Cosmopolis : rencontre avec David Cronenberg
A l'occasion de la sortie de son nouveau film, Cosmopolis, l'adaptation d'un roman de Don DeLillo avec Robert Pattinson, nous avons rencontré le réalisateur David Cronenberg qui s'est expliqué sur les envies qui ont nourri ce projet.
Dépersonnalisation
Très détendu, la voix douce et posée, David Cronenberg, l'une des idoles de mon adolescence, esquive nos questions et nous tacle avec le sourire. Nous sommes une dizaine autour de lui, un peu impressionnés il faut bien le reconnaître, pendus à ses lèvres. La rencontre est brève, beaucoup trop brève pour un cinéaste de cette stature. Cronenberg nous explique néanmoins cette envie fugace qui lui a pris un jour d'adapter Don DeLillo. « Je connaissais l'auteur, mais pas Cosmopolis. C'est le producteur Paulo Branco qui est venu me voir à Toronto pour me proposer de l'adapter. J'ai été marqué par les dialogues, que je trouvais particulièrement cinématographiques, d'où l'envie d'en faire un film. Il m'aura fallu seulement six jours pour en écrire le script. » Etonnantes déclarations, qui sonneraient presque comme un caprice, après de nombreuses adaptations supposées impossibles, comme Crash ou Le Festin nu.
Tout le film semble s'être bâti sur cette trajectoire effrénée - le film a, fait très rare, presque entièrement été tourné dans l'ordre chronologique - comme si le destin d'Eric Packer était intrinsèquement lié aux processus de création de Cosmopolis. De même, lorsqu'on lui demande de s'expliquer sur son choix concernant Robert Pattinson pour le rôle principal, Cronenberg reste très prosaïque : selon lui il était question d'âge, de talent bien évidemment, mais aussi de trouver un acteur capable de supporter le film en termes de publicité, et, pour des questions de production, qui ne soit pas américain (le film étant franco-canadien). Nous qui nous attendions à une déclaration cinglante sur la popculture qui se retourne contre elle-même, une créature qui dévore le système de l'intérieur, nous nous retrouvons désarmés. Le réalisateur semble en pilote automatique, bien installé dans le confort de son canapé qui nous rappelle furieusement la limousine d'Eric Packer. Comme son personnage, il semble tout avoir sous contrôle. Pourtant, en le titillant un peu, nous allons comprendre en quoi ces fameux dialogues, cette litanie sur le cyber-capitalisme, ne sont que l'extension d'une filmographie où le verbe a toujours eu une place prépondérante.
Lee raconte une histoire absurde, extrait de Le Festin nu
Catharsis
On a beau l'interroger sur l'idée qu'il développe autour du langage, lui demander s'il veut le filmer comme une nouvelle forme de virus, de contagion (comme le disait Burroughs déjà à l'époque du Festin nu), David Cronenberg ne veut rien entendre. Tous ces concepts ne lui servent à rien durant l'élaboration du film nous dit-il, et l'aident encore moins à diriger ses acteurs. Ce qui l'intéresse c'est l'articulation de l'histoire et de sa mise en scène. Filmer un acteur en train de parler, point. La quintessence du cinéma selon lui. Il nous explique pourtant que la catharsis si chère à son cinéma (de Vidéodrome à A History of Violence, ces moments de libération où le corps s'affranchit de lui-même) a lieu ici par l'intermédiaire des mots. Lorsqu'il s'attaquait aux débuts de la psychanalyse dans A Dangerous Method, c'est déjà ce qu'il nous disait : les mots sont un exutoire, le premier pas vers le passage à l'acte dans un monde neurasthénique. Se découvrir, ressentir, ne peut se faire si cela n'est pas verbalisé. Et c'est toute la trajectoire d'Eric Packer dans Cosmopolis.
Le réalisateur nous la synthétise avec l'ouverture et la conclusion de son film : deux peintres encadrent le long-métrage, Pollock en ouverture, Rothko sur le générique de fin. D'abord étranger à son propre corps, qu'il fait analyser consciemment par un médecin chaque jour, Eric Packer va transcender sa propre enveloppe, abandonner tous ses oripeaux, pour partir à la recherche de ses sens. Il s'abandonne progressivement, dilapidant sa fortune sur un coup de tête, sacrifiant son mariage, sa vanité, ses principes, pour s'interroger sur ce qu'il n'a jamais connu, ce qui est au centre de l'oeuvre de David Cronenberg : ce qui fait l'homme, ce qu'il a en lui, et comment il peut s'arranger avec le système dans lequel il vit. Adéquation virtuose de la mise en scène, d'abord fragments juxtaposés lorsqu'Eric traverse la ville en limousine, pour finir par éclater en une succession de plans-séquences où il trouvera enfin un interlocuteur, un homme à son niveau, qui peut répondre à ses questions.
Allez chez le coiffeur, extrait de Cosmopolis
Le transcript complet de la rencontre est à lire sur Passeur Critique
Image : © Stone Angels
Regardez Margin Call, c'est un film peut-être très schématique et concret, mais c'est tellement mieux écrit, tellement plus pertinent, on sent que derrière les mecs savent au moins de quoi ils parlent.