À toi de jouer

Battleship, adapter un jeu de société : recette juteuse ou plan foireux ?

Dossier | Par Brice Lahaye | Le 17 avril 2012 à 12h35

Après les nombreux jeux vidéo adaptés au cinéma ces derniers temps, les jeux de société semblent aujourd'hui devenir une nouvelle source d'inspiration pour les studios. Battleship, coproduit par Hasbro (à qui l'on doit notamment la saga Transformers inspirée des jouets du même nom) et sorti en salle mercredi 11 avril, en est l'exemple même. Le long-métrage de Peter Berg est en effet l'adaptation sur grand écran de la célèbre bataille navale. Nos jeux préférés à l'écran ? Un pari risqué qui ne suscite pas toujours l'enthousiasme du public.

Peu exploitée pour le moment, l'adaptation d'un jeu de société est en passe de devenir une vraie mode.

Le passage sur grand écran de célèbres romans et jeux vidéo de ces dernières années était plutôt la tendance affichée. Bien que déjà expérimentée, l'adaptation du jeu de société restait plus marginale. Elle revient pourtant aujourd'hui en force. Un changement qui pourrait notamment s'expliquer par les (trop) nombreux réalisateurs à s'être brûlés les ailes à vouloir (trop) imiter nos jeux vidéo préférés. Malgré quelques réussites dans le genre (Final Fantasy en 2001 ou Prince of Persia en 2010), les adaptations de jeux vidéo sont souvent critiquées, raillées, voire même lynchées par les spectateurs et en particulier les gamers. Les exemples sont malheureusement nombreux. Souvenez-vous du film Hitman de Xavier Gens ! Le moins qu'on puisse dire de cette adaptation de l'histoire du tueur à gages, c'est qu'elle avait du plomb dans l'aile. Et ça ne s'arrête pas là : Lara Croft en 2001, Dead or Alive en 2005, Max Payne en 2008... La liste est longue.

Alors pourquoi de si mauvaises adaptations de nos héros de jeunesse ? Est-ce le réalisateur qui, sans connaître l'histoire par coeur et par simple manque d'inspiration, va vulgairement adapter une oeuvre pour tenter de se faire un maximum d'argent ? Le problème ne résiderait-il pas au contraire dans la charge affective qu'on place sur ces différents personnages ? L'adaptation serait alors chose vaine pour le réalisateur. La réponse se trouve peut-être dans ces deux questions. Tout compte fait, on n'a peut être pas envie de voir les personnages avec lesquels on a passé du temps sur le petit écran (ou en jetant les dés) être dénaturés sur le grand. Et comment donner de la dimension à un personnage à propos de qui, souvent, on ne sait pas grand chose (à part que ses combos sont géniaux) sans bouleverser la vision qu'on en avait auparavant ? La durée limitée d'un long-métrage s'ajoutant aux difficultés, il est souvent difficile pour le réalisateur de traiter ses personnages en profondeur. Les exemples cités plus haut montrent à quel point la mission s'avère risquée et l'objectif souvent manqué. Et c'est peut-être désormais pour ça que les réalisateurs préfèrent se tourner vers les jeux de société. La majorité d'entre eux n'étant composée que de pions, de cartes et de dés, il semble bien plus facile de les porter à l'écran.

Plus simple à adapter qu'un jeu vidéo ?

Le scénario de Battleship peut l'attester. Alors que la flotte de l'US Navy déploie toute sa puissance lors d'un entraînement au large d'Hawaï, les manoeuvres, qui ne devaient être qu'un exercice, vont devenir bien réelles. L'armée américaine va devoir affronter des aliens en pleine mer. Une bataille dont l'enjeu est (une nouvelle fois), la survie de la planète Terre. Vous l'aurez compris, l'adaptation de la bataille navale n'est qu'un prétexte pour un nouveau blockbuster américain aux effets spéciaux toujours plus impressionnants. Reste que l'absence d'histoire concrète associée au jeu de société (le seul objectif étant de couler la flotte adversaire), permet au réalisateur une plus grande liberté d'adaptation.


Un alien sur le navire, extrait de Battleship

Le réalisateur britannique Jonathan Lynn a lui aussi choisi de prendre le contre-pied de ce qu'on pouvait attendre d'une histoire comme celle du Cluedo. Un mort, six présumés coupables, six armes possibles et neuf pièces envisageables. Ça laisse quand même une sacrée marge de manoeuvre au réalisateur. Aucun stress à retravailler la personnalité de Mademoiselle Rose ou du Colonel Moutarde puisque nous ne les connaissions qu'à travers leurs photos. Pas non plus de réelles difficultés à créer une histoire de meurtre complètement rocambolesque. Tant qu'on nous précise que c'était dans la salle à manger avec le chandelier, on ne sera pas complètement dépaysé !

Après ces quelques exemples, l'adaptation de jeu de société semble effectivement plus facile. Gare tout de même à ne pas adapter des jeux dont l'histoire s'avère plus compliquée. Les fans connaissant mieux le jeu que le réalisateur risqueraient bien de le lui faire payer. Interdiction donc de s'intéresser aux jeux de rôle ! Le film Donjons & Dragons de Courtney Solomon, sorti en salle en 2000, en a fait les frais (un petit tour sur les micro-critiques du film vous en donnera un aperçu). Difficile en effet de faire pire que cette adaptation du célèbre jeu de société.

Miser sur le second degré

Vouloir trop coller à l'histoire peut également parfois nous laisser passer à côté de l'essence d'une réadaptation. Garder les éléments clés tout en s'autorisant l'idée de les modifier pourrait donc être la solution. Et le succès ne résiderait-il pas non plus dans l'humour ? C'est ce qu'a tenté Peter Berg en pariant justement sur la comédie pour son film d'action Battleship. Un second degré (que certains n'ont, a priori, pas compris !) qui lui permet de plaisanter sur une super puissance américaine complètement décontenancée face à des ennemis bien mieux armés. Critiquer un cuirasser devenu obsolète et lui redonner toute sa puissance quelques minutes plus tard en le faisant piloter par un équipage de 70-80 ans de moyenne d'âge était culotté. Ajouter à la scène une musique d'AC/DC est évidemment fait pour nous amuser.

Avec son Cluedo (1985) en trois dimensions, le britannique Jonathan Lynn a également fait du comique le point fort de son adaptation du célèbre jeu de société. Si Pascal Thomas l'avait réalisé, il est fort à parier qu'on aurait eu le droit à une énième adaptation à l'ambiance d'un roman policier. Mais comme le réalisateur a bien compris qu'on avait aussi eu notre dose des adaptations des romans d'Agatha Christie, il s'est débrouillé pour en tirer une comédie très réussie et dans laquelle l'acteur Tim Curry, en maître d'hôtel surexcité, est au meilleur de sa forme.


Explication du meurtre, extrait de Cluedo

L'exercice de la comédie reste tout de même un exercice difficile pour le cinéma en général. Le faire pour un jeu de société non approprié peut donc être d'autant plus périlleux. Pas sûr que le jeu de négociation Diplomatie ou que celui des petits chevaux soient fait pour le registre comique. Vous me direz, l'adaptation on ne peut plus sérieuse de Donjons et Dragons était finalement assez drôle (bien malgré elle) !

Et si le mieux n'était pas de l'inventer ?

En attendant, les réalisateurs intéressés à l'idée de tenter l'expérience devraient peut-être tout simplement réfléchir à imaginer leurs propres jeux. Et si ce n'était pas ça la clé du succès ? L'exemple de Jumanji (bien qu'inspiré initialement du livre de Chris Van Allsburg) pourrait l'illustrer. Qu'on l'aime ou non, le film de Joe Johnston a en effet connu un beau succès à sa sortie en 1995 et réussi à marquer les esprits. Et il n'y avait finalement aucun risque de froisser les adeptes du jeu puisqu'il n'existait pas. En même temps, jouer avec d'aussi grosses bébêtes pourrait être très sympa. Violent, mais sympa !

Et la réalisation de Joe Johnston n'est pas le seul exemple. Jon Favreau, à qui l'on doit d'ailleurs des adaptations de comics américains, Iron Man 1 et 2, s'est lui aussi essayé à la réalisation d'un film sur un jeu de société qui n'en est pas un. Zathura, sorti en 2006, raconte l'histoire de deux frères découvrant au fond de leur cave (tiens, c'est pas le grenier !) un vieux jeu de société. Dès la partie commencée, les deux jeunes se retrouvent propulsés dans l'espace avec leur maison et ne peuvent plus échapper à la partie qui vient de démarrer. Passé un peu inaperçu dans les salles, le long-métrage a pourtant reçu un bon accueil de la part de la presse et des spectateurs. La liberté était donc totale pour l'auteur qui a pu s'amuser à reproduire un jeu auquel on aurait aussi aimé jouer.

Finalement, le genre a encore été assez peu développé jusqu'à maintenant. Les projets ne manquent pourtant pas. Ridley Scott s'intéresserait au Monopoly et le scénariste John Hlavin travaillerait déjà sur l'adaptation de Risk pour le grand écran. Cluedo serait quant à lui en passe de connaître une nouvelle version de son histoire. On annonçait en 2009 sa réadaptation par le réalisateur Gore Verbinski (Pirates des Caraïbes, Le cercle). L'avenir nous prouvera peut-être que l'adaptation d'un jeu de société n'était pas une si bonne idée. L'essai, s'il est transformé, peut tout de même nous promettre de belles surprises. Qui sait, la Bonne Paye ou le 1000 bornes deviendront peut-être un jour des classiques du 7ème art !

Images : © Universal Pictures, © Silver Pictures

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12 commentaires
  • bonnemort
    commentaire modéré DESTIN
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • Magnight
    commentaire modéré Et la bataille, tout simplement...
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • JohnnyCowboy
    commentaire modéré Quelqu'un pour souffler l'idée de Dr Maboul à Brian Yuzna ?
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • Jeremie
    commentaire modéré @JohnnyCowboy: Excellente idée, ça! :-D
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • BriceLahaye
    commentaire modéré Toutes vos propositions prouvent bien que les réalisateurs n'auront que l'embarras du choix s'ils veulent tenter l'aventure de l'adaptation de jeu de société !
    17 avril 2012 Voir la discussion...
  • Jeremie
    commentaire modéré Il n'empêche... Tenter l'adaptation de jeux de société du type "Stratego" ou "Loup Garou", ça va, il y a encore moyen de s'en sortir assez honorablement. Mais je voudrais bien les y voir, les Peter Berg et compagnie, s'ils devaient adapter "Jenga" ou "Mastermind"!
    18 avril 2012 Voir la discussion...
  • BabyFaceNelson
    commentaire modéré Et si le film "live" n'était pas vraiment la solution? Il y a des jeux de société qui ont tout un univers graphique, qu'il est impossible à retranscrire en "live", mais qui pourraient bien passer en film d'animation, je pense surtout a Munchkin en postant ça, mais c'est valable pour de nombreux jeux!
    18 avril 2012 Voir la discussion...
  • Jeremie
    commentaire modéré Oui, je suis assez d'accord. D'ailleurs, je ne suis pas un fan inconditionnel de l'animation, mais je pense que c'est la solution pour pas mal d'adaptations, que ce soit pour les jeux de sociétés, les BD, les jeux vidéos... Surtout quand on voit ce que Spielberg et Jackson sont arrivés à faire avec Tintin (au niveau de la restitution de l'univers graphique). Maintenant, encore une fois: tous les jeux de sociétés ne sont pas adaptables, et rien ne vaut une bonne histoire originale!
    18 avril 2012 Voir la discussion...
  • AntoineBernier
    commentaire modéré j'attend avec impatience le réalisateur qui aura le culot d'adapter "Patate Partie" (cela va de soi, tout le monde connait ?!), avec des vrais frites évidemment. Un réalisateur belge peut-être ? :P

    Ou Trivial Poursuit, avec de vrais camemberts :P
    18 avril 2012 Voir la discussion...
  • BabyFaceNelson
    commentaire modéré Donnez moi un scénario sur le solitaire (oui, le jeu windows) et je soulèverai le monde!
    18 avril 2012 Voir la discussion...
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