Twilight : une saga souvent citée (et moquée) par le cinéma contemporain
Le quatrième volet de la saga Twilight, série de romans commise par Stephenie Meyer et adaptée au cinéma depuis l'automne 2008, sort aujourd'hui en salles. Histoire de prolonger le plaisir, le quatrième roman, Breaking Dawn (Révélation en français), sort en deux parties, façon Potter. Adulée par les adolescents avant-hier, déjà raillée hier et oubliée aujourd'hui, cette large fresque vampirique se conclura sûrement dans les larmes de sang des fans et les pleurs d'ennuis des réfractaires. Reconnaissons tout du moins à cette improbable saga fantastique d'avoir marqué la production cinématographique américaine des années 2000 et tourmenté bien des ados.
C'est le début de la fin : Twilight 4.1 va déferler dans les salles. Comme les trois premiers films, on peut confortablement parier sur un immense succès auprès de la fanbase « Team Edward » / « Team Jacob » ainsi que sur des critiques assassines par le reste du monde. Si le premier opus de Catherine Hardwicke, ressemblait encore à un film, depuis New Moon (le 2ème volet de la saga), on ne s'embarrasse plus de cette coquetterie et les films relèvent de plus en plus de la fanvideo youtube (avec plus de moyens).
Lune de miel extrait de Twilight - Chapitre 4 : Révélation 1ère partie
L'adaptation est un pur produit destiné à encaisser sur les hormones de son public. Il s'ensuit que le film est difficilement supportable si vous n'êtes pas une adolescente de 14 ans et demi qui a dévoré les bouquins mal écrits de Stephenie Meyer et si votre chambre n'est pas tapissée du regard ténébreux-jaune de Robert Pattinson ou du six-pack de Taylor Lautner. Soft-porn mal assumé, jeu d'acteurs calamiteux, encéphalogramme plat du scénario et du montage, morale nauséabonde, tous les superlatifs les plus assassins et toutes les vannes les plus faciles sont faisables contre la saga Twilight.
Signe que même les rats ont quitté le navire, les volets de cette saga romantique fantastique font l'objet de railleries constantes dans le cinéma hollywoodien actuel. C'est un peu comme si Hollywood, se demandant sans doute où ça a pu mal tourner, était en constant dialogue avec cette franchise honnie. Besoin de se faire pardonner cet accident industriel ? Ou besoin de se dédouaner ? Si oui, de quoi ? Retour sur un multi-référencement en cinq exemples, cinq films aux parti-pris très différents, cinq succès des 12 derniers mois.
Twilight dans la culture adolescente
Quand Sofia Coppola veut faire de la gamine de Somewhere une adolescente de son temps, elle place dans la bouche de Elle Fanning un échange avec son paternel sur la romance entre une humaine et un vampire, romance compliquée par un loup-garou amoureux. « J'ai demandé à la fille d'un ami quel livre sur ce thème elle aimait, et elle m'a parlé de Twilight. Elle m'a expliqué l'intrigue, alors que je n'y connaissais rien. C'est comme ça que la jeune fille de mon film s'est retrouvée à parler de Twilight. »
Plus qu'un clin d'oeil à ce qui aurait pu être (Sofia Coppola avait été pressentie un temps pour adapter Breaking Dawn), ce recours à Twilight signale l'évidence de la référence. Qu'on le veuille ou non, Twilight est devenu un marqueur culturel incontournable de cette décennie, un des emblèmes de la culture adolescente de la fin des années 2000 / début des années 2010. C'est d'ailleurs un peu une passation de témoin qui s'effectue dans le premier volet de Harry Potter et les Reliques de la Mort. Hermione Granger lit un conte à Ron Weasley, en insistant sur le mot twilight (qui signifie « crépuscule »), comme dans un clin d'oeil à l'autre saga littéraire adolescente devenue une franchise cinématographique au succès considérable.
C'est aussi l'évidence du marqueur culturel qui génère le gag facile dans Bad Teacher. High-school movie ayant pour particularité de se placer du point de vue des enseignants et non des lycéens, et l'incarnation du décalage générationnel entre adultes et gamins peut se résumer à cette vanne de Jason Segel quand, pendant un cours de sport, il invective un adolescent vaguement emo en le désignant par le sobriquet « Twilight », tournant en ridicule à la fois l'allure de l'adolescent, la culture adolescente et ce qu'elle produit (des gamins qui érigent l'apparence pâle et souffreteuse en canon de beauté).
Twilight contre les vampires
On peut se demander si namedropper Twilight ne revient pas juste à se garantir un gag à peu de frais. Dans certains cas, pourtant, la référence va plus loin que le simple gimmick. Dans Fright Night, le remake par Craig Gillespie du film d'horreur des années 80, Charley et Ed, deux lycéens, joués par Anton Yelchin et Christopher Mintz-Plasse prennent conscience que leur voisin est un vampire sanguinaire qui décime le quartier. Une fois encore, la référence à Twilight tient lieu de ressort humoristique. Objet d'une vanne de Charley, Ed s'en défend en se déclarant offensé. « Je suis vraiment furieux que tu penses ça de moi. »
Tu lis beaucoup trop de Twilight ! extrait de Fright Night
Twilight est alors présenté comme un énorme contresens sur la notion même de vampire. Pas tant parce que les vampires de Twilight peuvent se déplacer en plein jour ou être végétariens, mais parce que le principe même du vampirisme (un principe de violence et de puissance sexuelle brute et dangereuse) est anéanti ; un vampire est un prédateur, à tous points de vue. Le vampire de Fright Night est joué par Colin ?The Hunk' Farrell, ultra-gaulé, homme à femmes (et à sex-tape), aux antipodes de l'esprit mormon qui plane sur les hésitations abstinentes d'Edward Cullen. Si pour certains Fright Night est un remake inutile, il faut prendre la mesure de ce retour du vampire sanguinaire, qui semble répondre aux vampires emo de Twilight, mais aussi de shows type Vampire Diaries. Bon sang, mais pourquoi les vampires ont-ils cessé d'être des bêtes de sexe pour devenir des lovers? Twilight est l'aboutissement d'un travail de sape du mythe vampirique depuis 20 ans, en quelque sorte. Le jour où Coppola père a prêté à son Dracula les traits de Gary Oldman amoureux de Winona Ryder, ou peut-être le jour où Tom Cruise et Brad Pitt ont signé pour une adaptation de roman d'Anne Rice, ce jour-là, la peau « marmoréenne » d'Edward Cullen a commencé à scintiller au soleil.
Twilight et la stupidité de l'amour fou
Depuis deux ou trois décennies, le topos vampirique a évolué vers un schéma romantique qu'il n'avait pas nécessairement auparavant (ou du moins pas de manière si centrale). Twilight apparaît comme l'aboutissement et le fossoyeur de ce thème. Dans Crazy, Stupid, Love, Emily (Julianne Moore) fait part de ses doutes sur son couple à son mari (Steve Carell), et, en guise de comic relief, évoque notamment le moment où, pour prendre le temps de réfléchir, elle est allée voir Twilight, alors que « c'était si mauvais ! »
Julianne Moore qui daube sur Twilight sur fond de Muse, c'est un peu le cinéma romantique indépendant qui tourne en dérision le plus gros succès romantique de ces dernières années. La présence du film dans Crazy, Stupid, Love est là comme pour signaler une lecture profondément erronée de l'amour. Au bord du divorce, Julianne Moore rejette d'un revers de la main ce film qui décrit l'amour comme éternel, mystique et inconditionnel, un amour qui conduit l'héroïne, Bella Swan, à renoncer à son identité, à sa vie, et à sa personnalité (spoiler alert : dans les livres comme dans les films, Bella Swan a, de toute façon, la personnalité d'une serpillière). Revoir cette scène à la lumière des loooongues minutes au ralenti du mariage de Bella et Edward lui donne une saveur nouvelle. Cette évocation sonne comme une critique de la franchise, mais aussi, encore une fois, comme la fin d'une vision adolescente de l'amour, dans un film où Julianne Moore incarne une femme en pleine midlife crisis après avoir passé sa vie avec le même homme.
Et si, finalement, le regard critique le plus intéressant sur Twilight venait du cinéma lui-même? Il est certes très facile d'épingler cette franchise pour tout ce qu'elle a de bâclé, de médiocre voire de scandaleux. Pourtant, l'utilisation de la franchise dans le cinéma populaire américain permet peut-être de donner un sens à son succès. Cela permet de rappeler à quel point elle est devenue, en dépit de ces critiques (ou précisément grâce à elles), un objet culturel important. Car si la référence est à ce point récurrente, cela signale à quel point la franchise est suffisamment reconnaissable, même pour ceux qui n'ont ni vu les films, ni lu les livres. L'insistance sur la moquerie signale également que cette franchise est recevable pour beaucoup de monde : on se moque parce qu'on juge nécessaire de le faire, pour échapper à l'amalgame. Non, les films de vampires ne sont pas voués à devenir des romances harlequines avec des êtres scintillants, et oui, l'amour peut être plus tridimensionnel que ce que le succès de Twilight donne à entendre. Cela tient peut-être de la porte ouverte enfoncée, mais c'est ce qui arrive quand un produit adolescent et religieusement marqué explose les barrières de son public visé. C'est un peu comme si la culture mainstream luttait contre sa prise en otage par une mère de famille mormone. Certes, voir le film sera toujours une torture (ou un franc moment de rigolade), mais ce sont des choses qui arrivent, quand on n'est plus une adolescente de 14 ans et demi (ou qu'on ne l'a jamais été).
@Filmsdelover Oui, évidemment, je l'ai pas abordé, peut-être que j'aurais dû, mais j'ai un peu du mal à me dire que la critique est forcément un tic de jalousie (ça me fait toujours penser aux blogueuses mode et à leurs détractrices, déformation des Internets ^^)