Jeanne d'Arc avant Jeanne Captive : un mythe et un paquet de films
Cette semaine, sort sur nos écrans Jeanne Captive de Philippe Ramos, une revisitation du mythe de Jeanne d'Arc avec Clémence Poesy dans le rôle-titre. Le cinéaste, révélé par son Capitaine Achab, nous livre le portrait magnétique d'une femme qui fascina jusqu'au bout les hommes qui l'ont approchée.
La belle et très croyante guerrière, icône de notre pays (chaque année célébrée par l'extrême-droite...), a suscité l'intérêt du cinéma dès ses débuts, en France et à l'étranger. Meliès, Rossellini, Dreyer, Bresson, Rivette, Besson (cherchez l'erreur)... Tous ont porté son incroyable destin à l'écran. Cette nouvelle version est l'occasion d'un petit tour d'horizon pour vous rafraîchir la mémoire.
La plus onirique
Jeanne D'Alcy dans Jeanne d'Arc (Georges Meliès, 1900)
Pas de surprise, c'est ce bon vieux Méliès (qui apparaît sous les traits de Ben Kingsley dans Hugo Cabret prochainement), spécialiste des mythes et fictions en tous genres, qui s'en est emparé au début du siècle et c'est Jeanne d'Alcy la bien nommée qui incarne la guerrière.
Wikipedia nous raconte une anecdote émouvante : après sa carrière, elle ouvrit une boutique de jouets et de sucreries dans la gare Montparnasse. Méliès retrouva sa trace, l'épousa et ils s'occupèrent de leur petit commerce ensemble. Une belle histoire à la Amélie Poulain, non ?
La plus américaine
Geraldine Farrar dans Joan the Woman (Cecil B. DeMille, 1916)
On connaît le goût de Cecil B. DeMille pour les destins glorieux et les grosses reconstitutions historiques (Les Dix Commandements, Cléopâtre, Samson et Dalila...). Jeanne D'Arc, ses guerres et son destin brûlant, lui offrait tous les ingrédients d'un bon blockbuster avant l'heure. C'est Geraldine Farrar, une chanteuse d'opéra assez peu élégante qui s'y colle. Résultat : 140 min produites par la Paramount, beau bébé. Ah oui, petite précision, dans le film, c'est un soldat anglais de la Première Guerre Mondiale qui rêve la vie de Jeanne. Un vrai gage d'objectivité, bravo Cecil?
La plus habitée
Renée Falconetti dans La Passion de Jeanne D'Arc (Carl T. Dreyer, 1928)
C'est la première à être vraiment restée dans l'histoire du cinéma. Qui a vu une fois la Jeanne de Dreyer restera toute sa vie hanté par le regard halluciné de Renée Falconetti, ses larmes, son crâne rasé, restant obstinément insensible aux paroles mesurées du moine incarné par un autre illuminé, Antonin Artaud.
Des larmes pour Jeanne extrait de Vivre sa vie : film en douze tableaux
Et qui a vu un jour Vivre sa vie ne pourra oublier le fameux champ contrechamp Anna Karina-Renée Falconetti, par lequel l'élève rivalise crânement avec le maître. Après ce rôle qui la marqua profondément, René Falconetti ne tourna plus, elle se consacra au théâtre et termina sa vie retirée en Argentine...
La plus résistante
Ingrid Bergman dans Jeanne d'Arc au bûcher (Roberto Rossellini, 1954)
Le titre de cette Jeanne était prémonitoire : ce n'est pas seulement Jeanne qu'on croyait partie en fumée, mais aussi le film. On l'a cru longtemps complètement disparu avant de retrouver une copie « rouge » et sans son qui a pu être restaurée afin que le film retrouve sa place légitime dans la glorieuse histoire du septième art. Il est amusant de noter que la belle Ingrid avait déjà interprété Jeanne, 6 ans auparavant dans la version de Victor Fleming (son dernier film) que Rossellini a complètement fait oublier par la suite. Peut-être que Fleming n'était pas suffisamment amoureux de son actrice ?
La plus politique
Jean Seberg dans Saint Joan (Otto Preminger, 1957)
Cette adaptation se concentre surtout sur les manoeuvres politiques qui précédèrent son exécution. Tirée d'une pièce de Bernard Shaw, elle ne figure pas parmi les oeuvres les plus marquantes de Preminger mais Jean Seberg, fantasmée par la terre entière avec ses cheveux courts dans A bout de souffle, ne pouvait pas ne pas interpréter cette chère Jeanne. C'était même sa première apparition au cinéma, juste avant d'illuminer de son délicieux accent le chef d'oeuvre de Godard.
La plus bavarde
Florence Carrez dans Le Procès de Jeanne d'Arc (Robert Bresson, 1962)
Comme son nom l'indique, la version de Bresson se concentre sur?le procès de Jeanne ! Le scénario est écrit d'après les retranscriptions du procès et les textes qui l'évoquent. Interprétée par une actrice peu connue (comme d'habitude avec le maître), Jeanne y est montrée comme une femme de caractère, qui a de la répartie et qui défend crânement sa position et ses actes jusqu'au bout, avec autant d'esprit que d'arrogance. Surtout, en choisissant Florence Carrez, Bresson avait voulu donner à Jeanne l'allure d'une jeune fille moderne (des années 60 donc), avec des cheveux longs, en rupture avec l'iconographie classique de la Jeanne aux cheveux courts. Une liberté que s'est également octroyée Philippe Ramos avec Clémence Poesy.
Florence Carrez n'a pas fait une longue carrière après ce rôle (une voix off pour Chris Marker dans Sans Soleil tout de même), mais elle est également femme de lettres, membre de l'Académie Française.
La plus longue
Sandrine Bonnaire dans Jeanne la Pucelle (Jacques Rivette, 1994)
Sandrine Bonnaire est blonde, Sandrine Bonnaire a du caractère (c'est pas Pialat qui dira le contraire), Sandrine Bonnaire a eu raison d'incarner Jeanne d'Arc dans ce long film feuilletonesque en deux parties, minutieusement mis en scène par Jacques Rivette.
La plus grandiloquente
Milla Jovovich dans Jeanne d'Arc (Luc Besson, 1999)
Luc Besson se prend pour Rossellini et fait jouer sa muse du moment (après l'avoir habillée de bandelettes dans Le Cinquième Elément) dans cette épuisante fresque flamboyante et pompière (désolé...). La jeune femme n'est pas réputée pour sa finesse d'interprétation mais elle est belle et porte bien les cheveux courts. Même une fois transformée en torche humaine, elle reste très agréable à regarder. Accompagné d'un choeur tonitruant, son martyr final vous tirera bien une petite larme :
Jeanne au bûcher extrait de Jeanne d'Arc