Felix Van Groeningen répond aux questions des ambassadeurs
Actuellement en salles, Alabama Monroe est le film le plus recommandé du moment sur Vodkaster, au point que le film s'est glissé en toute aisance dans le top des meilleurs films de 2013. Petit bijou du cinéma belge, le long-métrage de Felix Van Groeningen a tellement charmé la communauté de Vodkaster que le film a reçu le label des Ambassadeurs de Vodkaster. Pour l'occasion, le réalisateur a gracieusement accepté de répondre aux questions de nos ambassadeurs.
Veerle Baetens et Johan Heldenbergh © Bodega
IMtheRookie : La fascination pour l'Amérique étant l'un des sujets du film, avez-vous été influencé par des films américains ?
Felix Van Groeningen : Je suis autant influencé par les films américains que par les films européens. J'adore les films et réalisateurs américains qui s'inspirent de films européens et vice versa. Pour ce film cependant, je pense m'être moins laissé influencer. Ca doit tenir à l'expérience, mais aussi au fait que le film est dans sa totalité assez unique. Je n'ai jamais vu un film pareil. Ca semble un peu hautain de dire cela... Mais pour être honnête, il y un film que j'ai vu et revu pendant la préparation : c'est Walk the Line. Un film super, mais complètement différent. Quant au réalisateur américain que je préfère le plus aujourd'hui, c'est Paul Thomas Anderson.
AymericLaurent et Juliettaah : Pourquoi les tatouages, qui ne sont au final pas si importants dans l'histoire ?
Le film est basé sur une pièce de théâtre, et dans cette pièce, le personnage d'Elise parlait des noms de ses ex-amoureux qu'elle avait recouvert avec des tatouages et je trouvais ça particulièrement beau. C'était pour moi le coeur du personnage. Pendant l'écriture du scénario, j'ai continué de faire une fixette là dessus... Le personnage est donc devenu tatoueuse. Et ça a finit par jouer un rôle dans le film. Pourquoi ? Parce que ça me semblait juste et beau. Les tatouages sont au contraire importants. Ils font vraiment partie du personnage d'Elise, et dévoilent un peu la personnalité du tatoué : comment il fait face à l'amour, à la mort etc. Ils racontent aussi une histoire. Et c'est la dernière image du film ! Mais dans la vraie vie, je ne suis pas fan de tatouage. Je n'en ai pas et je n'en veux pas. Je suis un peu comme Didier !
Juliettaah : Auriez-vous pu réaliser le film avec une autre musique que la country ? Est-ce que cela aurait donné le même genre de film ?
Je n'aurais pas pu faire ce film avec une autre musique. Elle est tellement importante dans ce film, et sur tous les niveaux : les personnages, le thème du film, le fonctionnement émotionnel, le lien avec l'Amérique et le rêve de Didier.
Sur un air de guitare, extrait de Alabama Monroe
cyril : Quels sont, selon vous, les défauts et travers psychologiques des personnages du film ? (...sachant qu'aimer les tatouages, la bluegrass et Dieu ne sont pas considérés comme des "défauts" ;)
Didier est l'athéiste le plus émotionnel qui puisse exister, à tel point que cela devient comme une religion pour lui. Mais en même temps ce n'est que sa façon de faire face à la mort de sa fille. Elise est super joyeuse, pleine de vie. Elle rentre tellement dans la vie que, quand quelque chose tourne mal, ça devient très très noir avec elle, et c'est pour cela que la fin est comme elle est.
petitCalimero : Le film étant l'adaptation d'une pièce de théâtre, quels sont selon vous les apports d'un traitement cinématographique de cette histoire ? En quoi avez-vous vu une nécessité d'adapter la pièce ?
La pièce de théâtre était très différente, très simple dans sa théâtralité. Mais ça fonctionnait très bien. On avait ainsi un groupe de bluegrass sur scène, et les chanteurs commençaient à raconter leur histoire. C'était très direct avec le public. Didier était très fâché, Elise calme et triste. Et ils racontaient l'histoire de leur petite fille, comment ils s'étaient ensuite disputés,... Très simplement. En tant que scénariste, j'ai vraiment dû tout changer et tout reconstruire pour essayer de trouver une logique au film. Et c'est pour cela que j'ai très vite décidé que je voulais raconter cette histoire en différentes couches. Je voulais avoir le plus de liberté possible pour pouvoir passer de moments graves et insupportables à d'autres moments qui pouvaient soulager.
La nécessité ? C'était un grand risque parce que c'était une très bonne pièce de théâtre, et j'avais peur d'en faire un mauvais film. Mais, ça m'avait touché tellement -plus que tout ce que j'avais jamais vu- que je me suis dit : ça vaut la peine d'y consacrer deux ou trois années de ma vie. L'histoire est triste, certes, mais c'est aussi une affirmation de la vie. Dans la mort il y a une force incroyable. C'est très cliché, mais c'est pourtant vrai.
CYHSY : Quel rapport entretenez-vous avec le surnaturel, le fantastique ? Comment envisagez-vous l'après-mort ? Ce film est-il principalement une illustration de vos propres croyances en la matière, ou une illustration collégiale de celles des acteurs, scénaristes, ou autres ?
Je suis vraiment entre les deux. Comme beaucoup de gens de mon entourage. Intellectuellement, je sais qu'il n'y a sans doute rien après cette vie... mais en même temps je ne peux pas supporter cette idée dans les moments les plus éprouvants de la vie. C'est un grand écart. Ce film est donc une proposition pour essayer de comprendre pourquoi les humains ont encore besoin d'un (ou des) dieux quand ils sont en même temps certains qu'ils n'existent pas. Johan Heldenbergh, qui joue le rôle principal et qui à écrit la pièce de théâtre sur laquelle ce film est basé, est très proche de son personnage. Il est donc athée, mais en même temps il adore également la musique bluegrass qui est très religieuse. Bizarre hein ?
© Bodega
tomsias : Pourquoi ne pas avoir engagé tous les membres du vrai groupe pour jouer dans le film ? Pourquoi les avoir remplacés par des acteurs qui font semblant de jouer dans les scènes musicales ?
Parce que les musiciens ne rendent pas toujours très bien à l'image. Il y avait davantage de scènes avec les musiciens où on les voyait jouer, mais ils ont été coupés au montage. Donc la prochaine fois, ça sera peut-être avec des vrais musiciens ! Néanmoins, Johan et Veerle chantent vraiment ... Ce sont donc bien eux, les vrais musiciens !
tomsias : La Merditude des choses partait d'un roman, Alabama Monroe d'une pièce de théâtre. Est-ce que vous vous épanouissez plus dans l'adaptation d'oeuvres marquantes que dans l'écriture d'un scénario original ?
Mes 2 tout premiers films (ndlr : jamais sortis en France) étaient des scénarios originaux, les deux derniers (La merditude des choses, et Alabama Monroe) des adaptations. Mon prochain film est de nouveau un film original. J'aime les deux. L'adaptation est un peu plus facile? En fait, je dois tomber amoureux d'un projet, c'est tout ce qui compte !
tomsias : Que pensez-vous du titre "français" du film ?
C'est un titre très français, donc parfait pour les Français ! Au début, je n'aimais pas trop, mais maintenant je le trouve très bien !
guilut : A deux reprises, on voit Didier se mettre en colère contre la position des Etats-Unis sur l'utilisation des cellules-souches à des fins thérapeutiques. Etait-ce là un moyen pour vous d'exprimer votre propre colère sur le sujet ? Faut-il aussi voir dans Alabama Monroe un film politique ?
C'est la raison pour laquelle, Johan - qui joue Didier et qui a écrit la pièce de théâtre sur laquelle le film est basé - a écrit la pièce de théâtre. C'était un sujet important pour lui. Et j'ai senti ça quand j'ai vu la pièce ; je voulais donc que ça soit dans le film aussi, sans pour autant vouloir en faire un film politique. Johan pense que, en matière de religion, tout le monde peut faire ce qu'il veut, mais quand l'humanité régresse à cause de la religion, et ben? c'est nul ! On ne s'est pas battu contre l'Eglise, on n'a pas cherché à laïciser nos sociétés pour en arriver là. Je me retrouve également dans cette façon de penser. Mais est-ce que ça en fait un film politique ? Je ne sais pas. Ça devrait être du sens commun, tout simplement.
tomsias : Comment avez-vous abordé la maladie de Maybelle pour éviter la putasserie ?
J'ai appris beaucoup de choses quand le co-scénariste et moi avons visité un service d'oncologie pour enfants. Quand on entre là-dedans, on a l'impression de ne plus pouvoir respirer pendant quelques minutes, tellement c'est dur. Mais après, on commence à s'habituer, et on voit que ce sont tous encore des enfants, qui continuent à jouer, à dessiner, etc. C'est ça qui m'a marqué le plus. L'espoir ne s'arrête jamais, ou très peu. On a mis ça dans le film. Mais quand ça se passe mal, il y a un sentiment de profonde injustice. Comment espérer quand ça va quand même se finir mal ?
Question Bonus
gcapron : C'est qui le plus fort, l'hippopotame ou l'éléphant ?
L'amour ! Hahahaha !
Je l'ai vu ensuite et j'ai complètement oublié que c'était de ce film dont il était question (preuve que la promo ne marche pas trop sur moi...), dommage j'avais plein de trucs à lui demander (même si ça aurait ressemblé à la question de tomsias, et qu'il n'y a pas répondu...)
En plus il s'est bien épanché sur ma question, et ce de manière intéressante, donc ça fait vraiment plaisir.