Christopher Nolan, l'ambitieux
Peu de films, dans l'Histoire du cinéma, ont été plus attendus que The Dark Knight Rises. Portant une fois encore aux nues Christopher Nolan, le film au succès assuré promet de nouvelles discussions enflammées sur son auteur. Depuis les années 90, quelques uns le prennent pour un petit malin, d'autres pour un simple escroc mais une large majorité de fans voient en lui un génie post-moderne...
Pour la sortie de Full Metal Jacket en 1987, Serge Daney se demandait pourquoi le cinéphile moyen se refusait à admirer l'ambition et la quête de grandeur des films de Stanley Kubrick. Il y voyait là un mauvais signe, un signe « qu'on attend plus assez du cinéma ». Aujourd'hui, on pourrait se poser la même question face à une génération de cinéastes qui a préféré grandir avec 2001 plutôt qu'avec A bout de souffle.
Celle arrivée vers la fin des années 90 et qu'on peut résumer à trois noms : Christopher Nolan, David Fincher et Paul Thomas Anderson (encore que lui badine aussi avec Scorsese). A tous on leur reproche parfois une même mégalomanie, une disproportion entre leur mise en scène et leur vision du monde. Ils marchent dans les pas de Kubrick, en accouchant de ces grosses machines dont le public ne serait pas dupe. Nolan, Fincher et Anderson se traineraient ainsi une réputation d'auteurs prétentieux dont les ambitions ne seraient pas à la hauteur des films. C'est pourtant là que se situe aussi leur force. Ils ne faiblissent pas devant la grandeur et tentent de l'embrasser avec ses moyens, littéralement. Ils visent haut, brûlant les étapes, et il faut y voir moins un signe d'arrogance que la manifestation d'une volonté de fer qui à elle seule mérite l'admiration (on peut difficilement reprocher à quelqu'un de viser le chef d'oeuvre).
Cinéastes du perfectionnisme, Nolan, Fincher et Anderson tentent chacun à leur manière de s'accaparer Hollywood. Et le britannique pourrait bien avoir déjà réussi son coup.
Le premier outil, extrait de 2001 : L'Odyssée de l'espace
Le concepteur
Comme Fincher et Anderson, Christopher Nolan est également fasciné par la technique, allant jusqu'à vanter dans un entretien récent à la Director's Guild of America, les mérites de l'IMAX qui, selon lui, fait revenir le cinéma au temps du muet. Comme le réalisateur de There Will Be Blood qui a tourné son dernier film, The Master, en Panavision Super 70 (procédé utilisé notamment sur Lawrence d'Arabie et 2001), Nolan entretient ses références à la grande histoire du cinéma. Ultra-moderne, son cinéma n'en n'est pas moins en quête de classicisme. Il veut faire date sans tarder (ce que l'IMAX résume parfaitement avec son format carré du passé remis au présent). Mais contrairement à Fincher, il s'intéresse peu au numérique. Son actualité est ailleurs : Nolan est avant tout un concepteur, un obsédé du story telling, et c'est ce que lui reprochent ses laudateurs : ne pas être assez dans les images.
S'il faut encore revenir à Kubrick, le principe de mystification entre les auteurs ne fonctionne pas exactement sur les mêmes leviers. Nolan aime être dans les rouages. Que ceux-ci soient parfaits (The Dark Knight et son rythme psychologiquement éreintant), mais qu'on puisse aussi suffisamment les voir pour les admirer. Kubrick n'était pas un auteur. Il a tout adapté. En revanche, on sait à quel point c'était également un maniaque du détail, peaufinant chaque pièce de ses relectures cinématographiques. Cette fascination pour la structure, Nolan la reprend pour fabriquer ses propres équations (le terme est de Daney). Le cinéma lui sert à investir une matière narrative pour que celle-ci agisse sur son spectateur, comme il le théorisera, avec génie et balourdise, dans Inception.
première leçon de rêve partagé, extrait de Inception
Grandeur des platitudes
On voudrait parfois voir en Nolan ce cinéaste roublard assumant son goût de l'esbroufe, notamment dans Le Prestige. Il entretient cette image de mystificateur auto-proclamé, conscient que ses petites pièces bien retapées masquent mal un grand vide, celui de la mécanique pure du storyteller aux images creuses. Mais ce serait sans doute encore s'égarer, comme pour Kubrick dont, un temps, on n'a plus essayé de comprendre le fondement. On a ainsi parfois pris Inception pour ce qu'il n'est pas : un film pamphlet exhibant son intelligence à tous les niveaux, alors qu'il n'est qu'un manifeste du grand spectacle. Une cathédrale un peu grossière, tonitruante, mais dont la volonté de grandeur suffit à la rendre admirable. Regarder avec du recul Inception, en prenant sa mise en scène pour ce qu'elle est (sans complexité, tout est montré platement), c'est voir aussi comment Nolan s'emploie à traiter le plus simplement du monde une série de concepts. On pourrait appeler ça vulgarisation, mais il s'agit surtout d'amener dans l'industrie hollywoodienne ce qui fait le sel de la science-fiction. Faire un cinéma populaire, tout en parlant avec une certaine exigence. Reste que derrière ces imposantes mécaniques, on cherche souvent, comme pour Kubrick, ce qu'elles veulent bien raconter.
Et si chez Nolan résidait aussi quelque chose du cinéma de Minnelli ? On aura a priori du mal à trouver où transparaissent les films de l'auteur de Brigadoon chez le britannique. Pourtant, de Memento au Prestige en passant par The Dark Knight, on retrouve en filigrane ce même principe d'être pris dans les rêves de l'autre au risque de s'y perdre ; jusqu'à Inception qui l'expose au grand jour.
L'aristocrate
L'absence de relation directe au monde compte parmi ces reproches qu'on peut parfois faire à Nolan. Ses films n'ont en effet pas d'époque. On peut bien voir le Paris d'aujourd'hui dans Inception, c'est autant sa carte postale intemporelle. Même Kubrick restait les deux pieds dans l'Histoire. Nolan s'en est libéré. Il est d'une génération qui ne s'embarrasse plus de ces choses-là. Surtout, son oeuvre a la prétention des classiques qui touchent directement au "Ciel des Idées". The Dark Knight peut ainsi être considéré comme un exposé de conflits sur la justice, un pur montage alterné de moralités se percutant entre Batman et ses ennemis.
Qu'est-ce que l'auteur cherche à dire ? Probablement rien d'autre que la peur de voir son intégrité disparaître. Il ne s'agit pas de vanité, comme peut le suggérer Le Prestige. Mais d'une forme de pouvoir, ou de contrôle sur soi. Le héros de Memento sait bien que pour ne pas s'oublier, et donc mourir chaque jour, il doit laisser des traces (sur son corps, matérielles) pour se souvenir. Le cinéma de Nolan réside peut-être là : dans une volonté de faire oeuvre, pour ne pas commenter l'Histoire, mais la marquer. Être déjà dans les mémoires c'est réussir à raconter son histoire. Rien d'étonnant pour un traditionaliste comme lui, qui retrouve en Bruce Wayne quelque chose de son aristocratie naturelle.
Double vie, extrait de Batman Begins
Images : © Warner Bros. France
Sinon y'a cette phrase : "Nolan, Fincher et Anderson se traineraient ainsi une réputation d'auteurs prétentieux dont les ambitions ne seraient pas à la hauteur des films", et c'est plutôt vrai qu'ils peuvent parfois avoir cette étiquette.
Ça reste celui qui, avec Sam Raimi (et Shyamalan comme précurseur) a réussi à faire du film de superhéros une vraie fable moderne, retravaillant la mythologie américaine, la distordant pour en étaler toutes les spécificités, comme ça, sur la même échelle, un peu en bazar. Tout n'est pas bon, loin de là, mais le film de superhéros est devenu le genre du cinéma américain le plus stimulant des années 2000 ; et Nolan y a grandement participé.
Affirmation tautologique venue de nulle part que seule une personne ayant témoigné de l'attente qu'ont pu susciter tous les films dans l'histoire du cinéma serait apte à tenir. En gros, commencer un article sur une phrase pareille revient à signaler ouvertement qu'on écrit que des conneries.
Ce ne seraient pas plutôt les films qui ne seraient pas à la hauteur de leurs ambitions ?