus d’un tour dans son sac et ses talents variés semblent avoir été pris en compte pour créer et composer le personnage de Star-Lord. Il suffit d’examiner sa filmographie pour constater que Chris Pratt excelle avant tout dans un rôle : celui du gars normal. Il est le collègue ordinaire dans Her, celui à la relation normée avec une personne physique et non pas avec un OS comme c’est le cas de Joaquin Phoenix. Dans 5 ans de réflexion, il est le meilleur pote de Jason Segel qui, comme Star-Lord, ne peut s’empêcher de chanter sans pour autant être ringard, bien au contraire. L’implication et la bonne humeur communicative de l’acteur rehaussent systématiquement les productions dans lesquelles il apparaît, même si, au cinéma, les rôles de Pratt se réduisent souvent à des sidekicks rigolos à l’exposition limitée. C’est donc surtout dans Parks and Recreation, série toujours inédite chez nous, que l’acteur excelle. Avec aujourd’hui 6 saisons à son compteur, le show a toujours su compter sur son personnage d’Andy Dwyer, aussi stupide qu’attachant, véritable joker du cast. Débutant la série comme le copain balourd d’Ann (Rashida Jones), Andy est devenu un indispensable grâce à son alter-ego agent du FBI Burt Macklin, ses réinterprétations en roue libre de Rocky ou Babe ainsi que sa guitare, dont il joue autant pour rendre hommage à un poney que pour amuser les enfants. Et quand Chris Pratt maigrit pour jouer le rôle de Star-Lord, son personnage de Parks and Recreation justifie une fois pour toute ce changement de ligne au début de la saison 6 en disant qu’il a simplement arrêté de boire de la bière...
En incarnant depuis des années un rôle de fainéant à la Joey, le résultat aurait pu être pour Pratt et les Gardiens de la galaxie le même que pour LeBlanc et Perdus dans l’Espace. C’est sans compter sur le bagage dramatique du premier qui lui permet de rééquilibrer la balance. Ses rôles secondaires dans Zero Dark Thirty et dans Le Stratège démontrent ainsi que Pratt quelque soit le registre dans lequel il évolue, excelle dès qu’il intègre un groupe.
«Tout devient génial quand on fait partie d’une équipe»
C’est d’ailleurs Le Stratège qui symbolise le mieux l’efficacité des rôles de Chris Pratt, avec ses joueurs normaux et impuissants pris séparément, mais capables de grandes choses lorsqu’ils sont rassemblés. Un des plus beaux moments du film de Bennett Miller concerne d'ailleurs son personnage. Scott Hatteberg, mouton noir de la ligue de base-ball à cause de son incapacité à lancer une balle droite, est un joueur ambitieux qui rêve d'un beau un palmarès malgré son handicap. Il n’est pas présenté comme un être exceptionnel, juste comme un homme “normal”. C’est une fois placé dans une équipe d’outsiders de la même trempe que lui, de joueurs atypiques, sous la direction du tandem Brad Pitt - Jonah Hill que Hatteberg prouvera à tous ce dont il est capable, lors du climax du film. Outsider, voilà une position récurrente dans sa filmographie, avec cette année Emmett, protagoniste mal dans sa peau de La Grande Aventure Lego et donc Star-Lord des Gardiens de la galaxie. Car la dernière production Marvel est, à l’image de Chris Pratt, une œuvre pétrie de marginaux, de ses personnages (un arbre qui parle et un raton laveur avec des flingues, ce n’est pas fréquent) à leur absence relative de grande notoriété (ils ont toujours été dans l’ombre des Avengers, LA grande équipe de Marvel), en passant par le statut de son réalisateur, James Gunn, metteur en scène jusqu'alors méconnu de Super, justement consacré à un justicier en marge.
Passé en quelques années du statut de sidekick hilarant du petit écran à celui de golden boy des blockbusters Marvel, Chris Pratt s’impose grâce à ses choix de rôles capitalisant aussi bien sur ses talents comiques que sur ses facettes plus dramatiques. Il pourrait encore faire des étincelles l’an prochain lorsqu’il s’alliera avec Omar Sy pour Jurassic World. Son réalisateur, Colin Trevorrow, promet que les deux acteurs incarneront deux meilleurs amis face aux dinosaures. Dans ces conditions, on se demande bien qui sera le sidekick de l’autre...