Can’t Buy Me Love de Steve Rash (1987), popularité et aliénation sociale au lycée
Le saviez-vous ? Avant d'être un neurochirurgien trolaclasse dans un show médical pour ménagères, Patrick Dempsey séduisait une jolie blonde et pas mal d'adolescentes américaines en jouant les nerds un brin quirky dans cette comédie de 1987 reprenant le thème de Pygmalion.
Ronnie Miller (Patrick Dempsey) est un geek, un vrai, à savoir qu'il est en bas de l'échelle sociale de son lycée, qu'il n'a pas de vie, au point d'être même la risée de son frangin de 10 ans (Seth Green, des années lumière avant d'incarner Oz dans Buffy), et qu'il se réfugie dans l'astronomie et le poker avec ses 2 potes et demi pour oublier. Bref, la réalité douloureuse de l'identité geek (pas ce fantasme 2.0 qui ressemble à Jesse Eisenberg & Justin Timberlake dans The Social Network)?.
Chips, dips and dorks extrait de L'Amour ne s'achète pas
Quand Cindy (Amanda Peterson), la fille la plus jolie de son lycée, se retrouve en galère de 1000$, Ronnie y voit une occasion en or pour s'acheter un droit de passage parmi les riches et populaires, les jocks et les cheerleaders. Il sacrifie l'argent d'un été passé à tondre des pelouses et, avec l'aide de la demoiselle, il va se fendre d'un extreme makeover qui va lui garantir un succès assuré et lui permettre de vivre sa dernière année de lycée avec style et panache. Payant pour devenir son petit ami pendant un mois, le voici propulsé dans l'aristocratie lycéenne, désiré par des filles qui se riaient de lui 3 semaines plus tôt, adulé et imité par des gros bras qui l'intimidaient.
La dernière danse à la mode extrait de L'Amour ne s'achète pas
Seulement voilà. Alors qu'il faisait ça pour attirer l'attention de son crush de toujours, voilà qu'il se perd en chemin, et qu'il préfère à Cindy sa propre popularité. Voilà qu'un gamin plutôt malchanceux et pas mauvais dans le fond devient antipathique, odieux et exécrable. Voilà qu'une bande de potes écervelés mais pas méchants apparaît comme une bande de suiveurs aveugles et cruels. Le tout sous l'oeil désabusé de la jolie Cindy, qui comprend un peu tard le monstre qu'elle a créé.
Le film a marqué un des premiers vrais décrochements entre le public et la critique. Le titre original du film était « Boy Rents Girl » et exprime assez clairement les raisons de son rejet par la critique. Immense succès en salle, les principaux journaux l'ont labélisé comme une mauvaise imitation sans supplément d'âme de John Hughes (on y revient toujours). Pendant que Roger Ebert s'offusquait du manque d'empathie pour l'adolescence que ce film révélait, tout le monde semblait d'accord pour dénoncer une apologie à peine voilée de la prostitution et de l'appât du gain. A terme, c'est malgré tout devenu un des grands classiques des années 80, et nombre d'adolescents de l'époque le citent comme une de leurs références absolues.
Pourtant, cette morale du fric pourrait faire de cette comédie un film bien cynique sur le matérialisme, la popularité et la superficialité des relations sociales au lycée. Le film réussit tout de même à mettre en scène un malaise : ce groupe de jeunes, ses castes et ses antagonismes sont porteurs d'une aliénation. C'est que c'est dur d'être geek, méprisé et sans amis. La raison même pour laquelle Ronnie se perd en chemin vient de cette frustration de départ : « Que nous est-il arrivé ? On était tous copains, à l'école primaire », dit-il à son meilleur ami. « C'est parce qu'à l'époque, on nous forçait à être dans la même salle [hello Breakfast Club, anyone ?]. Mais tu sais, le collège, le lycée. Laisse tomber. Les jocks sont devenus des jocks, les pom-pom girls sont devenues des pom-pom girls, et nous sommes devenus nous. J'aime bien ?nous' » (« That's because we were all forced to be in the same room together. But, hey, Junior high, high school. Forget it. Jocks became Jocks. Cheerleaders became cheerleaders. We became us. I like us ») - voilà un sublime résumé en deux phrases des enjeux sociaux inhérents aux teen-movies depuis 30 ans.
T'as pas envie d'être populaire? extrait de L'Amour ne s'achète pas
Mais c'est tout aussi dur d'être populaire, et prisonnier de l'image qu'on est tenu de renvoyer de soi. Cindy le met en garde : « La popularité n'est pas quelque chose de parfait. C'est presque un travail à plein temps, par moments. » (« Popularity isn't perfect. It almost seems like a job sometimes »). Cindy, qui s'avère rapidement avoir beaucoup plus en elle qu'une valley girl superficielle ordinaire, s'avère avoir acquis une immense sagesse sociale, et comprendre parfaitement les tenants et les aboutissants de la popularité. C'est à travers son regard désabusé et teinté de mépris qu'on observe la transformation de Ronnie Miller à son contact et surtout la transformation de toutes les cliques populaires de son lycée. Non content d'ignorer ses amis nerd, il devient à son tour leur bourreau, et semble se gargariser de sa position sociale de « puissant ». Sa nouvelle popularité agit comme une drogue, et le conduit à sa perte, mais aussi à celle de tous ceux qui l'entourent.
La rupture extrait de L'Amour ne s'achète pas
D'une certaine manière, ça en fait un des premiers films un peu cynique sur l'adolescence, aux antipodes des films hughesiens montrant une génération sensible, meurtrie et à fleur de peau. Pourtant, ce n'en était pas le projet (qui était juste de faire une comédie romantique pour cachetonner facilement auprès des 13-17 ans). Du coup, à regarder ce film, on reste un peu sur sa faim. Ronnie Miller devient tellement odieux qu'on a du mal à croire qu'il gagne les faveurs de la fille à la fin. L'ensemble de ses camarades de lycée devient tellement antipathique qu'on se dit finalement qu'arriver à se faire accepter par eux n'est pas vraiment une victoire. Bref, le principal échec du film est de ne pas aller jusqu'au bout de cette exploration un peu cynique de la popularité.
Par un tour de passe-passe, en l'occurrence un discours mielleux et le slow clap qui va bien (le slow clap est un des clichés les plus odieux que les années 80 nous ait laissé en héritage), le fond du problème est éludé, les choses reviennent dans l'ordre, et la bonne morale est rétablie. Finalement, ça reste avant tout une comédie romantique, sans vraiment de message derrière. Le film est bourré de clichés, mais savoir manipuler des clichés est un art en soi qu'il est très difficile de maîtriser. Dans cette mesure, oui, il y a ratage. Reste que John Hughes a eu un hommage appuyé aux Oscars 2010. Steve Rash, quant à lui, aura une formidable carrière faite de suites Direct to DVD de American Pie et Bring It On.
Reste que quand un film est nommé d'après une chanson des Beatles, il est de bon ton de ne pas traduire le titre. La seule chose que cette traduction de titre aura apporté, c'est la possibilité d'acheter le DVD d'un film pas terrible à plus de 300? sur Amazon.fr (l'édition avec le titre en français est en effet très rare). Si vous aimez Patrick Dempsey au point de vous en tatouer le visage sur la fesse droite, ça peut valoir le coup. Sinon, c'est un peu superflu.
-
Virgo18 janvier 2011 Voir la discussion...
-
Virgo18 janvier 2011 Voir la discussion...
-
Virgo18 janvier 2011 Voir la discussion...
-
Virgo18 janvier 2011 Voir la discussion...